Quelles conséquences les rapports unilatéraux de l'AIEA contre l'Iran ont-ils eues sur l'environnement international ?
Les rapports de l’AIEA sont très nombreux, souvent détaillés et techniques. Ceux qui sont soumis en vue de réunions à haut niveau du Conseil des gouverneurs attirent plus l’attention et les commentaires de presse. Parfois des polémiques surviennent avant même l’intégration des remarques soumises par la partie nationale inspectée qui peut présenter des objections. Le rapport publié début juin exploitait de façon exagérée un fait assez mineur et pas récent de découverte et signalement de traces de radioactivité sur un site a priori dit non déclaré, traces pour lesquelles l’Iran n’avait pas, et sans doute pas pu proposer d’explications. Mais cela a pu être exploité avec perversité par des commentateurs visant à inquiéter, à susciter la défiance envers l’Iran, voire la peur. C’est un processus de manipulation classique, dans lequel les réseaux sociaux peuvent être instrumentalisés par des processus automatiques massifs. On a déjà vu cela dans le passé à l’AIEA concernant l’Iraq, et ce fut clairement dénoncé, y compris par un ancien DG, Hans Blix. On a vu aussi cela dans un autre organisme international lié à l’ONU, l’Office d’Interdiction des Armes Chimiques, et ce fut dénoncé aussi par le premier DG de l’OIAC-OPCW. Mais il règne hélas encore sur cela une omerta, bien que le Parlement Européen ait reçu un rapport très détaillé de mai 2023. C’est l’omerta car plusieurs grands pays seraient impliqués dans cette manipulation concertée, qui a visé à justifier a posteriori une attaque tripartite de la Syrie par des missiles le 14 avril 2018, décidée par 3 membres permanents du Conseil de Sécurité, aussi illégale que celle perpétrée le 13 juin par le gouvernement israélien et son armée.
Pourquoi l'AIEA, malgré l'absence d'adhésion d'Israël au TNP et la possession confirmée d'armements nucléaires, ne publie-t-elle aucun rapport sur ses activités nucléaires illégales ?
Dès les années 50 et 60, l’Etat israélien avait infiltré la France en mettant en avant son image socialiste d’alors, et de pays menacé, en recourant à des contacts discrets initiés et développés lors de l’insurrection algérienne de 1954 à 1962, entre militaires, services de renseignement et de recherches. Le général De Gaulle devenu président a tenté de mettre fin à ces intrusions, et notamment à la coopération dans le nucléaire militaire. Mais hélas ça a continué de façon occultée ou discrète dans divers domaines stratégiques, la propulsion, les radars, la communication, l’informatique, la détection satellitaire, et même la gestion optimisée des circonscriptions électorales. Nos présidents français n’ont guère l’expérience, le flair, ni la formation pour détecter à temps ces manœuvres très organisées de la part d’un « allié ». Le président Hollande aurait aimé chanter devant Netanyahu un « chant d’amour pour Israël » dont un lobby (ELNET) l’avait aidé dans sa campagne électorale. En tout cas la France a aidé les militaires israéliens à acquérir le savoir-faire nucléaire militaire. Shimon Peres avait un bureau chez nous. Même si un ancien premier Israélien a dit de façon énigmatique « nous ne serons pas les premiers à introduire la bombe atomique dans la région », il est presque certain, depuis les révélations du technicien Mordechaï Vanunu en 1986, que l’armée israélienne dispose de bombes et de lanceurs adaptés, et en tout cas la dissuasion fonctionne. Il est dès alors anormal que cet Etat ne soit pas signataire du TNP et que des inspections de l’AIEA ou des sanctions du Conseil de Sécurité ne lui soient pas imposées.
Le silence de l'AIEA concernant le programme nucléaire israélien ne constitue-t-il pas une violation de la charte de l'organisation, qui insiste sur « l'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire » ?
Bien sûr l’arme atomique, si elle existe et est opérationnelle à Dimona, n’a pas encore été utilisée, donc la compétence scientifique et technologique israélienne dans l’énergie nucléaire peut toujours prétendre être d’utilisation pacifique, afin de ne pas subir de contrainte et d’inspections.
