Bernard Gensane (avatar)

Bernard Gensane

Retraité de l'Éducation nationale

Abonné·e de Mediapart

961 Billets

1 Éditions

Billet de blog 15 décembre 2020

Bernard Gensane (avatar)

Bernard Gensane

Retraité de l'Éducation nationale

Abonné·e de Mediapart

Le flicage des chercheurs universitaires se perfectionne

Bernard Gensane (avatar)

Bernard Gensane

Retraité de l'Éducation nationale

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

On pourrait donner des dizaines d’exemples. J’en propose ici un seul, presque anecdotique.

Il y a trente ans, quand un universitaire voulait organiser un colloque, il se prenait par la main, choisissait une thématique, plutôt large, avec quelques collègues, et il lançait des invitations. Tout se déroulait simplement.

Aujourd’hui, pour participer à un projet de recherches, il est plus prudent d’attendre que le thème vienne d’en haut, par exemple de l’Agence nationale de la recherche, avant de s’y agréger. Ce qui n’est pas toujours aisé car la tendance est à l’hyperspécialisation des thématiques. Il faut ensuite remplir, en ligne bien sûr, un dossier de plusieurs pages en développant son curriculum vitae. Naturellement, tous les universitaires ont, dans leur disque dur, un fichier avec leur CV. Mais il serait beaucoup trop simple de faire un copier/coller, chaque nouveau colloque inventant son propre formatage. Et souvent, lorsque vous avez fini de remplir toutes les cases, vous ne pouvez plus, petits canaillous, revenir en arrière et apporter la moindre correction.

Autrefois, on n’aurait jamais demandé à un professeur des universités de justifier de ses états de service, d’exciper de ses publications. Par définition, un professeur des université (je ne vise personne, regardez-moi) avait un parcours, avait travaillé pendant vingt ou trente ans comme un dératé pour accéder à cette fonction. Il avait été été jugé et reconnu par ses pairs.

Depuis un quart de siècle, les universitaires se sont autofliqués, à l’initiative, principalement, de collègues de gauche (j'ai les noms) ayant accédé à des fonctions de pouvoir dans les universités ou dans les ministères. Ainsi, il est désormais demandé à ceux qui veulent rejoindre des « projeeeeeets » de choisir parmi la cinquantaine, la centaine, de publications qui ont jalonné leur parcours. Les livres sont exclus. Vous savez, ces petites choses de 2 à 300 pages qui vous ont pris trois ans de votre vie… Mais attention ! Pas d’impair ! Il faut  choisir parmi les publications « majeures ». En voilà une qualification qu’elle est idiote ! Majeure pour qui ? Pour le professeur, pour ses pairs ? Comment un chercheur peut-il décider que telle de ses publications est majeure ? Majeure dans l’absolu ? Majeure dans l’optique du colloque ? Vous avez publié un article séminal, traduit dans 25 langues, sur Vercingétorix. Oui, mais vous voulez participer à un colloque – soyons pointus – sur son oncle Gobannitio. Votre article est tout de suite moins majeur. Allez-vous remonter dans le temps pour aller chercher un travail important ou allez-vous privilégier une publication toute chaude pour bien prouver aux organisateurs que vous êtes toujours dans le coup et que vous travaillez sans répit ?

Mais cela ne suffit toujours pas. Vous devez en effet expliquer pourquoi votre article majeur est majeur ? Même Einstein n’y est pas parvenu avec sa théorie de la Relativité ! Enfin, vous devez fournir l’URL de votre article pour que vos collègues flics puissent se jeter sur votre publication en un clic afin de vérifier que votre information n’est pas bidon. Si votre article a été publié par une revue britannique ou étasunienne, les flics seront déçus, ils ne pourront pas cliquer car outre-Manche et outre-Atlantique on ne rigole pas avec la recherche : c’est du bizness, l’accès aux publications étant payant. Et l’on sait que la tendance est de publier le moins possible dans l’hexagone.

Pauvres esclaves !

PS : Mon ami PG, qui a ses entrées à Buckingham Palace, me fait passer le mot suivant :
Il paraît que l'éminent professeur de médecine qui va piquouser la reine d'Angleterre répète ce texte depuis huit jours :
“ I beseech Your Fabulous Royal Highness Majesty Queen to condescend to leave bare and kindly stretch Your Royal Arm so that I may take the liberty of allowing my modest person to gently prick the Highest Part of Your Royal Arm, with the aim of delicately instilling the wonder-vaccine in this Stately Portion of Your Majestic Body, in order to inoculate You against the goddam bloody fucking Covid 19. ”

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.