Nous sommes début mars 2024. J’ai 22 ans. Je n’ai plus d’espoir.
Tu es jeune, tu ne sais rien de la vie, ça va aller, à ton âge nous on avait la guerre froide, on avait la guerre du golfe, on se plaignait pas.
Quand vous aviez mon âge, vous aviez espoir. Oui vous aviez des guerres, mais vous les saviez passagères. Vous étiez étudiant.es peut-être, vivant encore avec les échos glorieux de 68, vous saviez que l’emploi vous attendait, que oui bien sûr que vous alliez l’avoir votre prêt immobilier. Vous étiez au balbutiement de l’éveil technologique, la science allait vous sauver, et vous connaissiez encore la différence entre hiver et été.
Moi je suis née après 2001. Génération Z, celle qui connaitra notre fin. Je n’ai pas connu de paix. Depuis 2001, le monde est en guerre permanente, Irak, Iran, Afghanistan, Syrie, Yémen, Congo, Bahreïn, Ukraine. J’assiste à un génocide actuellement, financé par notre président.
Je suis la première génération de la fin de l’humanité.
Comment je le sais ? Ah mais c’est vous qui nous l’avez dit. Dès mes 10ans on nous a rebattu les oreilles de vos espoirs : vous serez la génération qui sauvera l’histoire. Ma génération a été modelée à sauver un monde qu’elle n’a pas détruit. Car oui, je me souviens des premiers discours d’écologie, comment nous, enfants de France, allions sauver le monde, en prenant conscience de la nature qui nous entoure, et qui est à protéger. 10 ans après, je n’ai pas vu de papillons depuis 3 ans. La génération Alpha est née et ne connait pas la différence entre été et printemps. En 10 ans, j’ai vu mourir des dizaines d’espèces, que mes enfants verront dans les livres d’image, relique d’un temps ancien, comme j’ai pu moi-même m’émerveiller des dinosaures.
Quelle hypocrisie. Formée à résister, ma génération est la plus muselée. Ceux qui nous gouvernent serons morts quand nous assisterons aux conséquences de leur pensée réfractaire, qui se rappelle un temps passé, qui ne regarde qu’en arrière.
Toujours à chouiner, allez bosser, vous allez apprendre la vie, et puis tu verras quand tu auras ton premier salaire, si toi aussi tu deviens pas réactionnaire.
Alors je suis allée bosser, et je l’avoue, pas dans un métier compliqué. De l’administratif. Pas très palpitant, pas très bien payé. Mais bien mieux tout de même que le métier d’autres, bien plus essentiels que moi. Et j’ai vu ce que je payais. Les cotisations et les taxes. Et j’ai eu la joie d’aller aux urgences, qu’après tout j’avais un peu contribué à financer.
Oui mais le Français ne sait plus ce que coute les soins, on doit faire revenir les consultations payantes, on va réduire les aides pour maladies longues.
Mais attendez. J’ai déjà payé ? j’ai cotisé ?
Et les retraites sont trop hautes.
Dit le journaliste à 9000 euros par mois de retraite. Mais attendez, je la paye moi ma retraite ?
Et la fraude aux allocs.
Mais attendez, l’Etat Providence c’est ça ? Universalité ? Aider son prochain ?
Et le chômage il va baisser, et tu pourras plus démissionner, et la rupture conventionnelle on va l’enlever.
Pitié, arrêtez.
Comment peut-on vouloir continuer ? Travailler ? Aucun droit ni pendant ni après. Ne pas travailler ? Sale fainéant qui profite aux crochets de la société.
Tout ça pendant que l’aide aux entreprises fait 160 milliards par ans, qu’il y a 80 milliards de fraude fiscale, que Arnard Bernault (pas d'argent pour un procès) remonte dans les scores des fortunes mondiales ?
T’as qu’à t’engager, aller voter bouge toi tout peut pas t’être donné.
Ok on va essayer ça.
Des millions dans les rues, retraites, climat, anti-génocide, même combat. On nous tabasse. Nos cris de douleurs sous les bottes des policiers font un si faible écho aux cris de Gaza. Nos actes de rébellion sont décriés, moqués par les médias que ceux que l’on veut renverser contrôlent. Il y a quelques jours, un homme a brulé, hurlant sa vérité, mis en joue par un policier qui n’a à aucun instant cherché à le sauver.
La génération de l’éducation civique, celle à qui on a fait miroiter les droits de grève, la liberté d’expression, pour une canette de Redbull se retrouve en prison. La génération qu’on a matraqué d’images d’ours polaire morts, de désastre écologique, se fait affamer dans les arbres que le gouvernement veut abattre pour l’A69. La génération qui aurait pu connaitre les résultats de siècle de féministe doit encore se battre pour conserver des miettes de droits, doit faire face chaque jour à des statistiques de féminicide, que de toute façon personne ne croit.
Et voit le sourire des gouvernants, qui continuent de tenter de faire croire à leur bonne foi.
Alors on se tourne vers les urnes pour choisir peste ou choléra, sous quelle botte on crèvera, sous quel vieillard on souffrira.
L’espoir est mort comme la liberté, sous les applaudissements de la classe supérieure, gavée du fruit de notre labeur, et certaine de l’avoir fait en tout bien tout honneur.
Te plains pas, t’as tous les droits, toutes les possibilités, t’es libre.
Libertés plurielles sans pour autant y accéder, c’est un écran de fumée pour aller nous faire voter. Droits de l’Homme bafoués quand les observateurs de l’OECD dans nos manifs doivent se casquer, et on s’étonne quand ceux des femmes sont raillés, rayés, effacés.
Et la constitutionalisation de l’IVG ?
Dans un pays où les lieux médicaux sont enterrés sous les coups du libéralisme et de la privatisation ? Où les déserts médicaux s’étendent plus vite que jamais ? Où la clause de conscience existe encore ? Où le monument de Simone Veil – qui se serait retournée dans sa tombe de voir un parti de SS reconvertis se réclamer de son combat – est vandalisé ? Où la grande cause du quinquennat n’est évoquée que dans un but électoral, ou pour encore renforcer l’agenda raciste d’un gouvernement qui serait le dernier rempart au fascisme ?
Je ne me réjouirai pas des miettes de votre féminisme néolibéral, qui oublie la majorité de mes sœurs dans la fange, qui empêche nos athlètes de concourir voilées, qui ne protège aucune femme du proxénétisme tout en les criminalisant, qui adule les TERFs qui poussent mes sœurs au suicide.
Je n’acclamerai pas la récupération politique d’un gouvernement qui félicite ses « monuments du cinéma », violeurs, pédophiles, et membres du gouvernement, tout en ne défendant la femme noire qui nous représentera au JO, la laissant seule affronter attaques racistes, sexistes et misogynes de la meute des hommes. Je n’acclamerai pas la récupération politique d’un gouvernement qui ne finance pas la justice qui ne nous protège plus et qui arme encore plus sa police qui rit des femmes battues.
…
Nous sommes début mars 2024. J’ai 22 ans. Je n’ai plus d’espoir.
Et pourtant la lutte continue. Crains l’adversaire qui n’a rien à perdre, qui a tout perdu, il lui reste sa vie à offrir en martyr et il ira au bout du combat.
C’est parce que nous n’avons rien que nous voulons tout reprendre, et si l’Etat doit bruler, j’irai danser dans ses cendres.