Ce que le racisme doit à la bêtise, nous ne pouvons pas sérieusement l’évaluer. Mais ces derniers jours nous obligent à réagir. Nous ne pratiquons pas la polémique comme un sport et nous évitons de répondre à tous les dérapages, à toutes les injures, à tous les manquements au code de l’éthique et aux lois de la République. Pourtant, si nous taisions notre colère et notre indignation face aux assauts d’une brutalité inouïe qu’a récemment subis Mme Taubira, nous trahirions notre attachement farouche au respect de la personne humaine. C’est initialement par empathie que nous réagissons, mais aussi pour dire que la coupe est pleine et qu’il est temps de mettre un terme à un discours, un langage que nous avions cru définitivement remisé dans le placard des archaïsmes et des erreurs de l’Histoire.
Mais plus qu’un bégaiement, c’est un reflux gastrique nauséabond qui nous bouleverse toutes et tous! Plus que la garde des sceaux, comparée à une guenon, c’est l’ensemble des citoyens français qui se sont retrouvés traînés dans la boue, parce que la France n’est pas simplement un terroir, une appartenance ou un corps traditionnel national. La France est une idée qui transcende ces dimensions! Cette idée c’est celle de l’Egalité des droits et des traitements (entre autres); une aspiration à une société bienveillante qui jauge et qui juge les gens non pas sur leurs origines, leurs orientations sexuelles ou politiques, leurs obédiences religieuses, mais sur leurs compétences, leurs actions, leurs engagements et surtout sur leur nature fondamentalement humaine! La mandature présidentielle précédente a été une douleur pour des centaines de milliers de nos concitoyens qui, lors du détestable débat sur l’identité nationale, se sont sentis comme assignés à comparaître devant le tribunal populaire du chauvinisme pour faire valoir leur francité ou plus prosaïquement leur appartenance à l’espèce humaine. Nous avions cru que le couvercle avait été remis sur ce chaudron maléfique, mais il n’en n’est rien. Au contraire, on parle de libération de la parole raciste, de verrous qui auraient sauté ou de tabous dépassés.
Mais la vérité est ailleurs, elle est dans la volonté politique de certains à droite et à l’extrême droite de manipuler l’opinion publique pour lui faire accroire que le racisme serait, de facto, devenu une opinion respectable. Cette stratégie comporte plusieurs cibles de focalisation. Des campagnes islamophobes de grande envergure ont été (et sont encore) menées à l’encontre des français et des non français musulmans, avec pour résultat la banalisation d’un discours rance et sa “notabilisation”. Peu nombreux sont les membres de l’élite médiatique ou politique qui considèrent ce racisme comme dangereux ou intolérable, à tel point qu’au quotidien la France est devenue aujourd’hui un pays partiellement hostile aux musulmans. Les Roms ont eux aussi été la cible privilégiée d’un racisme décomplexé et largement assumé par un large spectre de la population et des politiques. Là aussi les lignes de démarcations ont largement été franchies. Certains faisant même de l’expulsion des familles Roms un argument électoral, au mépris de toute considération morale, en contradiction frontale avec nos beaux principes et des leçons que nous ne cessons de donner au monde en matière de droits de l’homme. A ces catégories de “ citoyens cibles” sont venus aujourd’hui se rajouter nos concitoyens de couleurs. Et comme à l’époque coloniale se sont les mêmes ressorts qui animent cette négrophobie. Comme une réédition brutale et augmentée de “Tintin au Congo”!
La vulgaire abjection du dérapage de la candidate FN au sujet de Mme Taubira ne le dispute qu’à son stupide entêtement à vouloir assumer et justifier son odieuse façon de faire de la politique!
Mais nous nous inscrivons définitivement en faux contre cette facilité sémantique qui consisterait à minorer le délit et à le réduire à l'expression isolée d’une structuration mentale et politique inachevée. Le discours du FN est un discours inégalitariste, clivant, stigmatisant. Si cette responsable, comme déjà beaucoup d’autres, s’est cru autorisée à publier cette ignominie sur sa page Facebook, c’est qu’elle a cru ou croit toujours que le pays est “mûr” pour ce discours et que l’on peut impunément, en 2013 et en France, traiter les noirs de singes, les arabes de terroristes, les homos de pédales et les Roms de voleurs!
Malgré cela le discours du FN ne nous préoccupe pas, nous l’avons toujours combattu, nous le combattons et nous continuerons à le combattre! Ce qui nous inquiète, c’est la diffusion des idées de ce parti extrémiste et la banalisation de ses thématiques de prédilection, comme si le FN était devenu l’épicentre politique et idéologique du pays, obligeant chacun à se positionner par rapport aux obsessions programmatiques de cette organisation. Et c’est là le premier signe d’un renoncement politique collectif de la part des partis de la droite traditionnelle, mais aussi de la part d’une partie (de moins en moins marginale) de la gauche. Celles et ceux qui croient que l’on peut faire des compromis ou des concessions à ce parti se leurrent! Il n’y a rien à négocier avec le FN, celui du père, de la fille ou de la petite fille. Les voix se font moins graves, la diction moins martiale, mais les sourires sont toujours carnassiers et les idées toujours aussi indéfendables! Rien ne change et c’est le propre de l’extrême droite que de recycler indéfiniment les mêmes cauchemars, les mêmes inepties, les mêmes impasses! D’ailleurs nous restons stupéfaits par la propension des éditorialistes à “dédiaboliser” le FN. Lors même que celui-ci maintient son concept (anticonstitutionnel) de “préférence nationale”, lors même que sa présidente nous afflige de ses supputations méphitiques au sujet des otages libérés, lors même que toutes les enquêtes menées en immersion dans le parti (anciennes ou récentes) nous étalent la vraie nature de cette officine!
Dans l’absolu il n’y a pas plus aveugle que celui qui refuse de voir et pas plus sourd que celui qui ne veut pas entendre! Mais nous avons les yeux grands ouverts et les oreilles propres. De plus, nous avons une bouche qui n'arrêtera pas de dénoncer le FN et ceux qui lui font des courbettes! Et si Mme Taubira est aujourd’hui la cible répétée des attaques de la droite et de l’extrême droite, il ne faut surtout pas y voir un concours de circonstances ou une pure coïncidence. Rien ne peut autant ulcérer les tenants des discours essentialistes que le parcours politique et l’engagement d’une personnalité telle que la garde des sceaux! Elle incarne, avec d’autres, le contre argumentaire vivant et patent de leurs postulats politiques.
Pour finir, nous témoignons notre solidarité à Mme Taubira et plus encore nous recevons pour nous même l’insulte qui lui a été faite! De même, nous témoignons notre soutien à toutes celles et ceux qui se sentent contestés, marginalisés, stigmatisés dans ce pays. Nous disons que nous sommes eux et qu’ils/elles sont nous et que, quoi qu’il advienne, il nous trouverons à leurs cotés pour combattre le racisme par tous les moyens nécessaires! En commençant par manger des bananes, par goût et aujourd’hui par défi!
« Mal nommer les choses c’est ajouter du malheur au monde. », Albert Camus.
« Apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir ensemble comme des idiots », Martin Luther King.
Collectif des Quartiers Populaires de Marseille et environs
Marseille, le 10 Novembre 2013 (Publié seulement aujourd'hui suite à sa validation en pléniere de l'Assemblée Populaire du 16/11/2013)