Dans une lettre adressée le 12 mars à l’ensemble des salariés d’EDF, son président Jean Bernard Lévy, en sus du discours habituel et convenu sur les vertus du projet de réalisation de deux EPR à Hinkley Point au Royaume Uni (absence de risques et forte rentabilité du projet, validation par une expertise « indépendante », soutien des gouvernements français et britanniques, etc.), présente un élément nouveau qui mérite attention :
« Nous négocions actuellement avec l’Etat, nous dit-il en effet, pour obtenir des engagements de sa part nous permettant de sécuriser notre situation financière. Il est clair que je n’engagerai pas EDF dans ce projet tant que ces conditions ne seront pas réunies. Nous avons déjà obtenu que la totalité du dividende de l’année 2015 soit versée à l’Etat en actions et non pas en cash, ce qui représente 1,8 milliard de fonds propres supplémentaires pour EDF. Ces discussions se poursuivent et j’y défends notre entreprise pour le présent et surtout le futur. »
Rappel
Le 11 mars l’action valait 10, 27 € et la valorisation boursière de l’entreprise est de 19,73 G€ pour 1,920 G actions dont EDF en possède 84,9% (1,630 milliard d’actions).

Cette présentation attire une série de remarques .
L’Etat comme tout autre actionnaire pourrait recevoir ses dividendes (1,8 G€) sous forme de cash et en faire ce qu’il juge bon d’en faire, dans le domaine de l’énergie ou dans tout autre domaine. Mais JB Lévy nous dit l’avoir convaincu dans cette opération de procéder à une augmentation du capital d’EDF pour une somme qui correspond à l’ensemble des dividendes perçus au titre de l’année 2015. Et la formulation du président d’EDF vise à faire penser aux salariés auxquels il s’adresse qu’il est équivalent pour l’Etat (et donc les contribuables), dans un contexte budgétaire difficile, de disposer immédiatement de 1,8 G€ ou d’un lot d’actions d’une entreprise qui en moins de 9 ans a vu sa valeur boursière chuter d’un facteur 9[1] alors que c’est évidemment au contraire une opération à risque pour l’Etat.
D’ailleurs, si comme c’est hautement probable, les autres actionnaires, peu séduits dans les circonstances actuelles par une telle augmentation de capital, ne suivent pas, cette opération se traduira par une croissance de la part de l’Etat dans le capital d’EDF de 84,9% en 2015 à 86, 2% en 2016. On nous avait pourtant dit que les ennuis boursiers d’EDF tenaient, tout au moins en partie, à sa sortie du CAC 40, elle même provoquée par la trop grande importance du « facteur de flottant »[2] de cette entreprise…
La formulation employée par le président d’EDF montre aussi clairement sa tentative : faire porter à l’Etat le chapeau du capotage du projet d’Hinkley Point dont il a auparavant dans sa lettre largement vanté la perfection technique et économique, s’il n’obtient pas de garanties financières suffisantes de sa part. Et, comme Hinkley Point est présenté par le gouvernement urbi et orbi[3] comme un point clé du développement de la filière nucléaire française, l’Etat, trop pingre, deviendrait du même coup responsable de la chute de l’ensemble du château de cartes que constitue l’avenir de la filière nucléaire française, dégageant EDF et son président de toute responsabilité dans cette affaire (y compris vis-à-vis d’Areva).
La présentation manifestement enjolivée que propose JB Lévy à ses salariés de la réalité est beaucoup moins enthousiasmante pour les citoyens et les consommateurs. Quelle que soit en effet la solution adoptée, augmentation massive de capital, versement récurrent pendant plusieurs années des dividendes annuels dus à l’Etat en actions[4], filialisation du parc grand caréné et futur avec prix d’achats garantis à long terme[5], vente d’une part de RTE[6], etc., ce sont eux qui vont financer de fait cette opération.
Cela devrait nous engager à la plus grande vigilance à propos de la suite de cette négociation entre l’Etat et EDF. Pour l’instant les citoyens y sont déjà de 1,8 milliard €. Attention que malgré les avertissements qui viennent de tous côtés, les rêves de grandeur et l’aveuglement dont font preuve aujourd’hui le gouvernement comme EDF ne conduisent au gonflement démesuré de cette note dont ni les citoyens ni les consommateurs, ni les travailleurs du secteur ne sortiraient indemnes. L’exemple de ce qui est arrivé à AREVA avec l’EPR finlandais et URAMIN a de quoi faire réfléchir.
[1] De 85 € (95€ 2016) en novembre 2007 à 10, 3 aujourd’hui
[2] Le facteur de flottant permet de ne retenir que les actions disponibles à la vente et de retirer du calcul les actions détenues par l’entreprises ou sous le coup d’un pacte d’actionnaire.
[3] « Si l’on croît au nucléaire, il faut faire Hinkley Point » déclaration d’Emmanuel Macron à l’Assemblée nationale
[4] Une dizaine d’années de transformation des dividendes dus à l’Etat en actions
[5] Une solution évoquée par JB Lévy dans un interview du journal Le monde : http://www.lemonde.fr/economie/article/2016/02/16/le-pdg-d-edf-estime-que-les-equilibres-financiers-du-groupe-sont-menaces_4865967_3234.html
[6] RTE est une filiale à 100% d’EDF qui gère le réseau public de transport haute tension de l’électricité