bensaada mohamed  (avatar)

bensaada mohamed

Abonné·e de Mediapart

33 Billets

1 Éditions

Billet de blog 27 janvier 2011

bensaada mohamed  (avatar)

bensaada mohamed

Abonné·e de Mediapart

Révoluti on Tunisienne, ce que ça change.

bensaada mohamed  (avatar)

bensaada mohamed

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Lorsque le 9 novembre 1989 le mur de Berlin s’effondraitinéluctablement, peu nombreux étaient ceux qui prédisaient la chute de l’empiresoviétique dans la décennie suivante. Peu nombreux étaient ceux qui mesuraientla portée symbolique et les répercussions irréversibles de la destruction de cemur de la honte. Rétrospectivement il est toujours évident de tirer desconclusions et de clamer sa préscience des événements, tout commeau lendemain des libérations et des révolutions les opposants et résistants dela veille se retrouvent noyés au milieu d’un fleuve de combattants de la 25èmeheure.
En vérité, seuls les militants d’une cause juste ont l’espoir fou que leschoses peuvent changer…et ils/elles sont peu nombreux. Mohamed Bouazizi en s’immolant par le feu ce 17 Décembre 2010 ne savait pas qu’il allaitpar son sacrifice déclencher un ouragan révolutionnaire qui emporterait lerégime de Ben Ali. Il ne le savait pas et personne ne le savait, beaucoup l’espérait !
Pendant plusieurs semaines, pendant que l’effervescence tunisienne mobilisaitl’attention du monde arabe, de l’Afrique et des militants et sympathisants descauses populaires à travers le monde, la novlangue médiatico-politique récitaitsont lamentable couplet sur « les émeutes en Tunisie ». Evidemment,dans l’esprit des tenants de ce discours il ne faisait aucun doute que desarabes ne pouvaient pas, ne devaient pas être capable de faire une révolution.Ce complexe de supériorité néocolonial témoigne de la complaisanceintellectuelle d’une partie de nos élites à l’égard des pouvoirs, de quelquenature qu’il soit. Il témoigne de cette docilité à l’égard « dupouvoir » en général, aussi odieux et caricatural fut il ! Et puis,parlons franchement, l’Histoire est là pour témoigner de la capacité decertains peuples à s’émanciper, et sur l’inaptitude d’autres peuples à laliberté et à la Démocratie.
L’odeur enivrante de la Liberté.
J’ai la chance d’être arabophone, et lorsque ce 14 Janvier 2011 vers 18H,en zappant frénétiquement d’une chaîne à l’autre, je suis tombé surl’allocution de Mohamed Ghanouchi qui annonçait en direct sur Al Jazeera queBen Ali était dans l’incapacité de « présider » pour cause de fuitehonteuse vers une destination inconnue, je me suis mis à pleurer de joie, cettejoie rare dans la vie des hommes, cette joie qui submerge et soulage, une joietranscendantale et rédemptrice. Ce genre de sensation qui vous rend toutpossible. Une joie emplie de fierté et d’admiration à l’égard de ce peupleTunisien qui venait de mettre à bas, envers et contre tout, une des dictaturesles plus implacables de la planète. J’ai pleuré comme un enfant, époustouflépar ce que les tunisiens, au prix d’une lutte héroïque et exemplaire, venaitd’accomplir. Je me suis mis à appeler tout mon petit monde pour partager cetinstant d’éternité avec eux et j’ai entendu le souffle court de mesinterlocuteurs téléphoniques, j’ai senti la tension dans leurs paroles et cettedouce incrédulité de la victoire, j’ai entendu leurs cœurs battre au diapasondu mien et du peuple tunisien. La rue arabe venait de prouver à la face dumonde que tout est encore possible même à celles et ceux qui dans le concertdes nations tiennent lieu de parias, d’attardés, de relégués ! Une joie quieffaçait à elle seule des lustres de frustration, d’oppression, de sousdéveloppement, d’analphabétisme, de pauvreté, de tyrannie et d’injustice. Unejoie qui prenait sa revanche sur des années de condescendance, de mépris et depaternalisme. Une revanche symbolique sans méchanceté, sans amertume contrel’histoire et ses outrages, contre les regards en biais, contre le racisme etcette faculté qu’il a de nous démontrer notre « infériorité » etcelle qu’il a de conforter les autres dans leur « supériorité ».Dans mon panthéon le peuple tunisien vient de s’arroger une place éminente etdans l’esprit de tous les militants de la liberté il doit s’y retrouver.
