Loi « Industrie verte » : quand l’accélération de la procédure d’enquête publique menace l’expression démocratique
Le décret n° 2024-742 du 6 juillet 2024, pris en application de la loi industrie verte, entre en vigueur le 22 octobre 2024. Il suscite de vifs débats quant à ses effets sur la participation du public aux projets d'aménagement du territoire ayant un impact sur l’environnement. Ce texte, qui vise à accélérer et à simplifier les procédures d'autorisation environnementale, soulève des questions cruciales quant à la place accordée au dialogue, à l'expertise indépendante et à la préservation de la démocratie environnementale.
Au cœur de ces interrogations se trouve le rôle du commissaire enquêteur, garant historique de l'indépendance et de la neutralité des enquêtes publiques. Face à l'essor du numérique et à la volonté d’accélération des procédures, son rôle semble menacé.
Une "démocratisation" par le numérique excluante
L'un des changements majeurs introduits par le décret réside dans la « paréllisation » des avis, recueillis au fur et à mesure qu’ils sont formulés. Il instaure aussi une nouvelle modalité de consultation du public se caractérisant par une période qui s’étend sur trois mois avec deux réunions publiques situées, l’une dans les quinze premiers jours, l’autre dans les quinze derniers jours de la consultation.
Le recueil des contributions se fera désormais majoritairement en ligne, via des registres dématérialisés.
Cette digitalisation des processus décisionnels est souvent présentée comme un progrès démocratique, permettant une plus grande accessibilité et une meilleure information du public. La possibilité de consulter les dossiers en ligne, de déposer un avis à tout moment et de suivre l'avancée de la procédure sont autant d'avantages indéniables.
Cependant, cette évolution soulève des inquiétudes légitimes. La fracture numérique qui touche encore certains territoires et «l’illectronisme» de certaines populations, conjugués à la complexité technique déjà présente de certains dossiers, risquent d’accroître le nombre de citoyens exclus de la participation.
Vers un commissaire enquêteur animateur numérique ?
Face à ces transformations, le rôle du commissaire enquêteur est questionné. La loi "Industrie verte" semble le cantonner à des tâches plus administratives et techniques, telles que la gestion de la plateforme numérique, la modération des échanges en ligne ou encore la synthèse des contributions du public.
Ce recentrage sur des missions logistiques et techniques risque de fragiliser sa position d'acteur indépendant et garant de l'intérêt général d’autant qu’il se bornera à rédiger des conclusions motivées sans émettre d’avis sur le projet. La possibilité pour le Préfet de se substituer au commissaire enquêteur en fin de procédure, si son rapport tarde, renforce ce sentiment de mise sous tutelle et fragilise l'équilibre des pouvoirs.
Redonner du sens à la participation citoyenne en renforçant la légitimité du commissaire enquêteur
La participation du public aux projets d'aménagement du territoire ne doit pas se résumer à un simple exercice de communication ou de validation a posteriori de décisions déjà prises. Elle doit être un véritable espace de dialogue, de débat contradictoire et d'écoute attentive des préoccupations citoyennes.
Pour cela, le rôle du commissaire enquêteur est primordial. Plus qu'un simple technicien en charge de la gestion des plateformes numériques, il doit rester un acteur indépendant, capable d'analyser les enjeux, d'écouter, de faire entendre la voix de tous et de formuler un avis critique et argumenté.
Pour préserver la légitimité du commissaire enquêteur et garantir une réelle participation citoyenne, il est urgent de renforcer son indépendance et de lui donner les moyens d'exercer pleinement ses missions.
Un rapprochement avec le Conseil économique, social et environnemental (CESE) pourrait être une piste intéressante, permettant de doter le commissaire enquêteur d'un cadre institutionnel plus solide légitimant ses missions. La mise en place de critères de sélection plus objectifs, d’une formation généralisée et d'un statut clarifiant ses droits et devoirs permettrait également de renforcer sa crédibilité et son autorité.
La loi "Industrie verte", qui porte en elle la promesse d'une simplification des procédures administratives, ne doit pas être mise en œuvre au détriment de la démocratie environnementale. Le rôle du commissaire enquêteur, garant de l'indépendance et de la neutralité des enquêtes publiques, doit être conforté et adapté aux enjeux du numérique. La participation citoyenne ne doit pas être un vain mot, mais bien un pilier de la transition écologique et de l'aménagement durable du territoire.
Bernard CHABBAL, président de la compagnie des commissaires enquêteurs du Languedoc-Roussillon (CCE-LR)
Auteur de l’essai « Refonder l’enquête publique ; Vers une démocratie participative renouvelée », Editions L’Harmattan, 2024
Référence : REFONDER L’ENQUÊTE PUBLIQUE - Bernard Chabbal