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Billet de blog 22 déc. 2014

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CHRONIQUES ZADIENNES

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    CHRONIQUES ZADIENNES.

"On est pris en otage par une minorité d'anarchistes qui sont contre l'ordre républicain. L'immense majorité de la population en a ras-le-bol". Ainsi s'exprimait, le 7 Décembre 2014, le très archétypique député UMP de la 7ème circonscription de l'Isère, Monsieur Barbier, lors d'une manifestation destinée à soutenir le Center Parcs de Roybon. Le même s'était déjà illustré à l'Assemblée Nationale, en vouant aux gémonies les "zadistes" qui occupent une vieille maison forestière, abandonnée à proximité du chantier où Pierre et Vacances entend massacrer plus de 200 hectares de forêt et 120 hectares de précieuses zones humides. Et tous les "zélus" du coin de se livrer au même hourvari, à commencer par monsieur Vallini, secrétaire d'Etat, ministre putatif, et ardent coryphée de la République outragée. A les entendre, tous les maux de la terre seraient causés par les zadistes : un car caillassé ? Les zadistes. Un pneu crevé ? Les zadistes. Une bagarre entre jeunes ? Les zadistes. Les gendarmes qui multiplient les contrôles autour de Roybon ? l Les Zadistes, vous dis-je.... ** Pas un mot sur les côtes fracturées à coups de matraques télescopiques, ni sur la jeune fille au pied écrasé par le véhicule d'un furieux venu agresser les occupants de la "Marquizad". Dans le même temps, plusieurs personnes, dont une vieille dame déterminée, se faisaient prendre à partie et insulter dans les rues de Roybon, des propriétés privées étaient victimes de violation, des banderoles, financées par Dieu sait qui, pendouillaient dans les rues de nos villages, au mépris de l'opinion des ceux de nos concitoyens à qui Center Parcs n'a pas l'heur de plaire...

A cause - ou en dépit - du tollé ulcéré des  potentats locaux, la situation doit se voir considérée comme révélatrice d'une crise profonde, laquelle ne saurait se résumer à une quelconque jacquerie, ni à l'affrontement de quelques bouseux acariâtres. Parce que son retentissement médiatique laisse, d'une part, clairement entendre que les événements roybonnais relèvent d'une dimension signifiante et symbolique qui dépasse les seuls clivages locaux. Parce que, d'autre part, l'irruption du phénomène zadiste en de multiples lieux de France, résulte du sentiment, répandu, à tort ou à raison, dans une frange de la population, que le recours à la seule légalité livre les associations militantes à l'arbitraire du fric et du pouvoir, en les vouant à l'impuissance. La majorité des zadistes, à y regarder de près, n'est constituée ni de parias, ni des marginaux illuminés, ni de disciples de Ravachol. Une bonne part d'entre eux est diplômée, et son niveau culturel plutôt élevé. La raison n'incite donc ni à idéaliser les zadistes, ni à les diaboliser : ils ne font que traduire, à leur façon, la révolte d'une part croissante de la population face au saccage de l'environnement et au gaspillage insensé des ressources naturelles. Désireux, de leur propre aveu, d'inventer de nouvelles formes de vie sociale, ils interrogent la (mauvaise) conscience de nos concitoyens, en leur posant implicitement ces questions inconcevables: quelle sorte de monde entendez-vous laisser à vos enfants et à vos petits enfants ? Ne vous sentez-vous pas responsables de l'héritage que vous leur lèguerez ? N'êtes vous pas, dans votre inconscience, de monstrueux égoïstes ?

Un contexte local peu démocratique.

« Nos militants sont des citoyens qui jouent le jeu de la démocratie depuis de nombreuses années. En constatant chaque jour que les règles du jeu ne sont pas les mêmes pour tout le monde, ils finissent par considérer le dialogue environnemental comme un gadget créé pour les occuper pendant que les décisions sont prises ailleurs et sans leur consentement. » Ainsi s'exprime le président de l'association France Nature Environnement, à laquelle est affiliée la Fédération Rhône Alpes de Protection de la Nature.(FRAPNA). Un tel constat peut aisément se vérifier à propos du Center Parcs de Roybon. Les 12 conclusions rédhibitoires auxquelles étaient parvenus, à l'unanimité, les commissaires de l'enquête publique sur la loi sur l'eau, avaient été précédées d'un débat auquel 60% des 727 contributions écrites avaient apporté une conclusion négative. Auparavant, le Conseil National de Protection de la Nature, organe ministériel, avait, de même, formulé une réponse négative. Ces avis n'ont nullement empêché le Préfet de l'Isère d'autoriser la réalisation du projet. Pour quelle raison ? Parce qu'ils ne sont que "consultatifs"... Exprimez-vous, citoyens, mais si votre volonté s'avère contraire à celle des "zélus", le pouvoir n'en tiendra aucun compte! Le seul droit laissé au bon peuple, à défaut de le dissoudre s'il vote mal, c'est celui de fermer sa gueule...

