Des commentateurs de plus en plus nombreux s’interrogent sur la résilience des français face au terrorisme. Que faut il entendre par résilience dans un tel contexte ? L’usage d’une telle notion nous permet-elle de mieux comprendre la complexité du problème face à la question du terrorisme ou n’est ce qu’une figure propre à nous rassurer face à une menace invisible ?
A la lettre de l’esprit, la résilience est un phénomène psychologique qui consiste, pour un individu affecté par un traumatisme, à prendre acte de l'événement traumatique pour ne plus, ou ne pas, avoir à vivre dans la dépression et se reconstruire. Elle a été popularisée par Boris Cyrulnik qui a médiatisé le concept en psychologie à partir de l’observation des survivants des camps de concentration et de la capacité des individus à se reconstruire suite à des situations extrêmes de vulnérabilité. La résilience serait le résultat de multiples processus qui viennent contrer des traumatismes psychologiques et individuels et réorienter l’individu vers une trajectoire positive. Cette notion a progressivement envahit le champ social et notamment environnemental pour évaluer la capacité des sociétés à s’adapter aux menaces liées aux changements climatiques. A en croire l’usage généralisé du terme nous sommes conduits à devenir des individus résilients en toute circonstance pour faire face à des situations de plus en plus complexes de survie mais qui précisons le, ne peuvent être comparables à celle des camps. Dans cette perspective, toute société devrait devenir résiliente sous peine de disparaître ou de se détruire. Du lien entre résilience de la société et capacité des individus à faire du risque un moyen de renforcer la cohésion sociale dépens le devenir des sociétés du risque théorisées par Ulrich Beck. Toutefois l’utilisation sans précaution du terme à toutes les sphères du social sans spécifier la nature des liens entre individu et société risque d’en pervertir le sens.
De l’individu à la société, le pas est le plus souvent franchi sans s’interroger sur les raisons sociales qui font qu’un individu et une société soient qualifiés de résilients. La France plus que d’autres pays constitue une proie idéale pour les terroristes islamistes et radicaux. Les raisons en sont moins idéologiques que collectives et sociétales. Elles tiennent en partie à son histoire coloniale et à l’importance numérique des populations immigrées notamment musulmanes et aujourd’hui de nationalité française dont l’intégration tant économique que politique est toujours en question. Elles relèvent aussi d’une conception républicaine, centraliste et assimilatrice du pouvoir qui crée l’illusion d’une communauté homogène alors que la diversité est devenue la norme. De plus la globalisation et les problèmes structurels (le chômage des jeunes depuis la fin des trente glorieuses) qui en sont les conséquences, affaiblissent la légitimité du pouvoir et ses capacités de décision mettant même en péril le prétendu modèle français de l’Etat Providence. Ces différentes fragilités internes et spécifiquement françaises en font un terreau fertile de déstabilisation pour les islamistes radicaux qui mettent à l’épreuve sa résistance en exacerbant les conflits et rivalités internes.
Certains de nos intellectuels énoncent comme raison de la haine de la France les valeurs et les principes idéologiques issus de la révolution française comme l’égalitarisme, le républicanisme et l’universalisme dont les droits de l’homme seraient l’expression. En toute bonne logique ce serait en combattant sur ce front des valeurs que nous pourrions résister le mieux à l’emprise d’un terrorisme invisible et défendre la démocratie. Mais n’est ce pas là précisément se tromper de combat ? En effet en prenant comme soubassement du lien social un référentiel abstrait : la république, l’égalité et la citoyenneté, nous avons perdu toutes les médiations concrètes et existentielles -celles des communautés dans leur diversité, celles des liens de proximité et de voisinage- qui soudent un collectif et ne le constitue pas en une abstraction hors sol. A force de déni de l’existant et de la prise en compte des vécus de populations concrètes, la société française s’est fragmentée cloisonnée, divisée pour devenir un véritable champ de bataille ou l’autre est perçu le plus souvent non comme un ami, ni même comme un ennemi -ce qui serait déjà en soi une forme de reconnaissance- mais d’abord comme une menace pour sa propre existence et identité. La confrontation négative par opposition à la confrontation positive est ce qui caractérise le modèle français qui loin d’être un modèle égalitaire et d’inclusion comme ses élites voudraient nous le faire croire, est devenu en premier lieu un modèle de relégation, d’exclusion, d’expulsion violente ( cf Saskia Sassen, Expulsions, Gallimard, 2016) et de non reconnaissance qui produit le ressentiment, le mépris, la haine de soi et des autres. Ce n’est qu’en donnant prise aux individus sur leur propre vie que le lien social pourra se reconstituer et qu’alors ces individus deviendront résilients face au terrorisme tout en ayant conscience que les dommages causés ne sont pas du même ordre que ceux dont parle Boris Cyrulnik. Invoquer de manière péremptoire la résilience est aussi une façon pour les élites de se rassurer et de s’illusionner sur ses capacités à résoudre les problèmes.
Le mode de recrutement des élites politiques est une fabrique de castes, hors sol et dont les membres sont incapables de comprendre que leur monde n’est pas le monde et qu’ils ne peuvent le ployer conformément à leurs principes devenus caducs. La France n’est pas résiliente car elle ne fait plus société et ceux qui sont au pouvoir ont perdu le sens du réel. Ils fantasment la société, leur formation dans les grandes écoles puis leur appartenance aux Grands Corps d’Etat les ayant isolés du monde concret en leur donnant l’illusion de leur maîtrise et de leur aptitude à prendre les bonnes décisions. Rendre résiliente la France consisterait précisément à refaire du lien social sur tous les terrains, qu’ils s’agissent de l’école, de la famille, de l’habitat, de recréer de la civilité et du respect à l’égard de soi, des autres, humains mais aussi non humains, de rompre avec la surenchère du toujours plus consommer en retrouvant des formes de sobriété et des modes d’être plus authentiques et moins artificiels, de ne plus pointer en porte drapeau nos valeurs comme un étendard de guerre mais de les mettre en débat de la manière la plus large, de refonder du lien par la parole, la communication et l’action, en bref de réapprendre à vivre ensemble et à collaborer plutôt qu’à s’affronter et s’opposer. Mais pour cela il faudra aussi nous débarrasser d’une certaine conception du politique qui au lieu de mobiliser les initiatives citoyennes concrètes, locales et populaires les bride de peur de perdre le pouvoir et la légitimité. Cela ne se fera pas sans une profonde remise en cause du modèle français élitiste et républicain.
B.Kalaora, le 20 juillet 2016
Bernard.Kalaora (anthroposociologue, président de l'association LITTOCEAN) est avec Gullaume Decocq et Chloé Vlassopoulos l’auteur de La forêt salvatrice, reboisement, savoir et catastrophe au prisme de l’environnement, paru chez Champ Vallon en 2016.