La rue Arabe? Vous avez dit Arabe?
Ce vieux père de la nation arabe, Hussein Ibn Ali, à laisser à la postérité lamémoire de sa lutte contre l’impérialisme ottoman et l’idée d’une communauté dedestin des peuples arabes. De cet héritage de nombreux intellectuels et hommespolitiques façonnèrent au gré de leurs combats et de leurs réflexions, leconcept du panarabisme. Concept culturel et politique qui transcende ladiversité religieuse pour ne retenir que l’appartenance ou le sentimentd’appartenance à la culture et à la civilisation arabe. De la chute de l’empireOttoman à la colonisation et aux luttes pour l’émancipation des peuples duMaghreb jusqu’au Machrek les combattants de la libération y ont puisé unepartie de leur inspiration et de leur légitimité. Sa traduction politique seretrouve dans le parti Baas en Syrie et en Irak, le Nassérisme en est aussi unedéclinaison. Bien entendu, cette filiation n’a pas été à la hauteur de l’espoirde ces peuples et les dérives dictatoriales ont succédées au joug colonial. Lepanarabisme subsiste pourtant encore dans le fait que (par exemple) tous lesarabes se reconnaissent dans le calvaire du peuple palestinien, et si l’idéen’est plus de réorganiser la nation arabe à l’image de ce qu’elle fût au VIIèmesiècle, la langue arabe parlée de Nouakchott à Aman, de Damas à Tunis et duCaire à Rabat, donne un consistance à ce sentiment. Evidemment ce sentimentpanarabe fait partie d’un état d’esprit atavique où la nostalgie désuète sertde bouée de sauvetage à des millions d’hommes et de femmes en prise directeavec une réalité bien moins reluisante que ce glorieux passé tant fantasmé.Cette réalité est faite de sous développement, de restriction, decorruption, d’aliénation des libertés individuelles et collectives, debrimades. Elle est faite d’injustice et d’inégalité, d’une féodalité basée surla force, la peur et l’argent. Dans tous les pays arabes, avant la révolutiontunisienne et excepté la Palestine où la démocratie s’exprime malgrél’occupation Israélienne, les régimes en place sont des autocratiesautoritaires au mieux, dictatoriales au pire. Dans tout le monde arabe lesgouvernements sont accrochés à leurs pouvoirs respectifs comme d’indélogeablesarapèdes. Chaque mouvement géopolitique majeur est pour eux le prétexte pourre-légitimer indéfiniment leurs longévités à la tête de leurs états.L’indépendance et le rôle qu’ils ont pour la plupart joué dans ces luttesconstitue souvent le socle de leurs accession au pouvoir. Ensuite vinrent lesalignements (ou les non alignements) respectifs au bloc Est et ouest, puis lesconflits frontaliers qui mobilisent et canalisent la fureur du peuple sur levoisin. Le choc de la révolution iranienne et le « dangerislamiste » qui fut la marotte des années 80/ 90, aujourd’hui « Laguerre contre le Terrorisme » sert de paravent à toutes les critiques etjustifie à elle seule que les aspirations du peuple soient sacrifiées surl’autel sécuritaire. Cet assujettissement de l’ensemble des peuples arabes pardes oligarchies décadentes et corrompues, ne sachant répondre, aux populationsdont ils ont la charge, que par la répression, la censure et la brutalité, afini par faire accroire même aux plus déterminés que cette « Hoggra »(injustice-mépris) était une fatalité et que la Démocratie, la liberté et l’égalité ne pouvait pas s’appliquer aux nations arabes ! Le choixpolitique se résumait à deux alternatives : l’Islam politique radical oule régime autoritaire et liberticide. Les tunisiens viennent de réinventer unautre possible pour la rue arabe, et cette perspective doit hanter les jours etles nuits de tous les dirigeants arabes, parce que tout les peuples arabes sesont reconnus dans la lutte tunisienne et que tous les arabes se sont sentistunisiens, comme nous nous sentons tous palestiniens ! De l’autre cotétous les chefs d’états arabes se sont reconnus en Ben Ali; Tous savent maintenantqu’ils font partie du passé et que le schéma politique actuel, en cours dansces pays, est révolu! Tous savent que l’Histoire est enfin en marche de ce cotéci de la Méditerranée, et que la façon dont se produiront les changements netient finalement qu’a leur intelligence...parce que les changements se feront!Avec ou sans eux! Avec ou contre eux!

