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Billet de blog 24 juillet 2022

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Quand tu te rends compte que tu n'es plus (un) jeune

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Depuis Proust et quelques autres, on sait que le temps n’existe pas. La conscience que nous avons du temps, à la rigueur, et encore…

Il y a quelques jours, Nathalie, uniquement pour moi car le Tour de France n’est pas sa tasse de thé, s’installe à mes côtés sur le canapé pour me tenir compagnie lors de la retransmission d’une étape de montagne. Plus exactement lors de la montée d’un col, quand il est possible, le peloton ayant explosé, de détailler les coureurs presque individuellement. Au bout de quelques minutes, elle me dit : « c’est fou, je pourrais être leur mère à tous ». Je lui précise qu’en forçant un peu elle aurait même pu être la mère de nombre de journalistes, ceux qui frisent la quarantaine.

Il est des moments dans la vie où beaucoup de choses basculent, où existe définitivement l’avant d’un après. Lors de la communion solennelle, pour ceux qui ont fait le cathé, quand on a obtenu le bac, quand naît notre premier enfant. Ou quand on se dit que Romain Bardet pourrait être notre fils. C’est en 1953 que j’ai assisté pour la première fois au passage du Tour de France. Avant la première victoire de Louison Bobet, qui avait le même âge que mon père. Aujourd’hui, je pourrais être le grand-père de Tadej Pogacar. Longtemps après avoir vécu en direct l’extraordinaire duel Anquetil-Poulidor en 1964 dans le Puy de Dôme et après avoir été, pendant vingt ans, le collègue du filleul de Jean Bobet, le jeune frère de Louison, âgé de 92 ans tout de même.

Bizarrement, peut-être, c’est grâce à Laurent Fabius que j’ai pris conscience du temps qui passe. En 1984, François Mitterrand nomme « le plus jeune Premier ministre » que la France ait connu. Il a 38 ans. J’en ai 36. Il a comme moi deux jeunes enfants. Je me dis qu’en gros j’ai le même âge que « le Premier Ministre de la France », pour reprendre une expression dont il usera maladroitement avec Jacques Chirac lors d’un mémorable échange télévisé perdu par lui en 1985.

Á 36 ans, j’avais déjà eu une vie personnelle et professionnelle bien remplie. Mais, inconsciemment, j’étais resté dans l’enfance. Mettons l’adolescence. Soudain, parce que j’avais l’âge d’être Premier ministre, j’étais passé définitivement du côté des adultes. 18 ans plus tard, je serais grand-père.

Mais la conscience claire résiste. J’assistai récemment au mariage d’un petit-cousin trentenaire. Á plusieurs reprises, pendant cette belle journée, j’ai dû me pincer pour me forcer à me souvenir que le marié était le fils de ma cousine, et non mon cousin. Je ne sais trop s’il faut voir dans cette résistance un refus du temps qui passe, donc de la mort. Ou si, au contraire, elle exprime un flamboiement, un pétillement de la vie, une prétention à l’éternité qui – on le sait depuis Woody Allen – est bien loin, surtout vers la fin.

Bref, tant que je pourrai regarder le Tour de France à la télé ou en vrai, je serai en vie. Et tant que je pourrai convoquer des souvenirs de 70 ans et plus, je ne serai pas complètement gâteux...

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