Dans « Les imposteurs de l’économie », M. Laurent Mauduit règle leur compte à l’Université Paris-Dauphine et à son Président en quelques pages rageuses (155-160, 285-286). Le procès est sans appel : Dauphine est le fer de lance d’ « une infernale privatisation » des universités et son président est un traître à ses engagements idélogiques de jeunesse. Mais, s’il est sans appel, ce procès est assez mal documenté.
Passons sur l’attaque ad hominem dont est l’objet le président de Dauphine ; elle semble procéder d’une vindicte personnelle qui nous échappe et ne mérite pas, sauf à faire de la psychanalyse de bazar, que l’on s’y attache.
Bornons-nous à considérer ce qui est reproché à Dauphine ; d’ailleurs étrangement désignée sous le vocable « faculté », comme si M. Laurent Mauduit n’avait pas encore digéré la réforme Edgar Faure qui a fait disparaître les anciennes facultés. Principalement deux choses qui ont trait au financement des universités. Celles-ci sont confrontées ainsi qu’on le sait à d’énormes problèmes de financement dont on ne peut espérer, surtout en cette période de crise, qu’ils seront intégralement résolus par l’Etat, c’est-à-dire par l’impôt. Le recours au financement privé s’impose. C’est la raison pour laquelle Dauphine a créé une fondation et élevé ses droits d’inscription.
La fondation Paris-Dauphine gère plusieurs chaires financées par de grandes entreprises, dont des banques et des compagnies d’assurances. Monsieur Mauduit aurait du se demander quelle était la part de cette fondation dans le financement de Dauphine ; il aurait alors constaté que cette part est très faible. Il aurait également du étudier le fonctionnement de cette fondation et de ces chaires ; il aurait alors constaté que des dispositions ont été prises pour que soit préservée la liberté des chercheurs. Certes, cette fondation n’est pas sans risques mais il est pour le moins prématuré de déclarer que sa création engage Dauphine dans une « infernale privatisation ». Il y a fort à parier que Dauphine restera très longtemps dépendante du financement public même si on ajoute au financement par la fondation le financement par les droits d’inscription, autre grief de Monsieur Mauduit à l’égard de Dauphine.
Justement, qu’en est-il de ces fameux droits d’inscription ? Soyons plus précis que Monsieur Mauduit car, en l’occurrence, ce n’est pas le diable mais l’information qui est dans les détails. Premièrement, ces droits ne s’appliquent qu’à certains masters, ceux offrant à leurs détenteurs les meilleures chances d’insertion professionnelle (ils sont presqu’à coup sûr remboursés par trois mois de salaires au maximum). Deuxièmement, ils sont compris entre 1500 € et 4000 € (nous sommes loin de ce qui est exigé de leurs élèves par les écoles délivrant des diplômes du même type que ceux de Dauphine) et, dans cette fourchette, ils dépendent du revenu fiscal des parents. Troisièmement, les boursiers en sont dispensés. Ce système n’a rien d’inique : il consiste à faire payer les étudiants promis à de belles carrières professionnelles et dont les parents peuvent payer les études ; il serait même plutôt égalitariste (ce qui laisse d’ailleurs penser que le Président de Dauphine n’a pas totalement renié ses engagements de jeunesse !). Par contre, à l’évidence, ce système n’est pas généralisable à toutes les universités et, en particulier, à celles dont les diplômes ne préparent pas directement à la vie active, et aussi à celles dont la population étudiante est d’origine modeste, ce qui n’est pas tout à fait le cas de la population étudiante de Dauphine.
Alors, Dauphine fer de lance de la « privatisation » des universités ? Ce qui est sûr, c’est que Dauphine a toujours innové. Ainsi a-t-elle brisé au moment de sa création, en 1968, le quasi-monopole qu’exerçaient les écoles, et à travers elle le patronat, sur l’enseignement supérieur de la gestion. Ainsi encore a-t-elle activement contribué au développement en France de la recherche en sciences de gestion, à la recherche en finance certes mais aussi à la recherche en mathématiques appliquées, en informatique, en économie internationale, en économie de l’énergie, en économie hospitalière, en sociologie des organisations, … ; par ailleurs, elle abrite tout un courant de recherches critiques particulièrement original. Ainsi encore a-t-elle était la première université à considérer, ce qui paraît aujourd’hui une évidence, que les diverses séries du baccalauréat ne pouvaient donner accès à toutes les disciplines de l’enseignement supérieur et qu’il lui fallait, en conséquence, pratiquer une sélection à l’entrée de son premier cycle. Elle innove donc maintenant en matière de financement. Gageons que, nécessité faisant loi, elle sera suivie.
En seulement quarante ans d’existence, Dauphine a fait tomber quelques tabous universitaires et c’est ce que lui reprochent les nostalgiques des anciennes facultés comme Monsieur Mauduit. Le monde change Monsieur Mauduit !
Bernard Colasse, professeur à l’Université Paris-Dauphine et, néanmoins, abonné à Mediapart.