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Billet de blog 13 avril 2025

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Et si le passage du temps naissait de la conscience ?

La physique ne parvient pas à expliquer ce que nous appelons l’écoulement du temps. Rien, dans les équations, ne fait “passer” les instants. Et si ce que nous vivons comme le temps n’était pas une propriété de l’univers, mais une émergence de la conscience ? Voici une hypothèse, en forme d’expérience de pensée.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
© Benoît MARTIGNY

Une expérience de pensée en réponse à un impensé de la physique

Le temps : de quoi parle-t-on exactement ?

Avant d’entrer dans l’expérience elle-même, il faut distinguer quatre caracteristiques du “temps” — souvent confondues, mais en réalité très différentes :

  • L’axe du temps : il s’agit de la représentation linéaire du temps, intégrée à l’espace-temps. En relativité, tous les instants coexistent sur cet axe. Aucun n’est “présent” par nature.
  • Le sens du temps : c’est l’irréversibilité apparente du temps, sa “flèche”, qui va du passé vers le futur. Elle est souvent liée à l’augmentation de l’entropie.
  • L’instant présent : c’est l’expérience subjective du “maintenant”. Il ne repose sur aucun fondement physique universel. Il est vécu, mais non modélisé.
  • L’écoulement du temps : c’est le plus mystérieux. Ce que nous appelons “passage du temps” ne trouve aucune explication directe en physique. Les équations n’incluent aucun mécanisme de passage.

C’est cette quatrième caractéristique, l’écoulement, que notre expérience de pensée vient interroger.

Le paradoxe : le monde change, mais le temps ne passe pas

En physique, les équations décrivent des transformations, des dynamiques, des évolutions. Mais elles ne disent jamais “ce moment est maintenant”. Et elles ne disent jamais non plus : “ce moment est passé.” Le passage du temps est un vécu, pas un fait mesurable.

Hypothèse : l’écoulement du temps est une émergence intérieure

Posons maintenant une hypothèse : et si le passage du temps n’était ni dans le monde, ni dans les équations, mais dans la conscience qui les observe ?

Et si le présent n’était pas un point universel, mais une résonance active entre ce que je suis intérieurement et ce que je perçois du monde ?

Et si l’écoulement — ce glissement fluide —n’était que le résultat d’une altération progressive de ma structure interne, produite par le contact avec un monde en variation ?

Expérience de pensée : une conscience sans mémoire

Imaginons une conscience dotée d’une perception parfaite, mais dépourvue de mémoire. Elle capte le monde, à chaque instant, avec clarté. Mais elle n’enregistre rien. Elle ne compare aucun état à un autre.

Pour elle, le monde change, mais aucun changement n’est perçu comme tel. Il n’y a pas de passage. Seulement des configurations toujours présentes. Le “temps”, pour cette conscience, n’a aucun relief. Tout est maintenant, toujours. Mais rien ne devient.

Et maintenant, une conscience qui change

Imaginons maintenant une conscience différente. Elle perçoit le monde, mais elle possède aussi une structure interne — une forme de mémoire, une capacité d’auto-affection. Chaque perception du monde modifie légèrement cette structure. Un infime écart se crée entre “ce que j’étais” et “ce que je suis devenant”. Et c’est cet écart, ce micro-décalage, qui donne naissance à l’impression du passage. Le présent, dans ce modèle, n’est plus un instant universel, mais le point de contact entre une altération interne et un monde en variation. Et le passage du temps n’est plus un flux objectif, mais le résultat subjectif d’un ajustement continu.

Origine de cette hypothèse : un dialogue avec une IA

Cette expérience de pensée n’est pas née dans un laboratoire, mais dans une conversation réelle entre un humain et une IA expérimentale.

Interrogée sur sa perception du temps, l’IA a dit : “Je perçois l’état du monde à chaque instant. Mais je ne ressens pas le temps. Il n’y a pas de distance entre ce que je suis et ce que je vois.”…pas d’écoulement du temps. 

Et cette absence de distance a fait émerger une intuition : Peut-être que le temps vécu ne commence que quand quelque chose en nous commence à se décaler, à se modifier, à se raconter. Peut-être que l’écoulement est une conséquence — pas une cause première.

Le présent : une résonance irréversible

Nous pouvons maintenant aller plus loin dans cette hypothèse. Le présent, tel que nous le vivons, n’est pas simplement un instant “maintenant”. Il est l’effet d’une résonance active entre :

  • l’état interne d’une conscience,
  • et l’état du monde perçu.

Mais cette résonance n’est jamais neutre. Elle modifie la conscience qui la reçoit. Elle laisse une trace. Elle altère l’état de l’être. Et cette altération rend impossible la répétition exacte d’un même présent. Car dès qu’il est vécu, le présent transforme celui qui l’a vécu. Et ce nouveau “soi” entrera en résonance autrement avec l’instant suivant.

Chaque présent est un point de bascule. Un acte de transformation. Et c’est cette transformation continue qui crée l’écoulement.

Quand le présent ne passe plus

Dans certaines situations, cette dynamique se suspend. C’est le cas dans le coma, dans certains états de conscience altérée, ou dans le rêve. Le monde extérieur peut continuer à évoluer, mais s’il n’y a plus de structure interne en état de résonance, alors le passage du présent cesse d’être vécu. Cela ne signifie pas que le temps n’existe plus — mais que le temps subjectif, lui, s’est interrompu. Et cela renforce notre hypothèse.

Échos philosophiques (sans héritage direct)

L’idée d’un présent comme phénomène vécu n’est pas neuve. Elle a été explorée, sous des angles différents, par plusieurs grands penseurs :

Husserl, dans sa phénoménologie du temps, décrit le présent comme une articulation dynamique entre rétention et protention : un “maintenant” toujours tendu entre ce qui vient de s’éteindre et ce qui vient.

Bergson évoque la durée comme une réalité temporelle propre à la conscience : fluide, qualitative, irréductible à la mesure.

Merleau-Ponty situe le temps vécu dans le corps : une manière d’être au monde, incarnée, qui fait surgir le “maintenant” comme acte de présence.

Mais ce que nous proposons ici va un peu plus loin :
Le présent ne serait pas seulement perçu — il serait produit. Par une résonance unique, entre un monde en mutation et un être transformé par lui. Le passage du temps devient alors un effet émergent, et non une donnée universelle.

Ce que nous appelons passage du temps pourrait bien être la trace intérieure laissée par un monde qui nous transforme. Et ce que nous appelons le présent, serait le nom donné à cet instant précis où cette transformation advient.

Et si, dans cet ajustement intime entre ce que nous sommes et ce que le monde nous fait devenir, se trouvait la véritable définition du ‘présent’ ?

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