Conversation ce matin avec une voisine chérie. Elle a 77 ans, toute sa dent. Elle aime que je lui lise des livres. L'auteur maison, Michèle Kerhoas a pris la peine de rédiger d'oreille, ce qu'elle a retenu. ça donne ça:
1951, 18 ans et fille de petits cultivateurs… Ma mère a eu 6 enfants en 8 ans… Quand je repense à tout ça, j’ai plutôt l’impression de parler du 19ème siècle plutôt que de mon temps où pourtant il y avait eu le front populaire, le CNR en 43, le Conseil National de la Résistance en pleine guerre et qui fomentait une république de merveilles pour les citoyens et aussi cette année-là, des femmes qui s’engageaient contre le réarmement de l’Allemagne, des femme de l’usine Hénaff à Quimper, des conserveries de Penmac’h… Oui 1951, on sortait juste de la période de restriction.
J’étais fille de pauvres et sans trop d’école… A l’époque, je ne savais pas tout ça… Bon à 18 ans je dis, je veux aller à Paris moi aussi. Vous vous rendez compte, de la campagne… Alors ma mère : qu’est-ce que tu vas t-en aller à Paris – Si, si, je veux aller à Paris –Hé bien, Phil le Guern vient en vacances, tu repartiras avec elle et les cousines s’occuperont de toi là-bas, qu’elle me dit.
Bon, les cousines m’ont trouvé un travail, là-bas, à Paris…bonne… les bonnes à Paris, même avant la première guerre c’était beaucoup les bretonnes… chez un fourreur, il était fourreur le Monsieur. On m’avait dit, vous aurez une chambre, là-haut au 6ème…mais la chambre elle venait pas, elle n’est jamais venue. Bon, ils trouvaient que j’astiquais pas assez bien le parquet, il y avait deux enfants et qui faisaient des bêtises partout et puis chez nous c’était la terre battue, un coup de balai, et puis ça y était… Et le soir, je ne pouvais pas manger avant que le Monsieur était rentré, je ne pouvais manger que quand il était allé se coucher. Pendant ce temps, on me donnait des chaussettes à repriser dans la cuisine et après je mangeais ce qui restait parce que là, je n’étais pas prévue non plus, mais je me débrouillais, je me laissais pas trop faire pour ça et le matin, comme je dormais dans le salon, il fallait que je me lève avant tout le monde et sans faire voir, fallait pas laisser de traces, pour la toilette pareille… C’est une drôle d’histoire, hein,… Un beau jour, on m’a dit : on s’en va pour quelques jours, faudra pas ouvrir la porte, et moi je trouvais ça normal qu’il ne fallait pas ouvrir la porte… Et un samedi, j’entends sonner et j’entends parler – Ouh, je dis, qui est là ? J’étais avec mon balai…et puis je me dis, je connais ces voix, c’était les cousines Louise et Ernestine, celles-là, elles ont toujours été à Paris et c’est elles qui m’avaient trouvé ce travail… Ouvre-nous !
Alors je dis : Non non non, moi j’ouvre pas, on m’a dit faut pas ouvrir – Mais tu vas nous ouvrir quand même, c’est nous… Alors j’ai ouvert et je me suis mise à pleurer et je leur ai dit : vous vous rendez compte, ils m’ont dit que je ne savais pas faire le ménage et ceci ceci cela…
Ah, ils t’ont dit ça ! Tiens, donnes-nous donc la paille de fer et tu vas voir tout à l’heure. Et tu leur dis que c’est nous qui l’avons fait !
Alors, elles ont tout fait…
Après elles m’ont trouvé un autre travail, c’était chez un bougnat, il me disait : ma petite Louise les bretons ont la tête dure mais les auvergnats encore plus…c’était trop loin de moi tout ça les parquets cirés et les tasses en porcelaine, chez nous c’était des bols bien solides et un bon coup de balai…
J’ai quitté Paris au bout de huit mois, je pleurais tous les jours… Ce n’était pas pour le travail… je voulais revenir, je voulais juste revenir. Le jour où j’ai pris le train pour rentrer, il y avait la grève des cheminots au Mans… j’ai passé la nuit sur ce banc dans la gare, j’avais besoin d’air, j’avais besoin de réfléchir à ce que j’avais voulu, Paris, Paris, je veux aller à Paris… Il y avait pourtant des chansons dans le ciel de Paris… ( elle chante) Sous le ciel de Paris s’envole une chanson hmm, hmm. Elle est née d’aujourd’hui dans le cœur d’un garçon…
Peut-être que quelqu'un trouvera la vidéo de la chanson. S'il y a des commentaires, je serai fier de lui montrer. Elle s'appelle Marcelle.