Elargissons la perspective.
Fraîchement libéré des griffes de sa gracieuse Majesté et de son EmpireBritannique, Kwame Nkrumah eut une vision: celle d’une Afrique forte, libre,souveraine et solidaire. Lors de la 7ème Conférence panafricaine à Accra il entonnaun retentissant “United States of Africa, NOW!!!”. En le disant il savait quele chemin serait long et tortueux, qu’il passerait par l’étape des fédérationsrégionales et qu’il faudrait dépasser les nationalismes ombrageux, les calculspersonnels, les rivalités ethniques pour parvenir à l’élaboration d’unePolitique africaine Commune. Il le savait tout comme d’autres, qui à la veilleet au lendemain des indépendances des pays du Maghreb, se mirent à rêver d’unMaghreb uni à 3 ou à 5 entités. Les Ben Barka, Ben Bella et Bourguiba se lepromirent au nom de cette fraternité maghrébine qui avait été le ciment dusoutien indéfectible que les marocains et tunisiens, déjà libérés (de lapuissance coloniale), avait offert aux frères algériens dans leur luttetragique et sublime face à la métropole. Les lendemains qui chantent sontrares, et l’histoire du Maghreb post colonial est là pour nous le rappeler. Maisla révolution tunisienne, même s’il faut être prudent, ressuscite brusquementce rêve enterré depuis 50 ans. Ce qui change c’est que si les peuples duMaghreb accèdent tous à la Démocratie réelle, ils seront à même de comprendreque leur avenir passe par l’unité du Maghreb et l’unité Africaine. Ce que lesdirigeants ont été incapables de réaliser, par incompétence, lâcheté oumesquinerie nationaliste, les peuples eux le feront. Les peuples du Maghreb ont compris que leur intérêt n’est pasd’adhérer à l’Union Pour la Méditerranée, et que comme Ben Ali, les autreschefs d’états ont bradé leur pays enparticipant à cette entreprise néocoloniale. Tout comme pour l’Afrique subsaharienne les Accords dePartenariat Economique sont univoques et ne profitent qu’aux multinationales dunord et aux oligarchies du Sud au détriment des populations. Le Maghreb unin’est pas une chimère irréalisable, c’est même l’échelon efficient pourcommencer à rééquilibrer les pressions de la mondialisation, sachant que lamondialisation, n’est pas seulement un effet de la libéralisation du marché,mais aussi et surtout une nouvelle forme d’impérialisme qui a pour ultimeobjectif d’accaparer l’ensemble des richesses et des ressources du monde auprofit d’une minorité possédante et qui tend à devenir omni-possédante. UnMaghreb uni c’est choisir de reprendre en main le destin du peuple, s’ouvrirdes perspectives économiques en interne et assurer un essor économiquesuffisant pour subvenir aux besoins de la population en termes d’emploi, delogement, de santé, d’éducation et de culture. Rehausser l’indice dedéveloppement humain des peuples du Maghreb c’est parier sur l’immenseréservoir de talent de la jeunesse nord africaine. Ce pari doit être relevé, si l’on veutvraiment rentrer de plein pied dans une nouvelle ère de Démocratie et deprospérité.

Ce que ça change ici.

La mobilisation contre la réforme des retraites démontre àtous ceux qui ont des yeux pour voir et des oreilles pour entendre, que l’enviede résister est là intacte, formidablement puissante. Mais la fin du conflitnous montre aussi, que de ce coté ci de la grande mer intérieur, la résignationest aussi là pour marquer les limites de cette mobilisation. C’est comme si lesmanifs, les grèves, les actes de désobéissance civile et tout ce capitald’indignation se heurtait au mur infranchissable de la déterminationultralibérale du gouvernement. Cette résignation qui nous pousse à croire queles combats que nous menons sont perdus d’avance et que, après tout, nous avonsfait ce que nous devions…et tant pis pour nous tous !