Pourquoi l’AIEA n’effectue-t-elle aucune inspection des installations nucléaires israéliennes (comme Dimona), mais soumet-elle l’Iran à des contrôles stricts ?
L’adhésion et la ratification du TNP soumet un pays à des contrôles formatés et réguliers de l’AIEA, c’est pourquoi l’Iran les accepte ; ça explique aussi que l’Etat israélien n’a aucune intention d’adhérer pour bénéficier à la fois de l’effet de dissuasion et de l’ambiguïté stratégique. L’expérience montre que son armée dispose de moyens terribles pour surveiller, cibler, attaquer, détruire, saboter, le pays consacrant 6% de son PIB à la recherche, et des moyens humains et financiers considérables à son armement, tout en s’arrangeant pour consolider son impunité malgré ses crimes de guerre et crimes contre l’humanité, connus de tous et reconnus par la CPI et la CIJ. Les réseaux d’influence politique entretenus par divers moyens financiers dans au moins 3 pays membres permanents du CSNU sont la clé de cette construction d’image et de maintien de l’impunité, via des élus et via la grande presse occidentale qui ne survit que de la publicité.
Pourquoi l'AIEA examine-t-elle les moindres activités de l'Iran avec une grande sensibilité, tout en restant silencieuse face aux violations répétées d'Israël ?
Depuis plus de quarante ans l’activisme et la propagande du Likud, parvenu au pouvoir en 1977, vise à présenter plusieurs pays comme une menace existentielle : dès 1982 un article de la revue de la revue Orientations de l’Organisation Sioniste Mondiale exagérait les menaces présentées par la Syrie et l’Iraq surtout, mais aussi soulignait la nécessité et l’opportunité de diviser ces pays, et aussi Egypte, Liban, Soudan en petits pays plus homogènes sur les plans ethniques et confessionnels. Cet article signé par un rédacteur au MAE israélien d’alors, Oded Yinon, ne fut jamais cité en première page des journaux occidentaux. Ecrire ce genre de propos subversifs en France d’aujourd’hui vous ferait arrêter sous notre loi de prévention du séparatisme… dans notre cher pays où les élus corses n’ont pas encore le droit de débattre en langue corse dans leur assemblée régionale ! Depuis plus de 30 ans Netanyahu agite la menace d’une bombe atomique qui serait préparée en Iran, de plus en plus imminente au fil des années. Mais aussi il a chargé les services israéliens de générer des informations fausses, de repérer et manipuler des scientifiques et des fonctionnaires internationaux. Un gros livre a analysé cela avec plus de 900 notes de référence, dès 2014 : Manufactured Crisis : The Untold Story of the Iran Nuclear Scare. Gareth Porter, 310p, Just World Books.
L’ancien DG de l’AIEA Hans Blix le recommandait ainsi à sa sortie : Alors qu’elle est utile pour donner aux inspecteurs quelques idées où aller ou quoi examiner, le renseignement national proposé voire colporté est souvent problématique en tant que preuve. Dans le cas de l’Iraq, du renseignement défectueux contribua à une guerre contre des armes de destruction massive qui n’existaient pas. Du renseignement non fiable voire fabriqué ne pourrait-il pas un jour mener à une attaque sur des intentions iraniennes qui n’existeraient pas. Je me sens reconnaissant à Gareth Porter pour son examen intrusif et critique du matériel de renseignement transmis à l’AIEA. Quand des organisations de sécurité n’hésitent pas à assassiner des scientifiques nucléaires, on peut tenir pour certain qu’elles n’hésiteront pas un instant à faire circuler de fausses preuves.
Que de naïveté et d’incompétences trop souvent chez les diplomates et ministres occidentaux ! En octobre 2016, lors d’un colloque à l’occasion du Centenaire des accords Sykes Picot, j’ai revu un ancien ambassadeur de France en Iran, que je respectais. Il ne connaissait pas encore ce livre très sérieux et documenté. Pourtant il était souvent invité dans les médias au sujet de cet Iran nucléaire, et personne ne citait ce livre qui révéla les manipulations pour créer ce cauchemar fantasmé.
Les rapports de l'AIEA concernant l'Iran sont-ils basés sur des « preuves scientifiques » ou sont-ils influencés par des pressions politiques occidentales et israéliennes ?
