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Billet de blog 20 avril 2009

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Le diagnostic iconoclaste d'un ancien économiste en chef au FMI sur la crise financière américaine

Dans un entretien au magazine «The Atlantic », dont j’ai trouvé la relation sur le remarquable blog de Paul Jorion, Simon Johnson, ancien économiste en chef au FMI, nous propose un très intéressant exercice : quels auraient été le diagnostic et les recommandations de l’organisme auquel il a longtemps appartenu, si ce dernier avait été appelé au chevet de l’économie américaine frappée par la crise de son industrie financière ?

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Dans un entretien au magazine «The Atlantic », dont j’ai trouvé la relation sur le remarquable blog de Paul Jorion, Simon Johnson, ancien économiste en chef au FMI, nous propose un très intéressant exercice : quels auraient été le diagnostic et les recommandations de l’organisme auquel il a longtemps appartenu, si ce dernier avait été appelé au chevet de l’économie américaine frappée par la crise de son industrie financière ?

Notre économiste débute son exposé par un rappel : c’est le métier du FMI de traiter les crises financières, leurs origines et leurs conséquences économiques et cet organisme l’a fait à maintes reprises au cours des trente dernières années, en Amérique Latine, en Asie du Sud-Est, en Ukraine, en Russie…

Toutes les crises financières, souligne Simon Johnson, « se ressemblent désespérément » par leurs causes même si leurs formes et leurs conséquences peuvent être très différentes et leur « solution économique est rarement difficile à trouver ». Ce qui fait difficulté, selon lui, et constitue l’obstacle majeur à leur règlement, c’est « la politique conduite par les pays en crise ».

Il explique cela en utilisant l’exemple des crises financières traversées il n’y a pas si longtemps par des pays émergents : « Habituellement, les pays émergents en déconfiture le sont parce que leurs élites se sont laissées emporter lors la période des vaches grasses et ont pris trop de risques. Les gouvernements des pays émergents et leurs alliés du secteur privé forment en général une oligarchie très unie…, dirigeant le pays à peu près comme une entreprise lucrative dans laquelle ils sont les actionnaires majoritaires ». Dans ce contexte très favorable, « les capitaines d’industrie de ces pays commencent par faire des investissements qui bénéficient clairement à l‘économie puis ils se mettent à faire des paris de plus en plus importants et risqués, considérant -correctement la plupart du temps- que leurs connexions politiques les autoriseront à se défausser sur la collectivité (le gouvernement, et donc, en dernier ressort, le contribuable) de toute difficulté majeure qui surviendrait ». Mais, ajoute Simon Johnson, « le surendettement qui résulte de ce genre d’emballement connaît toujours une fin tragique » et vient le moment où les gouvernements « doivent stopper l’hémorragie, en mettant un terme aux comportements à risque, voire en éliminant quelques oligarques et restructurer un système bancaire en profond déséquilibre » même s’ils s’efforcent de retarder les échéances par tous les artifices possibles.

« Nombre de programmes du FMI, note Simon Johnson, déraillent parce que les gouvernements concernés préfèrent les expédients, dont le plus tragique d’entre eux, l’inflation, plutôt que de reprendre les rênes ». Et il conclut : « A partir de ses longues années d’expérience, le FMI sait que ses programmes réussissent -stabiliser l’économie et relancer la croissance- si et, seulement si, quelques uns des puissants oligarques qui firent tant pour créer les problèmes sous-jacents sont mis hors de combat. C’est le problème de tous les marchés émergents ».

Or, observe Simon Johnson, « de par sa profondeur et sa soudaineté, la crise financière et économique américaine rappelle celles qu’ont connues des marchés émergents comme la Corée du Sud, la Malaisie, l’Indonésie, la Thaïlande, la Russie, l’Argentine… Dans chacun de ces cas, les investisseurs étrangers, effrayés que le pays ou son secteur financier ne puissent faire face à leur montagne de dettes, stoppèrent brusquement leurs financements…C’est précisément ce qui a conduit Lehman Brothers à la banqueroute le 15 septembre, provoquant un cataclysme financier puis économique…Mais il existe une similitude plus profonde et plus dérangeante : les intérêts de l’élite financière américaine ont joué un rôle central dans l’émergence de cette crise, pariant de plus en plus gros, avec l’accord implicite du gouvernement, jusqu’à l’inévitable effondrement. Plus inquiétant encore, ils utilisent maintenant leur influence pour prévenir les réformes nécessaires… ».

