L'histoire n’est pas une longue succession d'évènements linéaires. Elle poursuit une trajectoire sinusoïdale qui lui est propre, faite de ralentissements et d'accélérations positives ou négatives. Ces derniers jours, Marseille, a monopolisé les unes des JT, des radios et des premières pages de la presse écrite. En mal, cela va presque sans dire (hélas!).
on pourrait croire qu’il s’agit là d’une succession de nouvelles qui font coïncidence, mais se serait faire preuve d’un détachement entaché de mauvaise foi. On pourrait aussi se dire que le Marseillais “mangent leur pain noir” et qu’après l’orage vient le beau temps et ce serait, pour le coup, être déraisonnablement optimiste, pour ne pas dire aveugle!
en peu de temps, nous avons eu la suite du feuilleton sanglant des Kalachnikovs, la polémique sur le recours à l’armée, l’arrivée providentielle (?) des investisseurs Qataris, les affaires touchant des élus qui offrent des “croisières” à leurs “chers” (au propre comme au figuré) administrés, l’affaire des subventions du conseil régional, celle du conseil général qui rebondit aujourd’hui avec le volet des appels d’offres et les soupçons de favoritismes, la chasse au Rroms et la duplicité coupable des pouvoirs publics locaux... et pour finir la chute de la BAC Nord.
Tout ça dans une ambiance générale de décadence, de passe droit, de résignation et d’abandon. Les déclarations tonitruantes n’y changent rien, les vue de l’esprit non plus. On vend à l’extérieur, l’image d’une ville multiculturelle, ambitieuse et résolument tournée vers l’avenir. Vue de l’intérieur Marseille est une ville où la gentrysation à marche forcée voulue par une grande partie de la classe politique locale, fait des ravages en rejetant progressivement hors du sacrosaint périmètre Euro-méditerranée tous ce que Marseille ne doit pas montrer pour paraitre belle, attractive, compétitive. Dans cette obsession municipale hédoniste, il y’a le déni de réalité sur les pratiques discriminatoires, le séparatisme social et la ghettoïsation inéluctable des quartiers populaires de Marseille.
Cette guerre à la misère se répercute par ricochets successifs : aussi les habitants des quartiers sud s’organisent et font pression pour que le logement social ne soit concentré que dans les quartiers nord, les élus qui les représentent, obnubilés par leur survie électorale (la Politique n’existe pas à Marseille !) font en sorte depuis des décennies d’organiser le séparatisme social, relayés en cela par le zèle de certains bailleurs sociaux qui vont jusqu'à mettre en place un découpage ethnique de leur parc immobilier. Par voie de conséquence, le dernier arrivé se retrouve systématiquement au centre de toutes les formes de stigmatisations. Chassés du centre et du sud de Marseille, les plus pauvres parmi les plus pauvres se retrouvent rejetés dans les quartiers nord (hier les maghrébins, les africains, aujourd’hui les Rroms…). Les quartiers nord, lieu de tous les fantasmes, de toutes les précarités, de toutes les oppressions sociales et économiques, lieu de désespoir, échec patent des politiques de la ville successives, résultat de la lâcheté institutionnelle, des postures sans lendemain, des déclarations enflammées qui génèrent un fol espoir aussitôt déçu ! Lieu de la ségrégation sociale à la française et du désengagement de l’état. Les quartiers nord, bastion politique du PS local médiocre et affairiste, dormant sur les cendres fumantes des concepts éculés de l’électorat captif et de la clientèle politique. Les quartiers nord, théâtre opérationnel du mépris de la démocratie, ou plutôt de la pseudo démocratie, vérolée par la féodalité de fait que provoque l’abus de pratique détestable érigée en institution, Babylon du clientélisme, Sodome du népotisme, Gomorrhe du post colonialisme…
Sur ce terreau favorable à la rage et à l’amertume, le court-termisme politique fait le lit de l’extrême droite qui prospère sans même faire campagne. Les tabous et les verrous sautant les uns après les autres, la voix de la haine raciale se fait entendre, elle se fait légitime, elle se prétend de bons sens, elle réécrit la norme.
Pendant ce temps l’état brandit la « République » comme talisman (dixit Mr Valls), sans même la définir, sans même se pencher sur l’inégalité de traitement : pour les cols blancs, l’impunité et la rédemption ! Pour les voleurs de poules la fermeté et la damnation éternelle ! Pour les nantis la Corniche, les petits fours et les tapis moelleux ; Pour les démunis, la mal bouffe, le tabac contrefait et les psychotropes en traitement de fond !
La touche finale de ce tableau apocalyptique vient d’être posée avec cette affaire de la BAC Nord. Une leçon pour celles et ceux qui ne jurent que par le gonflement des effectifs de police sans se poser la question fondamentale du TYPE de police qu’il faut dans ces quartiers ! Et surtout du TYPE de relation que l’état veut entretenir avec la population de ces quartiers !!!
Ces quartiers où les gens ne reçoivent plus leurs courrier normalement, où la voirie est moins bien maintenue qu’ailleurs, où se soigner devient de plus en plus difficile (menace sur l’hôpital Laveran, le centre Paul Paret…), où s’instruire relève de l’exploit, se nourrir et se vêtir est une gageure pour une multitude de familles, où la culture est une chimère et les loisirs un espoir lointain…
Malgré tout ce gâchis, Marseille a des atouts, mais l’heure est grave et il ne sert à rien de les énumérer pour se rassurer. Marseille a besoin d’un aggiornamento global du sommet jusqu'à la base parce qu’elle ressemble de plus en plus à une ville en perdition.
Bob Kane et Bill Finger ont imaginé une ville improbable qu’il situait en Amérique du nord, Gotham City capitale du crime et de la corruption, la solution aux problèmes de Gotham ils l’avaient trouvé en inventant Batman.
Nous faut-il attendre l’arrivée d’un Batman ou d’un Eliott Ness ? Je ne le crois pas, mais l’heure des faux semblant et derrière nous ! Encore une fois TOUT est à refaire, TOUT est à réinventer !
BENSAADA Mohamed
Pour Quartiers Nord/ Quartiers Forts
Marseille, le 9 Octobre 2012