Il y a les rapports, mais aussi les commentaires et interprétations par les services et des journalistes qui savent vendre la peur. Dans les Instituts de certification technique, il est souvent écrit qu’un rapport n’est valable que dans sa totalité : aucun extrait limité ne peut être exploité. N’importe quel rédacteur habile peut déformer le sens ou imposer une interprétation en coupant une phrase, en changeant quelques mots. C’est ce que font les services ennemis de l’Iran, au sein des rédactions de presse et même des organismes nationaux ou internationaux. En supprimant le mot « traces », on augmente l’impact d’une analyse. En omettant le respect impératif du suivi constant d’un prélèvement jusqu’au laboratoire agréé, on peut faire suggérer l’emploi de matière radioactive ou chimique, comme ce fut fait en Syrie dès le printemps 2013, après qu’Obama ait parlé de « ligne rouge » sur les armes chimiques. Il suffit d’un peu d’argent pour corrompre, et de savoir-faire. Tout récemment les services israéliens se sont vantés d’avoir monté et utilisé des drones à l’intérieur même de l’Iran, avec leurs agents. Il est donc plausible qu’un agent ait disposé quelque part un peu de matière fissile et puis fait téléphoner à un relais ciblé, qui va retransmettre, que des choses bizarres se sont déroulées l’an dernier à cet endroit. En tout cas il faut envisager ce genre d’hypothèses, et ne prendre pour sûr que ce qui est suivi de bout en bout par des inspecteurs agrémentés et géré selon les règles précises et rigoureuses
Pourquoi l’AIEA se réfère-t-elle dans ses rapports à des documents falsifiés fournis par le Mossad, tout en ignorant les preuves documentées de l’Iran ?
La défiance envers l’Iran a été créée et entretenue depuis la chute du Shah qui d’ailleurs coopérait avec les USA pour son programme nucléaire, déjà infiltré par des agents de la CIA, qui approchaient les scientifiques iraniens lors de leurs séjours aux USA. La saisie des Archives déchiquetées de l’ambassade US à Téhéran en 1980 et leur patiente reconstitution ont permis à l’Iran de comprendre l’ampleur des manipulations concertées entre les services américains et israéliens dans cette région stratégique pour le pétrole et le gaz, où les intérêts pétroliers et financiers du début du XXème siècle avaient encouragé et soutenu l’implantation d’un « foyer national juif » pour en faire une colonie de peuplement occidental. Dès les années 1930 les dirigeants sionistes réalisaient que ce ne serait pas facile de faire accepter ce plan aux peuples si divers de la région. Dès 1931 Ben Gourion envoya des agents intelligents sous couverture, et notamment dans les régions frontières. Puis après la guerre de 1948 et la création d’un Etat israélien, Ben Gourion, son ministre des affaires étrangères Moshé Sharett et son premier DG du Mossad (un familier de l’Iraq et des régions kurdes) firent tout pour faire partir leurs coreligionnaires des pays arabes voisins et aussi de l’Iran, afin d’en sélectionner et de les former pour en faire des agents d’influence et de subversion dans leur pays de naissance. Certains, ou leurs descendants, devinrent ministres, tel le sinistre Ben Gvir aujourd’hui. Ces réseaux d’influence sont mal connus de nos démocraties occidentales qui ne se doutent pas de leur ampleur. Aux Etats-Unis, dans le petit groupe d’une vingtaine de Neoconservateurs qui influença G .W Bush dans ses errements guerriers, la moitié était des binationaux. Certains eurent des postes de direction dans les organismes internationaux, notamment à la Banque Mondiale.
Peut-on dire que l'AIEA est devenue un outil politique aux mains des États-Unis et de leurs alliés pour exercer des pressions sur l'Iran ?