A cette iniquité, s'ajoute le fait que les mêmes "zélus" de l'Isère s'arrogent le privilège de diffuser massivement, sans droit de réponse, de fausses informations dans la "revue" du conseil général (Isère Magazine), organe de propagande à leur gloire, financé par nos deniers, et d'assimiler tout opposant à un anarchiste patenté, à grands renforts de déclarations outrées et de rumeurs alimentées. Dans le même temps, ils désignent à la vindicte publique, et par la violence de leurs propos, toutes celles et ceux qui ne partagent pas leurs convictions. Cette technique, de manipulation a un nom : la désinformation. Sous d'autres cieux, comme, jadis, en d'autre temps, elle relève d'un fonctionnement totalitaire... Pas de quoi s'étonner, donc, si le déni de démocratie pousse une catégorie de jeunes gens, et parfois de moins jeunes, à la désobéissance civile. Les coupables ne sont pas ceux qui sont animés par un tel réflexe de résistance, mais ceux qui le provoquent.

Un contexte national tout aussi peu démocratique.

Les écharpes tricolores de certains "zélus" leur sont autant de bandeaux devant les yeux. Si leur ego et leurs passions ne les aveuglaient, ils mesureraient leur légitimité à l'aune pathétique de certains chiffres. Le 14 décembre dans l'Aube, par exemple, lors du second tour d'une législative partielle, un UMP s'est vu élire avec 63,25% des suffrages, contre un FN qui obtint, pour sa part 36,15% des voix. Nos "zélus" pourraient en déduire que 100% de la population de l'Aube vote à droite ou à l'extrême droite, si les chiffres ne venaient tout infirmer : il y eut 73,85% d'abstentions, ce qui place l'heureux" "zélu" à 14,69% des inscrits !! (Le PS avait été éliminé dès le premier tour...) L'institution démocratique s'avère bel et bien malade, et un divorce définitif s'installe entre ceux qui s'affirment "représentants du peuple" et le reste de nos concitoyens. Dimanche 7, puis Dimanche 14 décembre, les rues de Roybon ruisselaient d'une kyrielle d'écharpes tricolores et de drapeaux à la gloire de Center Parcs, où s'unissaient, en une édifiante communion, la droite, la "gauche" et le Front National. Les plus hauts niveaux des partis politiques officiels, à l'exception, peut-être, des "Verts", ne sont plus constitués que de quarterons d'arrivistes, qui se disputent le pouvoir et ses oripeaux, avec pour toile de fond la gangrène de la corruption et des affaires.

Le seul choix laissé à nos concitoyens se résume désormais à une même politique de gribouille , dont l'immigré, l' "assisté" et l' "écolo zadiste" constituent, selon les chapelles, les divers exutoires. A moins de considérer les intermèdes de pure sauvagerie comme un dérivatif salutaire, la politique du bouc émissaire n'a jamais constitué une réponse crédible aux problèmes de la population. Face à cette absence d'offre électorale crédible, la maladie de langueur de la démocratie provoque - et provoquera- de multiples éruptions et d'innombrables révoltes. Aujourd'hui, les ZAD en sont l'une des expressions les plus évidentes. Ce ne sont pas les vrais démocrates qu'il faut accuser de leur existence, mais l'incurie de la presque totalité du monde politique, local ou national, et de sa technostructure.

Un contexte de civilisation à bout de souffle.

Le concept hegelien de "fin de l'Histoire", revisité par Francis Fukuyama, indique clairement qu'une "raison" opérationnelle, inscrite dans un contexte idéologique particulier, régit aujourd'hui le monde. La conversion généralisée de tous les régimes politiques au libéralisme économique, qu'ils s'appuient sur une dictature ou sur la "démocratie" parlementaire, en témoigne. En dehors de ce seul modèle, plus aucun choix ne se voit offert aux populations. Comme l'écrit Herbert Marcuse dans "L'homme unidimensionnel" : " L'indépendance [ des hommes politiques professionnels] à l'égard de la volonté populaire est de plus en plus grande. On est loin d'une authentique souveraineté populaire. Mais la domination qu'ils exercent s'est inscrite dans les activités et les loisirs quotidiens des individus; les symboles de la politique sont devenus également les symboles des affaires, du commerce, du divertissement." (Editions de Minuit, p. 128). Cette marchandisation des "affaires de la cité", qui peut sembler objective, au sens rationnel du terme, relève, en vérité d'une vision idéologique. Elle ne fait que s'amplifier, jusqu'à produire aujourd'hui des "zélus" clonés, asservis au discours dominant, et incapables d'exprimer des conceptions différentes de celles qu'induit la pensée unique.

