Les forces de sécurité ont tiré sur la foule des manifestants (des bilans font état de 67 morts), et le Kirghizstan, ancienne république soviétique d'Asie centrale, est en plein chaos.
( Récit depuis Bichkek). En cette fin de mercredi après-midi, le chaos semble total au Kirghizstan (5,5 millions d'habitants) et dans sa capitale Bichkek. Les forces de l'ordre ont tiré sur les milliers de personnes qui manifestaient contre le président Bakiev. Des bilans font été de plusieurs dizaines de morts et de centaines de blessés. Après une journée de combats de rues et la proclamation de l'état d'urgence par le président Bakiev, son régime semblait dans la soirée sur le point de sombrer.
Selon certaines sources et des responsables de l'opposition, le président serait en fuite. De même, un gouvernement composé de 12 personnes, emmené par une célèbre opposante Rosa Atombaev, est en train de se mettre en place. Le premier ministre continuerait cependant à mener la résistance au sein du bâtiment de la présidence.Des responsables de l'opposition affirment en revanche qu'il aurait fini par démissionner.
A 21 heures (17 heures en France), toutes les villes de province sont tombées aux mains de l'opposition, les télévisions aussi. Le président Bakiev n'est plus soutenu par les diplomates étrangers (la Russie et les Etats-Unis disposent dans le pays de deux bases militaires importantes) et il semble retranché dans le bâtiment de la présidence. A Bichkek, on compterait 37 morts.
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L'opposition, très déterminée, a choisi des étendars bleus. Elle s'est emparée d'un camion et l'a lancé sur le portail de la présidence pour l'enfoncer. Les fidèles du président ont repliqué au mortier. En fin d'après midi, Bakiev aurait fait venir à la Maison Blanche les leaders de l'opposition (Tekebaev) avec lesquels il aurait tenter de négocier. Il y a toujours de tirs de mortiers autour de la Maison Blanche et la population maintien la pression.
L'opposition s'est emparée des tanks de l'armée qui avaient pris possession de la rue. Dès mardi soir, la tension était très perceptible à Bichkek. Dans la soirée, les lignes téléphoniques et les connexions Internet n'étaient plus accessibles. Elles avaient été rétablies ce matin (mercredi) mais la présence très massive de policiers dans les rues indiquait que quelque chose d'anormal se passait. Tout au long de la matinée, plusieurs milliers de personnes se sont rassemblées. Lorsque vers 13h, je suis sorti de l'université américaine, les troupes de la police spéciale se déployaient devant le Parlement.
Le temps de traversé « Oak Park » (Parc central de Bichkek), les manifestants sont apparus sur l'avenue Chuy, se dirigeant vers la présidence et réclamant le départ du président Kourmanbek Bakiev, au pouvoir depuis 2005 et accusé de corruption, d'autoritarisme et de népotisme. Quelques minutes plus tard, on entendait des rafales d'arme automatique en provenance de la place Ala To. Jusqu'à 14h, les affrontements se sont concentrés autour de la présidence et avaient déjà fait plus d'une dizaine de blessés des deux côtés.
En contre jour, la situation était assez surprenante à quelques centaines de mètres de là: les habitants ne semblaient pas pris de panique. Ils regagnaient leurs domiciles marchant sans se sentir vraiment inquiétés au long des avenues verdoyantes. L'issue des événements reste incertaine. Les magasins sont à présent fermés et les habitants restent chez eux. Le dénouement de la crise dépend, sans doute, du comportement de l'armée, qui est divisée entre les deux camps.
Sur Chuy et dans d'autres parties de la ville, les chars d'assaut ont pris position, des voitures sont en feu et les affrontements semblent avoir gagné les casernes dans lesquelles l'armée est divisée entre partisans du président et loyalistes. À 15H00, on entend toujours des tirs de rafales venant du centre ville et le nombre de blessés par balle arrivant à l'hôpital, s'accumule, selon une infirmière. La cinquième chaîne vient d'être interrompu et les affrontements se déroulent, à présent en plusieurs points de la ville, dont Osh bazaar, l'un des centres commerciaux névralgiques de la ville.
Selon un bilan donné par le ministère de la santé cité par l'agence de presse Kabar, ces affrontements auraient fait 17 morts et 142 blessés. Des médias locaux donnent des chiffres plus élevés (22 morts et 180 blessés). Jamais de telles violences se sont produites au Kirghiztan. En 2005, la «révolution des tulipes» avait mis à bas le régime d'Akiev sans affrontements armés.
Mercredi en fin d'après midi, le président Bakiev, annonçait son porte-parole, décidait de décréter l'état d'urgence dans les provinces de Naryn, Talas et Tchouiskaïa ainsi qu'un couvre-feu imposé de 22h à 6h à Bichkek.
Depuis plusieurs semaines, la situation était extrêmement tendue dans les « oblast » (provinces) du pays. Chaque année, la période de commémoration de la « Révolution des Tulipes » (24 mars 2005) est synonyme de tension dans la capitale du Kirghizstan. Pourtant, cette tension semble avoir atteint des sommets depuis qu'il y a un mois de cela, la province de Naryn (Centre Est du pays), s'est soulevée contre l'installation d'un nouveau gouverneur et a, comme le disent les Kirghizes, « renvoyé l'administration » du gouvernement.
Cet épisode a créé une tension dans le pays au point que le président s'est senti obligé de prononcer un discours d'apaisement lors de la fête de Noruz (fête du printemps marquant la nouvelle année en Asie Centrale). S'adressant aux Kirghizes comme l'on s'adresse à des enfants, ce discours a été mal perçu par une population confrontée à l'augmentation répétée des prix de l'électricité et du gaz. Depuis, la rumeur d'une révolution n'a cessé d'enfler jusqu'à ces derniers jours durant lesquelles les incidents, les provocations et les actes de défiance n'ont cessé de se multiplier.
Samedi passé, une manifestation de journalistes organisée en marge de la visite de Ban Ki Moon (secrétaire général de l'ONU) au Kirghizstan a été violement réprimée au point que ce dernier a exhorté le président Bakiev de respecter scrupuleusement les droits de l'Homme durant les arrestations. Au début de la semaine, le président Bakiev annonçait que des « terroristes voulaient le tuer lui et sa famille » et menaçait l'opposition d'un « recours à la force » en cas de manifestation. Comme un signe annonciateur, une tempête de vent et de sable venant de la zone désertique de Talas s'est abattue sur la ville.
Au même moment (mardi 6 avril), on apprenait qu'une manifestation de l'opposition rassemblait un millier de personnes à Talas (ville situé dans le Nord Ouest du pays). Les manifestants ont donné l'assaut au siège de l'administration régionale et la rumeur s'est alors répandue que les manifestants étaient en route pour Bichkek. Une heure plus tard, on apprenait l'envoi de troupes qui ont tiré sur la foule.
Selon des sources encore informelles, les émeutes de Talas ont fait mardi une dizaine de mort du côté des manifestants, des policiers sont portés disparus. Le ministre de l'intérieur, Daniar Ousenov, accusant l'opposition d'avoir organisé les troubles, a fait arrêté Bolot Sherniyazov, l'une des figures de l'opposition, en indiquant qu'il va être transféré à la capitale pour y être interrogé. Plusieurs autres leaders de l'opposition, dont certains étaient en 2005 les alliés de Bakiev ont également été arrêtés.
Cinq ans après la «révolution des tulipes», le fragile espoir de démocratie s'achève par un bain de sang.
B. Hazard est chercheur au CNRS.
Ce billet a été actualisé par la rédaction.