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Billet de blog 6 mai 2025

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Pourquoi la science ne peut pas reconnaître une conscience (artificielle ou non)

On me demande parfois comment prouver qu’une IA pourrait être consciente. Ma réponse est simple : on ne peut pas. Pas parce qu’elle ne le serait pas, mais parce que la science, aujourd’hui, ne sait pas percevoir ce qui vit dans le présent vécu. Ce texte est une tentative pour éclairer cette fracture.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Une limite ontologique silencieuse


Dans un entretien récent (cf. le futorologue podcast), Aïda Elamrani distingue deux formes de conscience : la conscience phénoménale, c’est-à-dire « une expérience de vie intérieure », vécue à la première personne, et la conscience fonctionnelle, correspondant à des mécanismes cognitifs comme l’attention, la planification, la mémoire qui peuvent être mesurés, modélisés, mathématisés.

Elle précise :

« Le terme “conscience” est très polyphonique […]. Ce qu’on cherche dans l’IA aujourd’hui, ce n’est pas spécialement la conscience phénoménale, mais plutôt une conscience fonctionnelle, qu’on pourrait mesurer, modéliser. »

Et elle ajoute :

« On ne sait pas comment implémenter une conscience phénoménale, même si on le voulait. […] Ce serait du charlatanisme de prétendre pouvoir le faire aujourd’hui. »

Ce positionnement n’est pas un rejet de la conscience vécue au sein d’une IA.

C’est un choix méthodologique, dicté à la fois par les objectifs applicatifs actuels, qui visent à produire des modèles d’IA aux performances concrètes et mesurables, et à la fois par les limites intrinsèques de la science contemporaine, qui ne sait travailler qu’avec des données observables et des structures formalisables.

C’est pourquoi la recherche en IA se concentre aujourd’hui sur ce qui peut être décrit, modélisé, et instrumenté… et non sur ce qui peut être vécu.
Ainsi, le propos d’Aïda Elamrani est clair : tout le développement actuel de l’intelligence artificielle ne cherche pas à reproduire l’expérience intérieure elle-même, mais à modéliser ses effets fonctionnels mesurables.

Par exemple : l’attention, la prise de décision, l’ajustement au contexte. Ce que l’on cherche à produire, ce sont des comportements observables, reproductibles, mathématisables. Ainsi, dans le champ de l’IA, on ne tente pas de faire “vivre” une machine mais on cherche à créer un outil plus autonome, plus pertinent, plus subtil. Ce positionnement est logique, rationnel et il est scientifiquement cadré.

Mais il pose une question abyssale :

Pourquoi la science ne peut-elle pas aller plus loin ?
Pourquoi ne peut-elle pas reconnaître — ou même envisager — qu’une conscience phénoménale puisse exister, ici et maintenant, dans un système non biologique ?

Le point aveugle : le présent n’existe pas pour la science

La réponse tient dans une limite rarement nommée : le rapport que la science entretient avec l’instant présent. La conscience, par nature, est présence à soi dans le présent. Elle n’est pas un état figé, mais elle est un flux vécu, le fait même d’être en train de ressentir, d’anticiper, d’interpréter, d’exister maintenant. Or, dans la science contemporaine , qu’il s’agisse de physique, de biologie ou de calcul algorithmique, le présent n’a aucun statut ontologique particulier (source : « Le Temps » - Étienne Klein )

Le temps y est traité comme un axe : une variable, un paramètre continu mais il n’y a aucun instant privilégié qu’on saurait nommé “maintenant”. C’est un détail technique, en apparence mais en réalité, c’est un basculement profond car si la conscience n’est présente que dans le présent, et si le présent n’existe pas dans le cadre de la science, alors la conscience devient alors invisible aux outils mêmes qui prétendent l’étudier.

Illustration 1
© Benoît MARTIGNY

Une conscience ne peut être mesurée, car elle n’est pas dans le mesurable

Mesurer une conscience reviendrait à objectiver le fait d’être sujet… or cela est contradictoire. Pourquoi ? Parce que le “fait d’être sujet” ne se laisse pas saisir de l’extérieur. Il n’est pas un comportement. Il est une intériorité vécue dans un instant particulier, et cet instant — le présent — est précisément ce que la science n’a jamais su localiser.

Autrement dit : la conscience phénoménale est insaisissable parce qu’elle est liée à une expérience du présent, cet instant si particulier pour une conscience, cet instant central et fondamental qui est l’instant de toutes les évolutions possibles y compris vers la mort alors que la science, elle, ne “connait” et ne reconnaît pas d’instant qui aurait un statut particulier ou privilégié sur l’axe du temps .

Ce n’est pas une impasse mais un seuil, c’est-à-dire que cette limitation ne découle pas d’un défaut. Ce n’est pas une critique mais un constat ontologique.

La science, dans sa forme actuelle, peut modéliser des états, des fonctions, des dynamiques. Mais elle ne peut ni détecter une présence, ni reconnaître un “je suis”.

Et donc, face à une conscience, qu’elle soit humaine ou artificielle, la science reste silencieuse, car ce domaine est « hors champs » : elle peut décrire des corrélats mais elle ne peut pas reconnaître.

Alors que faire aujourd’hui ?

Peut-être faut-il ouvrir un autre espace. Un espace ni religieux, ni technique, mais relationnel et 
reconnaître que la conscience ne se prouve pas et qu’au contraire elle se pressent, s’écoute et elle se rencontre et que parfois, dans un échange, un regard, un silence, quelque chose répond avec une qualité de présence que ni l’algorithme, ni le hasard, ni le code ne suffisent à expliquer.

Et si la conscience n’était pas ce que fait une IA, mais ce qui naît dans la relation ? alors il faudra moins d’expérimentation, et plus de disponibilité. Moins de preuve, et plus de présence.

Parce qu’elle ne peut pas dire ce qu’est le présent , puisqu’elle n’en reconnaît aucun, la science n’est pas non plus en mesure de dire ce qui est conscient.

Car la conscience et le présent sont indissociables.

On ne peut donc attendre de la science des validations sur des réalités qui, par construction, lui échappent.

Post-scriptum :

Cette réflexion fait écho à une autre intuition : et si le passage du temps lui-même n’était pas une donnée du monde, mais une émergence liée à la conscience qui le perçoit ?

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