Le fonds de commerce d'un tel cylindrage intellectuel repose sur un ultime credo : la croissance. Inutile d'attendre de ceux qui gouvernent le monde, à quelque niveau que cela soit et quel que soit leur échelon hiérarchique, autre chose qu'un discours calibré par ce seul et unique concept. Or l'affirmation d'une croissance infinie dans un monde fini est une insulte à l'évidence. *** Tout, aujourd'hui, concourt à le prouver. La baisse actuelle du prix des carburants, produit ponctuel d'un contexte géopolitique particulier, ne doit pas faire illusion : les sources d'énergie se raréfient dangereusement. L'électricité à faible prix d'origine nucléaire, sans même s'appesantir sur le danger qu'elle fait courir à la planète, ne survivra pas au vieillissement des centrales et au coût de leur entretien. Le recours accru aux énergies fossiles, elles mêmes se raréfiant, accroîtra le réchauffement climatique et les catastrophes qui l'accompagnent. Les matières premières disparaissent progressivement, augmentant les coûts de production, amplifiant les phénomènes de délocalisation, le chômage, la paupérisation des populations, les migrations massives et les révoltes sociales.

Confrontés à une situation qui dépasse largement leurs compétences et leur capacité d'adaptation, les "zélus" se lancent à l'aveuglette dans des projets insensés et sans lendemain, qui n'enrichissent que quelques nantis au détriment de la collectivité. Ne disposant plus d'unités de production, (parties en Chine ou en Pologne), ils multiplient les centres commerciaux inutiles et sans avenir, comme, par exemple, le "Parc Saint Paul" (encore un "parc" !), ensemble de hangars hideux baptisé pompeusement "nouveau concept commercial", près de Romans, juste après une sortie de ville qui évolue inexorablement en friche industrielle.

De façon similaire, ce qu'Henri Mora appelle, avec justesse, la "center parquisation du monde" relève d'un tel processus: " L'artificialisation et la domestication des territoires et de leurs usages sont symptomatiques de la société marchande et capitaliste qui dans la surenchère s'est développée de manière industrielle et morbide".( La Décroissance n° 112 de Septembre 2014 p. 12). Réponse absurde à des besoins artificiels, l'univers du Center Parcs n'est qu'un grotesque et nuisible attrape-nigauds, destiné à renflouer les finances de Pierre et Vacances, en privant les populations locales de leur patrimoine naturel, pour trois francs six sous et une poignée d' "emplois" misérables. Center Parcs n'est que l'expression concrète d'une société intoxiquée qui n'offre, pour valeurs à sa jeunesse, qu'une pseudo richesse matérielle, ainsi que la pacotille des Disneyland et autres univers factices. Si les "zélus" parviennent, aujourd'hui, à convaincre une partie de la population qu'un tel projet revitalisera le tissu économique de la région, ils seront redevables, demain, des désastres qu'il engendrera et du surcroît de désespoir qui les accompagnera.

Les "zélus" peuvent bien continuer à vitupérer : les ZAD et les Zadistes vont se multiplier. Ce ne sont pas les associations citoyennes légales et lanceuses d'alerte comme La FRAPNA ou PCSCP qu'il faut incriminer; au contraire, c'est parce que le pouvoir refuse de les écouter qu'il se trouve confronté, aujourd'hui, à ces nouvelles révoltes.

Les ZAD posent aux "zélus" un insurmontable dilemme : s'il entendent gérer la situation par la violence, comme à Sivens ou à Notre Dame des Landes, ils se trouveront confrontés massivement à une jeunesse en colère. S'il obtempèrent, alors ils reconnaîtront implicitement qu'il ne représentent plus qu'un système impuissant et malade. Leur hargne n'est que l'expression de cette impasse. Ici et là on entend murmurer, parfois avec indulgence, parfois par pure méchanceté, que les zadistes vivent sur "une autre planète". Que l'on y prenne garde: s'ils sont d' un autre monde, c'est peut-être bien celui de demain...

                                                                                                                                                                                         Bernard Kuntz

**Selon Médiapart : " La maison de Ben Lefetey, porte-parole du collectif pour la défense de la zone humide du Testet, a été taguée (« Ici vit Ben Laden »)". Rappelons au passage que mort d'homme à Sivens il y eut, et que cette dernière ne fut pas causée par les opposants au barrage, ni par des zadistes.

*** S'il est besoin de l'en convaincre, j'invite mon lecteur à lire ou à relire Georgescu-Roegen, Ellul, Jacques Neyrinck ou Jean-Claude Michéa, pour ne citer qu'eux...

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