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Billet de blog 13 décembre 2025

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Lettre ouverte à France-Inter

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

LETTRE OUVERTE À FRANCE INTER


Vous êtes ma radio depuis toujours et j’ai une affection particulière pour bien des personnes derrière les voix que j’écoute. J’ai la conviction que ces personnes, qui parfois se dévoilent, ont chacune des qualités humaines, une empathie qui permettent de traduire l’actualité avec la véracité qu’elle exige. Et je fais miens les compliments quasi quotidiens qui vous sont faits au “Téléphone sonne” , “sur la qualité de vos émissions”.

Pourtant, depuis quelques années, je suis régulièrement et de plus en plus souvent heurté par des silences ou des distorsions de la réalité que je ne parviens pas à mettre en balance avec l’exercice de la liberté d’informer, que je croyais acquise, de la part de journalistes que j’estime. En voici le dernier exemple :

    Ce mardi 2 décembre, vous rendez fort bien compte de la manifestation syndicale qui a réuni environ 10 000 personnes à la Bourse de Paris. En revanche, samedi 29 novembre, s’est tenue la journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien, un événement institué par l’ONU, et qui prend tout son sens au moment où ce peuple subit un calvaire inconcevable (1). À Paris, environ 60 000 personnes ont participé à cette journée internationale et manifesté leur solidarité et leur compassion aux victimes palestiniennes dans un cortège pacifique et digne.

    Or, il n’en a pas été question dans le Journal de 19H ni de 8H le lendemain. Pourtant toute la presse écrite s’en est fait l’écho, de l’Humanité au Figaro, France Info en a parlé, les réseaux sociaux l’ont largement couvert et France Inter, la radio la plus écoutée, l’a totalement ignorée. Quelle est la raison de ce silence ? 

    Je ne peux imaginer qu’il vous aurait fallu un prétexte pour couvrir l’événement. Mais pas de poubelles brûlées, ni de grenades lacrymogènes, pas d’échauffourées pour fustiger les Black Blocs amalgamés à une citoyenneté rebelle livrée à la vindicte collective. L’expression pacifiste, donc positive de l’opinion, n’est-elle pas un sujet respectable dont les auditeurs citoyens attendent de recevoir l’écho ? Pour ceux qui s’abreuvent à votre unique source, il ne s’est rien passé.

    N’avez-vous pas reçu et entendu récemment un témoin éminent et digne de foi de par ses hautes fonctions, Francesca Albanese, qui démontre et dénonce à Gaza et en Cisjordanie, une colonisation de peuplement qui fait fi du droit international depuis des décennies et qui atteint à présent son paroxysme par un génocide que nul ne peut à présent ignorer et taire sans s’en rendre complice ? 

    Encore à propos de la Palestine, je ne vous ai pas entendu vous insurger, l’an passé, à l’instar d’autres médias républicains, contre cette atteinte flagrante à la liberté d’expression, lorsque le ministère de l’Intérieur interdisait les manifestions de solidarité avec le peuple palestinien les assimilant à de l’antisémitisme. Vous en avez traité comme d’un fait relevant de la stricte normalité.

    Toujours d’actualité est l’empêchement fait aux journalistes par Tsahal de pénétrer la bande de Gaza pour couvrir les événements. Vous êtes- vous fait l’écho - ou mieux, associés - à la plainte contre X déposée par le SNJ conjointement à votre fédération internationale des journalistes, auprès du pôle « crimes de guerre et crimes contre l’humanité » du Parquet national antiterroriste pour atteinte grave à la liberté de la presse ? En avez-vous seulement parlé à l’antenne ?

    Enfin, pas plus tard que ce matin, vous avez reçu longuement Richard Malka. Je n’ai rien à objecter à son témoignage humain de juif sans doute porteur d’un lourd passé familial. Son témoignage est légitime ainsi que la peur qu’il exprime et partage avec d’autres juifs à propos des prises de positions de la France Insoumise en laquelle il voit le retour d’un antisémitisme politique. Je crois cependant qu’il confond antisémitisme et antisionisme. 

