C'est le Jeudi 18 Septembre dernier, que Victor I. Stoichita, né à Bucarest en 1949 et professeur honoraire à l'université de Fribourg, a donné la première de ses cinq conférences annoncées sur le thème de « L'image de l'Autre: Noirs, Juifs, Musulmans et "Gitans" dans l'art occidental des Temps modernes », et ce dans le cadre de la Chaire du Louvre à l'Auditorium de ce dernier, là même ouù, il y a un an, Georges Didi-Huberman avait traité de « l'Album de l'art à l'époque du Musée Imaginaire », s'étant confronté au fil des séances avec les gardiens du Temple malrucien...
Victor I. Stoichita, partant d'un postulat posant que "la différence existe, l'altérité se construit", entend développer (du 18 Septembre au 16 Octobre à 18h30) au fil de ses interprétations sérées d'oeuvres, picturales et littéraires, un discours imagologique portant sur l'étude du régime visuel par lequel la réalité des autres se trouve représentée. Il s'agit principalement pour lui d'interroger ce moment particulier antérieur à toute science anthropologique constituée, à savoir la période historique allant de 1453 à 1789, afin de décrire et commenter tant la formation du canon esthètique occidental que l'émergence d'une altérité autour de figures particulières (le Noir, le Juif, le "Gitan"). Et il s'agit aussi pour lui dans un contexte plus contemporain de venir complèter les recherches acuelles en anthropologie à partir d'une interrogation sur les voies de la représentation de ces Autres dont la réalité ne saurait selon lui être mise en doute, cette interrogation ne manquant pas d'ailleurs de convoquer certaines problèmatiques issues des études post-coloniales.
On le voit, le propos est ample et généreux, prenant appui sur la séquence historique des Temps modernes pour venir porter cette grande affaire de l'Autre au coeur de nos préoccupations les plus sensibles aujourd'hui. Sans chercher ici à analyser plus avant la pertinence de cette entreprise, je remarquerai que Victor I. Stoichita a proposé à la fin sa première intervention une sorte de "talisman littéraire" ou citation-témoin, une réflexion tirée de l'ouvrage "Didascalicon" (III, 19) du théologien mystique du XIIe siècle Hugues de Saint-Victor: cette citation, Victor I. Stoichita, se présentant lui-même comme roumain demeurant en Suisse, a indiqué l'avoir emprunté à "Tzvetan Todorov, bulgare vivant à Paris, qui l'avait trouvée chez Edward Said, Palestinien établi aux Etats-Unis, qui l'avait lui même trouvée chez Erich Auerbach, allemand exilé en Turquie"(p.42 de l'ouvrage publié par V.I. Stoichita par Louvre éditions à l'occasion de ces conférences). Hugues de Saint-Victor écrivait: "L'homme qui trouve sa patrie douce n'est qu'un tendre débutant; celui pour qui chaque sol est comme le sien propre est déjà fort; mais celui là seul est parfait pour qui le monde entier est comme un pays étranger". Citation-témoin, donc, que tous ces auteurs semblent s'être passé ou bien autour de laquelle ils semblent ainsi se retrouver, en composant et agençant tant leurs vies que leurs investigations littéraires et intellectuelles, et ce depuis une évident complicité avec un théologen mystique du XIIe siècle. Une façon, peut être, pour Victor I. Stoichita, de développer sa propre pensée d'une altérité toujours à construire depuis un "oeil identitaire" (régime des Temps modernes), mais en ne cessant d'envisager cet oeil et les altérités qu'il autorise, légitimise, que depuis l'intelligence de son propre exil: question d'un lieu à occuper en tant qu'homme tenant bon sur ses jambes, jusqu'à ce qu'une connaissance soit possible et s'en trouve écrite, prononcée...
Je pense notamment ici à ce uqe Günthers Anders remarquait, en 1962, au cours de ses réflexions sur la situation d'exilé qui avait été la sienne aux Etats-Unis pendant la Seconde Guerre Mondiale: "Chacun de nous ne s'éprouve comme indubitablement là que lorsque d'autres font appel à lui comme étant là" 'in "Journaux de l'Exil et du Retour", p.83, Gage éditions - collection particulière 2012). Et donc, c'est pour cinq conférences que Victor I. Stoichita se tiendra bien là, à l'Auditorium du Louvre, et que nous devons lui accorder la plus grande attention, y comprit critique, à sa parole, dans un contexte de science anthropologique elle-même en plein questionnement quant à la "vraie nature" de son objet que poue l'affirmation de ses méthodes et intentions, et dans un climat politique en France particulièrement inquiètant.