En un peu moins de trente ans, le secteur financier a accru de façon considérable -certains diraient excessive- son poids et son emprise dans et sur l’économie américaine : ses profits représentent aujourd’hui plus de 40% des profits cumulés des entreprises nationales contre 16% au début des années quatre-vingt et une personne employée par ce secteur est en moyenne deux moins mieux payée.

Ce poids et cette emprise, il les a obtenus au prix d’un démantèlement des règles existantes , d’un refus absolu de toute règlementation sur les nouveaux outils financiers qu’il créait (l’exemple le plus marquant est le refus de réglementer les CDS), d’un encouragement à l’endettement rendu possible par une politique de taux d’intérêt bas, d’une défausse de la responsabilité de cet endettement dans des conditions de loyauté et de transparence discutables (la fameuse titrisation et son cortège de produits dérivés), défausse dont la généralisation a transformé la crise en crise systémique, d’une neutralisation -voire d’une connivence-des instances de contrôle (SEC, FDIC, FIMA…), de labellisation (agences de notation) et de validation (auditeurs), d’un déséquilibre vertigineux de la balance commerciale compensé par la captation de l’épargne des pays exportateurs, captation permise par le statut de monnaie de réserve du dollar, de la libre circulation des capitaux, surtout en provenance et à destination des paradis fiscaux et judicaires, de l’augmentation importante de l’effet de levier (non plus un ratio de un à quatorze, mais un ratio de un à quarante !), de l’autorisation, pour les banques, d’évaluer elles-mêmes leurs risques (on n’est jamais si bien servi que par soi-même !), du développement exponentiel du hors bilan…

Mais il n’a pu les obtenir que parce que s’est créé un véritable corridor Wall Street/Washington, corridor caractérisant la symbiose intellectuelle (les mêmes analyses économiques), morale (le même credo économique et les mêmes valeurs), humaine (des échanges fréquents et significatifs de collaborateurs), et même, certains mauvais esprits n’hésitent pas à le suggérer, matérielle (les mêmes intérêts ou, du moins, des intérêts croisés) qui existe entre ces deux lieux de pouvoir.

Au principe de ce corridor, il y avait une croyance et une illusion :

- la croyance que ce qui est bon pour Wall Street est bon pour les Etats-Unis,

- l’illusion que les dirigeants de Wall Street savent ce qu’ils font, illusion renforcée par la pseudo-science des modèles mathématiques dont se targuait la haute finance jusqu’à ce que la crise démontre leurs criantes insuffisances.

Avec la crise, dont le premier avatar fut l’éclatement de la bulle des subprimes, cette croyance et cette illusion se sont évanouies mais pas les intérêts qu’elles servaient. Pour Simon Johnson, c’est ce qui explique que « les caractéristiques principales de la réaction du gouvernement à la crise financière ont été le retard, l’improvisation, le recours à la pensée magique, le manque de transparence et l’absence de volonté de déranger le secteur financier ».

Il décrit la politique menée comme une « politique du coup par coup et à huis-clos » aboutissant à des arrangements concoctés selon des modalités contestables : «Certains de ces arrangements ont peut-être été des réponses raisonnables à la situation immédiate. Mais il n’a jamais été clair -et ce ne l’est toujours pas- quelle combinaison d’intérêts furent servis et comment. Le Trésor et la FED n’agirent en accord avec aucun principe énoncé publiquement, mais ils se contentèrent d’élaborer la transaction et déclarèrent que c’était ce que l’on pouvait faire de mieux étant donné les circonstances. C’était des affaires de petit matin dans une arrière-salle, point à la ligne ».

« Tout au long de la crise, remarque Simon Johnson, le gouvernement a pris garde de ne pas déranger les intérêts des institutions financières et de ne pas mettre en question les bases du système qui nous a conduits là… Les 700 milliards de dollars du plan Paulson, initialement prévus pour racheter des actifs toxiques sans conditions et sans audit, ont finalement été utilisés pour recapitaliser banques dans des conditions grossièrement favorables à ces dernières. A mesure que la crise d’aggravait, le gouvernement a recouru à des techniques de plus en plus complexes de subventionnement de l’industrie financière à des conditions de plus en plus avantageuses pour cette dernière, en s’ingéniant souvent à ce que le public ne pût comprendre ce qui était réellement fait mais, surtout, en plaçant au dernier plan l’intérêt du contribuable… Le dernier épisode de la politique de sauvetage conduite l’affiche cyniquement : il s’agit de procurer des prêts bon marché aux hedges funds et autres afin qu’ils puissent acheter des actifs toxiques à un prix relativement élevé, ce qui permettra, comme l’a déclaré sans ambages au Congrès un dirigeant important du Trésor, à des investisseurs d’acheter ces actifs à un prix intéressant tant pour eux que pour les banques qui les détiennent ». Comme le note Simon Johnson, ce dirigeant oublie l’intérêt du contribuable, pourtant le principal intervenant au schéma retenu tant en capital qu’en prêt !

