Avis non contraignant, mais obligations climat contraignantes
Saisie par l’Assemblée générale des Nations unies en mars 2023, la Cour internationale de Justice (CIJ) basée à La Haye a rendu le 23 juillet 2025 un Avis consultatif (résumé ici) de portée historique sur les obligations des Etats en matière de changement climatique. La question posée à la CIJ par l’AG ONU, alertée à ce sujet par un collectif d’étudiant.e.s en droit de l’archipel de Vanuatu, était double : « A) Quelles sont, en droit international, les obligations qui incombent aux États en ce qui concerne la protection du système climatique et d’autres composantes de l’environnement contre les émissions anthropiques de gaz à effet de serre ? B) Quelles sont les conséquences juridiques pour les États qui ont causé des dommages significatifs au système climatique et à d’autres composantes de l’environnement », notamment « à l’égard des petits États insulaires en développement » ?
Dans son avis consultatif, donc non contraignant, la Cour a unanimement répondu à la question A) que les Etats avaient des obligations contraignantes concernant la réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre (GES), afin de « limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels » conformément à l’objectif maximaliste de l’Accord de Paris (2015). Ces obligations incluent « la réglementation des activités des acteurs privés » en vue d’arriver à cet objectif. La CIJ a également confirmé le principe de justice climatique consistant en des responsabilités différenciées des Etats, ceux de l’OCDE ayant « l’obligation d’être à l’avant-garde de la lutte contre les changements climatiques », y compris en matière « d’adaptation et de coopération, par des transferts de technologie et des transferts financiers ». Sa réponse à la question B) a été tout aussi unanime : les Etats violant leurs obligations en matière de changement climatique doivent cesser immédiatement ces activités illicites, fournir des garanties de non-répétition et octroyer « une réparation intégrale aux États lésés sous forme de restitution, d’indemnisation et de satisfaction ». Cette dernière injonction, qui pourrait réjouir les populations des Etats insulaires à l’origine de cet avis consultatif, butte toutefois sur une condition forte : celle de faire apparaître clairement la « responsabilité de l’État » impétrant, de façon « qu’un lien de causalité suffisamment direct et certain puisse être établi entre le fait illicite et le préjudice subi. » Une condition ayant historiquement suscité le rejet de bien des recours climatiques, tant la responsabilité directe d’un acteur unique est en la matière difficile à démontrer.
Unification du droit international de l’environnement
Au final, des confirmations mais peu d’avancées si l’on se réfère aux réponses stricto sensu de la Cour à la requête de l’AG ONU. Mais alors en quoi cet avis de la CIJ peut-il être qualifié d’historique ? Tout d’abord, c’est la première fois que cette juridiction suprême de l’ONU statue sur la question climatique, ses décisions environnementales de portée mondiale étant d’ailleurs exceptionnelles, hormis l’Avis consultatif sur la Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires (1996) – d’ailleurs principale source du droit coutumier environnemental mentionnée dans son Avis consultatif sur le climat du 23 juillet 2025. Mais justement : c’est le droit international de l’environnement que cet avis contribue de façon notoire à réévaluer. Voire à unifier. S’appuyant sur la question qui lui a été posée sur la responsabilité des Etats « en ce qui concerne la protection du système climatique et d’autres composantes de l’environnement », la CIJ établit dans cet avis que le changement climatique, l’effondrement de la biodiversité, la pollution marine et la désertification ont partie liée. Les Etats ont une obligation conjointe de lutter contre l’ensemble de ces phénomènes, affirme la Cour, « dans le cadre des obligations pertinentes découlant de la Convention de Vienne sur la protection de la couche d’ozone (1985), du Protocole y-relatif de Montréal (1989), de la Convention sur la diversité biologique (1992) et de la Convention sur la lutte contre la désertification (1994) ». Leurs obligations climatiques s’étendent également à la protection des océans puisque, affirme la Cour, « les émissions anthropiques de GES peuvent être qualifiées de pollution du milieu marin au sens de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (1982) ». Cette dernière affirmation ne fait d’ailleurs que reprendre un Avis consultatif du Tribunal international de la mer du 21 mai 2024.
