Lettre ouverte au PrésidentSarkozy
Industrie photovoltaïque :vers le Pole Emploi.
13 janvier 2011
Commebeaucoup d’autres ce matin à Toulouse-Blagnac, dans l’immense hall d’assemblagede l’A380, j’ai eu l’honneur d’être invité, en tant que chef d’entreprises etconseiller du commerce extérieur, au discours que vous avez prononcé àl’occasion des vœux aux forces économiques de la nation. « Il faut plus d’industrie française, plus d’innovation, plusd’entrepreneurs » avez-vous dit avec enthousiasme. Vous avez longuementvanté la vitalité industrielle de l’Allemagne. On voudrait vous croire. Las.
Ilexiste une industrie dont l’Allemagne est leader mondial avec plus de 200.000emplois créés, des milliers de PME, une innovation permanente et une politiqueindustrielle qui donne le « la » au marché mondial. C’est celle desénergies nouvelles et renouvelables (ENR), notamment l’éolien et le solairephotovoltaïque (PV). Curieusement, la veille (12 janv)[1]la France a décidé qu’il ne fallait pas que cette industrie se développe trop vite, sonnant même son hallali. Unedes plus dynamiques filières industrielles que le monde ait connues sedéveloppe trop vite ?!... « Ilfaut libérer les forces vives » disiez-vous ce matin aux ActeursEconomiques de la nation.
Ainsipour assurer le développement (sic) de cette énergie, il est proposé derevenir à des procédures ineptes (quotas et appels d’offre) qui ont démontré,partout dans le monde, leur inefficacité. « Unepolitique française qui innove et trace l’avenir » nous avez-vous dit.
Cetteréunion est la suite logique au moratoire de 3 mois décrété le 9 décembre quiplongeait une jeune et fragile filière dans l’inconnu. Elle était déjàflageolante après une année ponctuée d’une dizaine d’arrêtés changeant si viteles règles que tout le monde continue de s’y perdre. Panique. Déjà on licencie[2],on abandonne des projets d’investissement[3].Dans ma propre société, c’est quelques millions d’euros d’investissement quisont en jeu, des milliers d’heures de travail sur des projets représentant plusd’une centaine de millions d’euros ; la consommation électrique annuelled’une ville de 50.000 personnes. « Notremaison brûle et nous regardons ailleurs »[4].Cela ne vous rappelle rien ?
Tropvite !? Ce n’est pas anodin : soit ceux qui écrivent vos discours semoquent de vous, soit vous vous moquez des Français et dans le cas présent, desacteurs économiques du pays.
Illustronspour les ENR, cette « vision industrielle » que vous souhaitezinsuffler : là où la France planifie l’installation de 5.400 MWphotovoltaïque en 10 ans[5],l’Allemagne fera 10 fois plus[6].Là où la France entend installer 25.000 MW éoliens en 10 ans (qu’elle ne ferajamais), l’Allemagne prévoit 2 fois plus (qu’elle fera). Là où la Franceassouplit la réglementation sur le nucléaire[7],l’Allemagne lui impose une taxe de 13,8 milliards d’euros (sur 6 ans) pourfinancer le développement… des ENR.
Al’évidence, en Allemagne le soleil brille plus fort qu’en France. Trèves deplaisanterie : force est de constater que (i) notre voisin sait bâtir une politique industrielle et(ii) a fait le choix des énergies du XXIème siècle, sans forcémentrenier celles du passé.
Detrès nombreux chefs d’entreprises ont mis leur énergie (et leurséconomies !) pour développer le secteur du photovoltaïque. Nous avons créédes milliers d’emplois ces deux dernières années. Nous avons des projets encours d’instruction, de financement ou de construction. Que vont-ilsdevenir ? Que vont devenir nos salariés ? La commission Charpin/Trinka répondu hier : il faut purger, limiter, contraindre. Votre éloge audynamisme est criant de sincérité, mais nous condamne.
Undes problèmes de l’industrie française (notamment vis-à-vis de l’Allemagne, ony revient toujours…) c’est son faible tissu de PME. Pris le doigt dans le potde miel, votre gouvernement fait preuve d’une remarquable opiniâtreté à fairele contraire de vos discours. La France industrielle, ce n’est pas seulementdes grands groupes, même si Toulousains, acteurs économiques et Français, noussommes fiers de la réussite d’Airbus, qui nous accueillait aujourd’hui[8].Mais combien de centaines de milliers de salariés en Midi-Pyrénées netravaillent pas pour Airbus ?
Nepeuvent en effet résister à pareille canonnade que les mastodontes de l’énergiedont on sait combien ils ont fait opposition à la promotion des ENR. Alors quetous les pays de la planète profiteront de quelques millions d’emplois que cesindispensables filières engendreront, la France sabre à tout va, campée sur uneidéologie de nécrologues.
FranchementMonsieur le Président, peut-on réellement se passer d’énergies renouvelables etd’une industrie nationale compétitive ? Les ENR sont, après la sobriété etl’efficacité énergétique, la seule réponse pérenne à la disette annoncée. LaFrance « à perdre » continue donc son œuvre, fossoyeuse de nos espoirs et desavenirs communs. Il existe des sports où une main ne sert à rien.
Nos amis allemands disentmême : « Mit Speck fängt ManMäuse ! »[9].
Benoit Praderie
Chef d’entreprises dans le photovoltaïque, Conseiller ducommerce extérieur de la France.
[1] Commission deconcertation sur le photovoltaïque Charpin/Trink
[2] Parexemple : quelques dizaines d’emplois annoncés dans les DOM-TOM ; 95emplois chez Photowatt (5/01/11)
[3] Cf. Lettreouverte à Nicolas Sarkozy desindustriels du photovoltaïque français (7/10/10) annonçant la suspension d’unedemi-douzaine de créations/extensions d’usines de modules PV. Egalement, miseen sommeil du projet de construction d’une usine de fabrication de modulesd’une capacité de 100 MW/an à Bordeaux (EDF + l’américain FirstSolar)
[4] Jacques Chirac, Sommet de Johannesburg,septembre 2002.
[5] Loid’application du Grenelle de l’environnement, juillet 2010.
[6] « Pland’action nationale sur les énergies renouvelables » adopté le 4 aoûtdernier.
[7] Autorisationd’augmenter les rejets des centrales nucléaires sans procédure d’enquêtepublique (Assemblée Nationale, 11/05/10); Assouplissement des conditions degarantie pour le démantèlement des centrales (décret du 29/12/10).
[8] Signature le12/1/11 du plus gros contrat de tous les temps avec la compagnie indienneIndiGo (180 Airbus A320)
[9] Proverbeallemand dont l’équivalent français est : « on n’attrape pas lesmouches avec du vinaigre »