Le paradoxe de la situation présente, dénonce Simon Johnson, c’est que l’industrie financière américaine, pourtant cause principale de la crise, n’a cessé de gagner en capacité d’influence sur le pouvoir politique. Elle a réussi cela en exploitant habilement et avec un certain machiavélisme la peur d’un effondrement général, ce que lui a permis d’éluder ses responsabilités écrasantes, d’imposer sa façon de voir et, surtout, de ne pas être contrainte à reconnaître l’étendue et la gravité de sa faillite.

Or c’est là que, pour lui, réside le défi à relever : « A la racine du problème des banques, se trouvent les pertes énormes qu’elles ont indubitablement subies sur leurs portefeuilles d’assurances et de prêts. Mais elles ne veulent pas reconnaître l’étendue complète de leurs pertes parce qu’elles seraient déclarées insolvables. Aussi minimisent-elles le problème et demandent des aides insuffisantes pour les assainir mais qui leur permettent de tenir encore. Ce comportement est délétère : les banques malades ne prêtent pas mais elles se contentent, avec l’argent public qui leur est donné, de reconstituer leurs réserves et/ou elles font des paris encore plus risqués pour sortir de leur impasse… Pour briser ce cercle vicieux, le gouvernement doit contraindre les banques à reconnaître l’échelle réelle de leur déconfiture… Et la manière la plus directe de le faire, c’est la nationalisation ».

« La nationalisation, précise Simon Johnson, n’impliquerait nullement une propriété définitive de l’Etat. Il suffirait de faire intervenir la Federal Deposit Insurance Corporation et de placer les banques sous administration judiciaire : cela autoriserait le gouvernement à écarter sans ménagement les actionnaires des banques, de remplacer les directions défaillantes, de nettoyer les bilans, de transférer les actifs toxiques à une structure gouvernementale indépendante garante des intérêts des contribuables, enfin de revendre les banques au secteur privé ».

« Nettoyer les mega-banques constituera une entreprise complexe et coûtera cher au contribuable ; si l’on se réfère aux derniers chiffres du FMI, le nettoyage de l’industrie financière devrait exiger pas moins de 1500 milliards de dollars, soit 10% du PIB ».

« Cela peut sembler déjà, à cela seul, un traitement de cheval » mais, ajoute Simon Johnson, « ce serait insuffisant. Le second problème que doivent affronter les USA -le pouvoir de l’oligarchie financière- est au moins aussi important que la crise actuelle du crédit. Le conseil du FMI sur ce point serait une fois encore très simple : casser les reins de l’oligarchie. Des institutions financières surdimensionnées influencent les politiques publiques de manière disproportionnée : le fameux too big to fail. La nationalisation et la reprivatisation ne changeront pas cela à elles seules ; le remplacement des dirigeants qui nous ont entraînés dans la crise ne serait que le remplacement d’une oligarchie par une autre. Il faudra donc, par une actualisation de la législation américaine anti-trust, démanteler l’industrie financière, en réduisant la taille des établissements qui la constituent et en interdisant le schéma de banque universelle, ce qui évitera le chantage du too big to fail, arme de destruction massive, ou plutôt moyen éhonté de chantage, et, plus généralement, renforcer considérablement par la loi la promotion de la libre concurrence et de la transparence ».

Pour terminer, Simon Johnson s’interroge sur la probabilité de mise en œuvre, par l’administration américaine, d’une politique aussi énergique que celle qu’il préconise. Si les Etats-Unis étaient un pays comme un autre qui viendrait au FMI le chapeau à la main, il serait assez optimiste à ce sujet. Mais « comme les Etats-Unis sont la nation la plus puissante du monde et qu’ils jouissent du pouvoir exorbitant de pouvoir payer leurs dettes dans leur propre monnaie, ils pourraient hoqueter encore longtemps sans avoir la force de rompre avec un passé et un présent calamiteux et de prendre les mesures qui s’imposent. ». Il juge donc plus plausible que les Etats-Unis persisteront encore dans leur politique de demi-mesures et de faux-semblants, s’exposant à un « continuel roulement de sauvetages » épuisant très vite leurs effets et ne parvenant pas à résoudre durablement la crise. Mais cette dernière s’aggravant, l’économie mondiale pourrait commencer à vaciller de façon très inquiétante, ce qui pourrait contraindre Washington à un sursaut de lucidité et de courage.

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