Mais c’est sur le plan des droits humains que l’avis de la CIJ est le plus novateur. Elle y consacre clairement « le droit à un environnement propre, sain et durable » en tant que « droit de l’homme » qui doit être « protégé » par les Etats. Cette jurisprudence notoire consacre sur le plan juridique la résolution de l’AG ONU du 28 juillet 2022 qui déclarait l’accès à un environnement sain comme un « droit humain universel ». Elle élargit le champ géographique et thématique de l’Avis consultatif de la Cour interaméricaine des droits de l’homme du 29 mai 2025 qui proclamait l’existence d’un « droit humain à un climat sain ». Elle découle en fait d’une longue série de décisions de tribunaux nationaux en Europe notamment qui, depuis le premier recours victorieux de l’ONG Urgenda contre l’Etat des Pays-Bas en 2015, n’ont cessé de considérer la non-protection contre les conséquences du changement climatique comme une atteinte aux droits humains à la vie, ainsi qu’à la vie privée et familiale. Autant de décisions confirmées en avril 2024 par l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire des Aînées suisses pour le climat. « La Cour estime ainsi que les effets néfastes des changements climatiques, tels que les incidences sur la santé et les moyens de subsistance des individus résultant de phénomènes comme l’élévation du niveau de la mer, la sécheresse, la désertification et les catastrophes naturelles peuvent gravement compromettre la jouissance de certains droits de l’homme, en particulier, le droit à la vie », explicite l’avis de la CIJ. Avant de conclure : « Pour garantir la jouissance effective des droits de l’homme, les États doivent prendre des mesures pour protéger le système climatique et d’autres composantes de l’environnement. »
Environnement sain et climat stable : un droit humain
Les négociations internationales sur le climat ayant jusqu’à présent été peu fructueuses en matière de réduction de GES par les pays OCDE historiquement les plus responsables de ces émissions, et pas davantage en matière d’engagement financier de ces pays pour aider les pays en développement à s’adapter ou à réparer les dommages dus au changement climatique, nombre de pays du Sud avaient plaidé auprès de la CIJ en faveur d’obligations climatiques (mais pas uniquement) accrues pour les pays du Nord. L’Avis consultatif de la CIJ ne répond donc pas à leurs attentes. Mais il constitue une avancée importante en matière de renforcement et d’unification du droit international de l’environnement, ainsi que d’élévation de l’accès à un environnement sain et à un climat stable parmi les droits humains universels. Dans le monde actuel en voie de brutalisation, cette avancée du droit international environnemental et humanitaire a-t-elle une chance d’être appliquée, ou restera-t-elle une nouvelle fois lettre morte ?
« Les questions posées par l’AG ONU sont davantage qu’un problème juridique : elles concernent un problème existentiel de portée planétaire qui met en péril toutes les formes de vie et la santé même de notre planète », formule la Cour pour conclure son argument. « Le droit international, auquel fait appel l’Assemblée générale, joue un rôle important mais somme toute limité. La solution complète à ce problème, qui nous accable mais que nous avons créé nous-mêmes, requiert la contribution de l’ensemble des domaines de connaissances humaines, que ce soit le droit, la science, l’économie ou tout autre. Surtout, une solution durable et satisfaisante requiert la volonté et la sagesse humaines— aux niveaux des individus, de la société et des politiques — pour modifier nos habitudes, notre confort et notre mode de vie actuels et garantir ainsi un avenir à nous-mêmes et à ceux qui nous suivront. » Le droit fixe un cadre mais il a ses limites qu’il appartient aux humains, collectivement, et concrètement, de dépasser.
Benjamin Bibas
Benjamin Bibas est journaliste spécialisé en droits humains et droit de l’environnement, enseignant en Histoire des mobilisations écologiques à l’IEP Fontainebleau / Université Paris-Est Créteil, co-responsable de la commission Transnationale du parti Les Ecologistes (ex-EELV).