Cette détestable inéluctabilité des « Réformes »apparaît comme la seule issue du combat, parce qu’idéologiquement, lespsycho-sociopathes capitaliste ont gagné la bataille depuis les années80.Depuis Reagan et Thatcher (« ThereIs No Alternative »), le capitalisme triomphant a remodelé lesesprits, dans le sens d’une éradication des valeurs de solidarité, d’équité etde justice sociale. Tout a été mis en œuvre pour annihiler l’instinct grégairede l’Homme. Tout a été fait pour flatter l’hédonisme, le consumérisme et lacompétition pour aboutir à une atomisation sociale dont l’hyper-individualismeest le symptôme le plus significatif. Le gout et l’intérêt pour les autres nese retrouve que dans la virtualité des « réseaux sociaux » du Net.Cet isolement interdit toutes les prises de conscience collective et permet àl’arrogance des gouvernants de devenir insultante : « En France,quand on fait la grève, plus personne ne s’en aperçoit », phrase assassinede notre président. Mais l’arrogance etle mépris ont des limites, la France a répondu cet outrage…pas assez !Pourtant à bien y réfléchir la Tunisie est un espoir pour tous les peuples dumonde, pour tous ceux qui refusent l’ordre établi, les marchés financiers, labourse, les délocalisations, le FMI, les plans sociaux, les licenciementsboursiers, la financiarisation tous azimuts, les plans de restructurations, lesarrangements d’en haut et les condamnations d’en bas, l’injustice, l’obscénitédes golden parachutes, les subventions octroyés aux entreprises qui licencient,les sans papiers que l’on chasse, les ministres condamnés et sans honneurs quis’accrochent à leurs maroquins comme la misère s’accroche au monde, lesministres qui propose l’aide de la police française aux dictateurs enperdition, les Bettencourt et les Bannier, les Woerth et les Sarkozy, les MAMet les Hortefeux, ceux qui donnent des leçons de démocratie à la Cote d’Ivoireet feignent d’ignorer leurs amis d’Afrique du Nord, du Gabon, du Congo, duBurkina ou d’Egypte. Pour celles et ceux là, la Tunisie marque un tournant,donne une réponse, une gifle magistrale : rien n’est acquis !!! Et siWarren Buffet triomphait en renversant le concept de lutte des classes etaffirmait avec ostentation l’écrasement des classes populaires, les tunisiensviennent de tout remettre à plat ! Rien n’est définitif et oui c’est larue, le peuple qui gouverne quoiqu’en dise notre sinistre Fillon !!! Lesesprits chagrins m’objecteront que rien n’est encore fait en Tunisie et que sile dictateur est chassé, la Démocratie n’est pas encore instaurée. Et après,combien de temps a-t-il fallut à la France pour se débarrasser définitivementde la Monarchie et de l’Empire ? La Tunisie vient de remettre au gout dujour une vérité fondamentale, on ne peut pas gouverner dans l’injusticesociale, aussi petite soit elle.

Je ne me permettrais pas de porter un jugement sur le coursdes événements en Tunisie, sur la nature du gouvernement transitoire, ladémission de certains ministres, sur lerôle de l’UGTT, et le manque de place accordé à la jeunesse qui a porté cetterévolution à bout de bras et l’a payé chèrement de son sang. J’ai confiance enla maturité des Tunisiennes et des Tunisiens et je suis convaincu qu’ils/ellessauront se débarrasser des remugles de la dictature, du RCD et de tous ceux quiont du sang tunisien sur les mains. Je vois la colère dans les rues du Caire etje sais que Moubarak n’est pas seul à trembler ! Au « Indignez-vous ! » de Stephane Hessel, les tunisiensnous envoient un message autrement plus subversif : INSURGEZ VOUS !!!

Mohamed BENSAADA

Pour Quartiers Nord/ Quartiers Forts

27 Janvier 2011

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.