Je me souviens d’avoir raccompagné Coluche, sûrement faussement courroucé, avant la fin de l’émission ; d’avoir conduit jusqu’à la sortie un représentant de l’église catholique outré par les propos qui se tenaient sur le plateau ; d’avoir proposé d’inviter Jean-Luc Godard qui réclama une minute de silence, qu’il obtint... Pendant trois ans, de 1982 à 1985, j’ai collaboré à Droit de Réponse. Avec Michel Polac, ce furent d’enrichissantes années de journalisme. Pourtant, nous nous sommes fâchés, rudement, définitivement, à propos d’un conflit d’ordre professionnel. Je ne regrette pas d’avoir pris parti dans le conflit ; j’ai le regret de cette rupture. Je le lui ai écrit. Mais sans réconciliation de sa part, ce que je comprends ; la tension avait été extrême pendant quelques semaines, et il avait pu prendre mon opposition à son jugement comme une « trahison ». Ce dont, de mon point de vue, bien sûr, il ne s’agissait pas. Bien au contraire, ma position, je me permets de le penser, était du même genre que son intransigeance, des mêmes ressorts, je le crois, que ceux qui l’avaient avait guidé, lui, dans une « carrière » (le mot l’aurait agacé) ambitieuse, exigeante, et à bien y regarder exceptionnelle parmi celles de sa génération. Avec Polac, difficile, il ne l’était pas, d’être tiède...
Au dernier étage des studios de la SFP, aux Buttes-Chaumont, près de la cafétéria, la petite équipe de DDR occupait trois pièces très peu luxueuses, dont le plafond se soulevait par grand-vent... Un vent roboratif qui balaya le paysage télévisuel. Les studios de la SFP, situés rue des Alouettes, n’existent plus emportés par la rénovation immobilière...
Ce n’était pas ma première rencontre avec Polac. Encore lycéen, je ne ratais sous aucun prétexte un Post-Scriptum, une émission où il animait des débats avec des écrivains et d’autres invités autour de sujets, d’idées, d’ouvrages qui occupaient l’époque post soixante-huitarde. Ce fut la maquette assez aboutie déjà de ce que la télé pouvait (éventuellement mais rarement) proposer de mieux, et surtout de ce que Polac allait entreprendre plus tard, avec Droit de Réponse (mais déjà, autrement, à partir de 1955, avec François Régis Bastide, aux soirées dominicales du Masque et la plume sur France inter, émission « culte »).
Je lui avais écrit pour lui dire tout mon enthousiasme. Ayant lu l’annonce d’un Post scriptum avec Jean-François Revel dont je venais de lire le Ni Marx Ni Jésus (sous titre : De la seconde révolution américaine à la seconde révolution mondiale, 1970) –, je lui proposai de venir ce soir là. Le livre de Revel, pour aller vite, portait sur les raisons de sa rupture avec la gauche socialiste et allait avec un éloge d’un certain modèle américain. Le jour même de l’émission, je reçus un télégramme m’invitant à participer au débat. J’y prononçais, lycéen de service, quelques phrases, vers la dernière minute, sûrement oubliables...
Peu de temps après la suppression punitive de Post-scriptum, en 1971, à la suite d’une polémique née d’un film de Louis Malle, Le Souffle au cœur, autour du thème de l’inceste, la censure télévisuelle de la France « pompidolisée » ayant frappé, je lui avais écrit pour lui dire mon soutien.
Dix ans plus tard, alors que Droit de Réponse était déjà l’hebdo incontournable qu’il allait devenir semaine après semaine, devenu journaliste, je le rencontrai pour lui proposer de travailler avec lui, sans trop l’espérer. Après une brève et chaleureuse entrevue, il me promit une prochaine réponse. Elle vint. Sans doute la meilleure de mes « surprises » professionnelles.
Droit de réponse fut un véritable espace de liberté pour les journalistes qui y travaillaient et pour les téléspectateurs que l’on ne prenait pas ici pour des idiots comme c’est trop souvent devenu la coutume. Certes, ce n’est pas un âge d’or à regretter, mais un moment de démocratie (télévisuelle) favorisé brièvement par le retour de la gauche aux affaires (sans jeu de mots...), et de démocratie tout court où la « folle du logis » pouvait être autre chose qu’une boîte à jeux et à talk shows people. Malgré son succès d’audience, l’émission fut diffusée de plus en plus tard...
Et puis Polac était, entre autres choses, un véritable lecteur, un critique littéraire au jugement original et sûr, bref un intellectuel, ce qu’il se défendait d’être par coquetterie, autodidacte revendiqué... Lui, il lisait les livres dont il parlait.
Sur le plateau de Droit de réponse on s’apostrophait, criait, hurlait parfois, mais pas seulement, mais pas toujours, pas forcément. On y parlait. On y parlait peu pour ne rien dire...
Contrairement à ce qui fut dit et dit encore parfois par ses détracteurs, la mise en forme des sujets étaient longuement préparées : chacun des thèmes hebdomadaire faisait l’objet de longues et minutieuses enquêtes ; la présence éclectique des intervenants, triés sur le volet, choisis pour ce qu’ils avaient à dire et non pour leur télégénie, ouvriers, syndicalistes, écrivains, journalistes, dessinateurs, anonymes de la « société civile »... ministres (rarement, ça leur faisait peur) était garante d’une vraie confrontation d’idées : au meilleur sens du terme, l’émission de Polac fut des plus populaires, pas populiste, l’abondant courrier des lecteurs, ravis ou franchement agressifs en était la preuve.
Anecdote. De ces années là, je garde un « cadeau » que m’avait fait un mineur, rencontré pour les besoins d’une émission. Il venait parler de sa vie, de sa mine fermée où il trima toute sa vie, fermée pour « cause économique » : c’était un simple bloc de charbon de plusieurs kilos remontés des profondeurs obsolètes. Il me l’avait donné à la fin d’une émission en remerciement pour sa participation cette soirée là où « il avait pu venir dire des choses »... Je l’ai conservé... Une reconnaissance symbolique des enjeux de ce forum (spectaculaire parfois) de DDR, et de la satisfaction pour ceux qui y participaient (et même ceux qui se plaignaient d’avoir été coupés dans leur élan) ; le sentiment d’une parole entendue et respectée. Ce n’est pas si mal.
Et si les émissions de Polac n’ont pas changé le monde, elles ouvraient à de vrais questionnements sur les prisons, la justice, les conditions de travail, l’écologie, la presse... Droit de réponse, en quelques mots ?Une émission où l’on pouvait dire des choses importantes sans recourir forcément aux sentences d’experts patentés en sentences calibrées... Oui, oui, à la télé on dit toujours des choses (le nombre de chaînes a été multiplié par cent, ce qui est sans aucun rapport avec le paysage audiovisuel de années quatre vingt, il y a de bonnes émissions, Arte, etc.), mais sans l’esprit Polac, cherchez la différence... d’époque. Heureusement, il y a Mediapart. Ce n’est pas un bon mot...