Dylan enregistre Highway 61 Revisited (qui comporte l’immense succès “ Like a Rolling Stone ”) et Blonde on Blonde, deux chef-d’œuvres. La Highway 61 est l’autoroute qui va de la Nouvelle Orléans à la frontière canadienne, en passant par Duluth, la ville natale du chanteur. Elle symbolise le mouvement, le rêve, la liberté.
“ Ballad of a Thin Man ” est l’une des chansons les plus fortes, les plus connotantes que Dylan ait écrite :
Well, you walk into the room like a camel, and then you frown
You put your eyes in your pocket and your nose on the ground
There ought to be a law against you comin' around
You should be made to wear earphones
'Cause something is happening and you don't know what it is
Do you, Mr. Jones?
Tu pénètres dans la pièce comme un chameau et tu fronces les sourcils
Tu mets tes yeux dans ta poche et ton nez sur le sol
Il devrait y avoir une loi pour t’empêcher de traîner par ici
On devrait t’obliger à porter des écouteurs
Parce qu’il se passe quelque chose et tu ne sais pas ce que sais
N’est-ce pas, Mr. Jones ?
On peut lire cette chanson comme la mise à mort de l’intellectuel libéral, lâche et crédule. La question « Do you, Mr. Jones ? » est froide et sournoise. Jamais Dylan n’a autant méprisé certains de ses prochains. Dylan, lui-même a donné une analyse beaucoup plus prosaïque de cette chanson :
« C'est un ramasseur de balles. Il porte aussi des bretelles. C'est une vraie personne. Vous le connaissez, mais pas sous ce nom... Je l'ai vu entrer dans la chambre, un soir, et il ressemblait à un chameau. Il a commencé à ranger ses yeux dans sa poche. Je lui ai demandé qui il était et il a dit "C'est Mr. Jones". Alors j'ai demandé à ce chat "Il ne fait rien d'autre que ranger ses yeux dans sa poche ?" Et il m'a dit : "Il met son nez par terre". Tout est là, c'est une histoire vraie ».
« C'est un ramasseur de balles. Il porte aussi des bretelles. C'est une vraie personne. Vous le connaissez, mais pas sous ce nom... Je l'ai vu entrer dans la chambre, un soir, et il ressemblait à un chameau. Il a commencé à ranger ses yeux dans sa poche. Je lui ai demandé qui il était et il a dit "C'est Mr. Jones". Alors j'ai demandé à ce chat "Il ne fait rien d'autre que ranger ses yeux dans sa poche ?" Et il m'a dit : "Il met son nez par terre". Tout est là, c'est une histoire vraie ».
Le Jones en question est peut-être le Rolling Stone Brian Jones au moment de sa déchéance, qui ne comprenait plus ce qui lui arrivait. Dylan met peut-être aussi en scène certains fantasmes homosexuels. Les symboles phalliques sont nombreux : « il te tend un os », « un crayon à la main », « un nain borgne », « avaleur de sabres », « il te rend ta gorge », « Ah, l'avaleur de sabres, il s'avance vers toi / puis il s'agenouille », « Voilà, je te rends ta gorge, merci de me l'avoir prêtée », « Donne-moi du lait ou rentre chez toi ».
Les États-Unis sont en guerre : Vietnam, émeutes raciales. Dylan ne fait rien pour apaiser les tensions : il agresse, désempare et égare ses admirateurs en leur offrant des visions délirantes. Dans “ Tombstone Blues ” :
The ghost of Bell Star
She hands down her wits
To Jezebel the nun
She violently knits
A bald wig for Jack the Ripper
Who sits
At the head of the chamber of commerce.
Le fantôme de Belle Star
Transmet ses pouvoirs
À Jezebel la nonne
Elle tricote violemment
Une perruque pour Jacques l’Éventreur
Qui préside
La Chambre de Commerce
“ Desolation Row ” est une histoire à dormir debout, une Apocalypse de tous les jours :
Now the moon is almost hidden
The stars are beginning to hide
The fortunetelling lady
Has even taken all her things inside
All except for Cain and Abel
And the hunchback of Notre Dame
Everybody is making love
Or else expecting rain
And the Good Samaritan, he's dressing
He's getting ready for the show
He's going to the carnival tonight
On Desolation Row
[…]
Einstein, disguised as Robin Hood
With his memories in a trunk
Passed this way an hour ago
With his friend, a jealous monk
He looked so immaculately frightful
As he bummed a cigarette
Then he went off sniffing drainpipes
And reciting the alphabet
Now you would not think to look at him
But he was famous long ago
For playing the electric violin
On Desolation Row
Maintenant la lune est presque cachée,
Les étoiles commencent à se cacher
La diseuse de bonne aventure
A même remballé toutes ses affaires
Tous à l'exception de Cain et Abel
Et du bossu de Notre-Dame,
Tout le monde fait l'amour
Ou encore attend la pluie
Et le Bon Samaritain, il s'habille
Il se prépare pour le spectacle
Il va au carnaval ce soir
Dans l'Allée de la Désolation
[…]
Einstein déguisé en Robin des Bois
Avec ses souvenirs dans une malle
Est passé par ici il y a une heure,
Avec son ami, un moine jaloux
Il avait un air si immaculément effroyable,
Comme il mendiait une cigarette
Puis il alla renifler les gouttières
Et réciter l'alphabet
Aujourd’hui il ne vous viendrait pas à l’idée de le regarder,
Mais il fut célèbre autrefois,
Comme joueur de violon électrique
Dans l'Allée de la Désolation
“ Rainy Day Women # 12& 35 ” est la première chanson de Blonde on Blonde. Il s’agit d’un pamphlet politique vu sous l’angle de la drogue. Dylan relate la vie d’une femme noire persécutée par les Blancs. Il joue sur l’expression “ To get stoned ” qui signifie à la fois être lapidé et être drogue, bien qu’il se soit jamais défendu d’avoir jamais écrit une chanson sur la drogue :
Well, they'll stone you when you're walkin' along the streets
They'll stone you when you're tryna keep your seat
They'll stone you when you're walkin' on the floor
They'll stone you when you're walkin' to the door
[…]
They'll stone you and then say they all are brave
They'll stone you when you're set down in your grave
Everybody must get stoned
Ils te lapideront quand tu marcheras dans la rue
Ils te lapideront quand tu essaieras de garder ton siège
Ils te lapideront quand tu marcheras sur le sol
Ils te lapideront quand tu iras jusqu’à la porte
Ils te lapideront puis diront que tu es brave
Ils te lapideront quand tu seras dans ta tombe
Tout le monde doit être lapidé
Une bonne partie de la jeunesse occidentale entendit le message douloureux du poète, ses certitudes, ses convictions, ses interrogations. Cet apôtre de la guerre du langage ne pouvait qu’effaroucher l’Amérique raisonnable et conformiste. Prophète romantique pour les uns, juif drogué et gauchiste pour les autres, Dylan se vit submergé par le torrent de passions qu’il avait fortement contribué à déclencher. Alors, il s’effaça de la scène et se retira dans sa ferme de … Woddstock. Il accomplit un retour vers les choses simples pour rentrer de nouveau dans sa peau. Il dépassionna la foule de ses admirateurs, cessa d’être l’icône qu’il avait été quatre ans durant. Lorsqu’en 1968 il eut achevé cette reconversion existentielle, il revint sous les traits d’un nouveau Robert Zimmerman.
L’idole mythique avait vécu. L’homme ressuscitait.