-Nika, hé Nika !
T’as pas vu notre Mahsa ?
-Non, mon visage est écrasé
Je ne vois plus rien
Mais je sais qu’elle est là
Quelque part dans les parages
-Et toi, Mahsa !
T’aurais pas vu notre Nika ?
Elle avait cinq printemps de moins que toi
-Je l’ai vue, la belle Nika
Chantant et dansant
La figure écrabouillée
Le crâne brisé, le corps tuméfié
Mais elle n’était pas seule, non
Nombreux étaient ceux qui,
A l’autodafé joyeux des foulards
Chantaient avec elle
Hadis, Hanaeh, Ghazaleh, Sarina
Et beaucoup d’autres encore
Sans arrêt
Je me démultipliais en elles
-Ferventes et éperdues, dit Hadis
Autour du feu que nous avions allumé
Dansant et tournoyant
Nous chantions
Femme Vie Liberté
-Nous n’étions pas seules, non, ajouta Hananeh
Les garçons en formaient le chœur
A l’autodafé joyeux des foulards
Grands gaillards épris d’amour
Nombreux et en chœur
Et Sarina de s’exclamer :
-Debout sur le bac des poubelles
Cheveux au vent
Je dansais et tournoyais
Mon foulard au bout de bras
Soudain
Les soldats de l’Imam caché
Pâsdârs, fossoyeurs, prédicateurs
Surgirent comme des djinns
Au cri d’Allah Akbar
Fusils, bâtons, menottes et laisses à la main
Scandant leurs formules macabres
-D’abord, reprit Nika
Ils nous ont brulé les cheveux
Puis nos cœurs
-Ensuite, continua Ghazaleh
Au son des sanglots de ceux qui avaient perdu un proche
Ils nous ont broyé le crâne
-Mais nous ne sommes pas mortes, Gina, dit Hadis
Ne saurais-tu pas que ton nom s’est transformé en code ?
-Nous reviendrons, chère Gina, ajouta Nika
Avec les chants et les drapeaux victorieux
-Au pas de la foule en marche, s’exclama Sarina
-Et nous danserons sur les places libérées, confirma Hananeh
-Hourra ! s’écria Nika, exaltée
Et sur la Place de la Liberté
Je chanterai parmi des milliers et des milliers de gens
Qui danseraient avec moi
-Hourra ! fit Ghazaleh pleurant de joie
-Hourra ! reprit Sarina
Et Sedis, le petit Baloutche aux quatorze printemps
S’éclot comme un bourgeon :
-Hourra… Hourra… Hourra…
***
Au petit matin pourpre
Paré d’arc en ciel
Le ciel maussade s’emplit de Hourras
Des jeunes victimes
Et la route
S’alluma peu à peu d’une lumière flamboyante
***
Mahsa Amini, 22 ans, originaire de Saghez
Nika Shakarami, 17 ans, originaire de Khoramabad
Sarina Esmaïlzadeh, 16 ans, originaire de Karaj
(Sa mère, peinée par le sort de sa fille, se suicida)
Sedis Kashani, 14 ans, originaire de Baloutchistan
Hadis Najafi, 20 ans, originaire d’Azerbaïdjan
Hananeh Hosseinali Kia, 22 ans, originaire de Nochahr
Ghazaleh Tchalavi Amoli, 34 ans, originaire d’Amole