    Mais lors de la manifestation du 29 novembre des représentants de l’association Juives et juifs pour le respect des droits du peuple palestiniens s’exprimaient dans le cortège et à la tribune de l’Assemblée, conjointement, et je dirais fraternellement, avec LFI et les autres organisations solidaires. Fustigés par les groupements d’extrême droite sioniste, et souvent menacés, leur courage est exemplaire et mérite d’être salué. N’est-il pas temps que vous invitiez un de leurs représentants pour exprimer cette autre vision de la communauté juive sur la brûlante actualité de Gaza ?

    D’ailleurs, dans le monde entier, en particulier à New York, des centaines de milliers de juifs se lèvent depuis deux années dans de splendides cortèges avec courage et détermination. N’avez-vous jamais fait connaître aux Français qui vous écoutent cet autre versant de la sensibilité juive internationale, les débats qui animent cette communauté, le rejet du sionisme autant de la part de religieux pratiquants qui lui objectent les valeurs de la Torah, que celui des humanistes et fervent démocrates qui souffrent des exactions commises par un état d’extrême droite au nom d’un pays dont ils se sentent de près ou de loin être citoyens. Leur slogan : « Pas en notre nom ! ». À France Inter, à propos d’Israël, est-ce le règne de la pensée unique ?

    À maintes reprises, j’ai été surpris que soit mis en balance sur France Inter l’agression du 7 octobre - 1221 morts & 251 otages (2) - et la réaction disproportionnée de Tsahal qui depuis deux années a dévasté la terre où vit un peuple enfermé, détruit au bulldozer leurs villes bombardées et assassiné des dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants innocents - 70 000 morts (2) comptabilisés, sans compter les disparus sous les décombres ; 18500 enfants (3) - et et la barre des 100 000 à certainement été franchie d’après l’Institut Max-Planck si l’on prend en compte les morts dûs à la famine, et l’impossibilité de soigner les maladies bénignes et les épidémies. 

    Le sujet même, la cause palestinienne, n’est-il pas finalement, et fondamentalement la cause de ce silence. Il est vrai que c’est un étrange paradoxe pour nous tous - et qui bouscule la représentation du monde sur laquelle notre pensée occidentale était fondée - que des représentants d’un peuple martyre commettent à leur tour après deux générations un génocide. Mais ne faut-il pas avoir le courage de regarder la réalité en face. 

    Je ne peux imaginer que des journalistes que j’estime pour un travail par ailleurs de si grande qualité, contreviennent à la déontologie de leur profession en faisant silence sur le plus grand drame humain de ce début de millénaire et sur la responsabilité de ses auteurs. Je ne peux pas me résoudre à ce que France Inter ne relaie plus sur ce sujet sensible que le dogme et la posture du chef de l’état, certes largement confortés par les autres gouvernements européens (5), ce qui n’est pas une excuse. 

    Qu’est devenu l’esprit critique qui fonde votre profession ? Votre honneur de journaliste n’en souffre-t-il pas ? Et les citoyens que vous êtes ne subiront-ils pas, lorsque les faits auront pris une valeur historique, un opprobre indélébile ? Je voudrais entendre de votre part que vous subissez des pressions politiques nous faisant revenir au temps où Charles de Gaulle assujettissait les rédactions nationales en en faisant son outil de propagande d’état. Mais alors, de grâce, si tel est le cas, dénoncez-le et relevez la tête avec la dignité.

Un fidèle auditeur
Benoit Coignard

(1) N’était-ce pas l’occasion de faire une journée spéciale comme vous en avez l’habitude pour des événements importants … La criminalité du narco-trafic à Marseille par exemple.
(2) D’après Le Monde du 29 avril 2025
(3) D’après la liste publiée par le Washington Post le 30 juillet 2025
(4) Chiffres publié dans le journal l'humanité du 26 novembre 2025
(5) À l’exception de l’Espagne, l’Irlande et des Pays-Bas

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