L’ancien DG de l’AIEA Hans Blix s’était opposé aux manœuvres américaines mais trop tard. Un tel organisme est truffé de fonctionnaires et spécialistes détachés par les Etats riches qui se servent de certains pour pousser leurs intérêts, voire manipuler. C’est la même chose à l’OIAC qui a servi pour accuser la Syrie, et pousser 3 pays à la bombarder sans légitimité. Les puissances visent aussi à pouvoir influencer la CPI et la CIJ, dès qu’elles pourraient les mettre en accusation. Sinon elles retirent ou réduisent leur financement, comme ce fut fait envers l’UNESCO, l’OMS, l’OMC. Il est essentiel que les Organismes multilatéraux puissent fonctionner en toute neutralité, sans ingérence occulte des Etats. Et pour cela les procédures internes doivent être respectées, le financement et a transparence assurées.
Pourquoi le Conseil des gouverneurs de l’AIEA n’a-t-il émis aucune résolution contre Israël, mais exerce-t-il constamment des pressions sur l’Iran ?
Comme le grand public les gouvernements occidentaux ont des perceptions sous influence de la propagande mise en œuvre envers l’Iran depuis 46 ans. La plupart des dirigeants occidentaux n’ont guère d’expérience technique et internationale quand ils parviennent à être élus au pouvoir. Dans les élections, on ne discute presque jamais de politique étrangère, alors que c’est la clé de tout le reste. Une politique étrangère juste, sans 2 poids et 2 mesures, vous fait respecter.
Le directeur général de l'AIEA (Rafael Grossi) a-t-il cédé aux politiques discriminatoires de l'Occident pour préserver sa position ?
Le DG Rafael Grossi a laissé passer un rapport mal rédigé qui laissait ouvertes trop d’hypothèses à partir de faits mineurs. Face aux contestations survenues après l’attaque israélienne, non provoquée et donc illégale, et pourtant présentée comme préventive en référence à des interprétations abusives de rapports de l’AIEA, Rafael GROSSI a dû clarifier ses positions devant la presse, sans pour autant chercher à dénoncer cette légèreté.
Comment les doubles standards de l'AIEA contribuent-ils à l'augmentation des tensions régionales et à la menace pour la paix mondiale ?
Dès le 16 janvier 1991, Jacques Chirac alors président du parti gaulliste avait dénoncé les 2 points et 2 mesures du Conseil de Sécurité qui, sous pression des Etats-Unis, alors que l’URSS s’était délitée, avait voté une Résolution sous chapitre VII pour imposer sous 6 semaines l’évacuation du Koweït occupé par l’Iraq, et mobilisé pour cela une coalition armée conduite par le Pentagone, et non pas un Etat-Major de l’ONU tel que prévu par la Charte.
Double standard, cela affaiblit le pouvoir de la justice qui doit être à compétence universelle pour les conflits entre Nations. Déjà La Fontaine disait « selon qu’on est puissant ou misérable ». En fait ce sont les riches qui rendent les autres misérables, faute de justice et d’application de la justice.
N'est-il pas temps de réformer la structure de gouvernance de l'AIEA afin de réduire l'influence des grandes puissances ? Quel est le rôle des pays et des organisations internationales majeures dans ce domaine ?
La tragédie vécue par Gaza et par tout le territoire occupé palestinien confirmé par la CIJ en juillet 2024, l’effondrement de la Syrie républicaine après 12 ans d’assauts de mercenaires jihadistes financés par l’excès d’argent du pétrole et du gaz, les bombardements et violations incessantes du Liban et de la Syrie, l’attaque massive illégale menée par le gouvernement israélien organisant son impunité, tout cela ne doit-il pas ouvrir les yeux et les cœurs des dirigeants occidentaux ? Pour sortir le monde de la guerre et des menaces du climat, il est temps de réguler globalement les armes, la finance, et les énergies fossiles, via une ONU rénovée dans laquelle la CIJ aura des moyens de police internationale, et où aucun Etat ni de dirigeant n’aura de privilèges, ni impunité pour ses crimes reconnus. Ce retour à un multilatéralisme juste, transparent et efficace s’étendra à tous les organismes subsidiaires de l’ONU. Ce sont des taxes globales qui doivent assurer leur financement pour les mettre à l’abri de pressions. Tout système de taxes impose une représentation, et donc ce seront des élections au niveau global qui établiront un système global juste.
Bernard Cornut, le 19 juin 2025
Ingénieur polytechnicien, auteur, réalisateur, ancien expert du PNUD, 16 ans d’expérience professionnelle au Moyen-Orient.