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Billet de blog 21 août 2017

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La SEMOP, une arme de destruction massive de la gestion publique directe ?

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La SEMOP, une arme de destruction massive de la gestion directe et des régies publiques ?

Les SEMOP : Éléments de définition

Les sociétés d’économie mixte à opération unique (SEMOP) ont été créées par la loi du 1er juillet 2014, et codifiées[1] dans le CGCT aux article 1541-1 à 1541-3[2].

Ce sont des sociétés commerciales, anonymes, régies par les dispositions L.225-1 et suivants du Code de commerce[3]. Par dérogation, elles sont composées d’au moins deux actionnaires. Elles peuvent prendre la forme de sociétés à conseil de surveillance (CS) et directoire, ou de sociétés à conseil d’administration (CA).

Les collectivités territoriales, leurs groupements ou l’État, dans le cadre de leurs compétences respectives, les constituent, en tant qu’actionnaire, avec un opérateur privé. Ce sont donc des sociétés d’économie mixte (SEM).

La SEMOP se distingue cependant des SEM, déjà consacrées par le droit français, par six caractéristiques : 

  1. L’entité publique peut être minoritaire, détenir au minimum 34% des actions. Sa participation ne peut pas être supérieure à 85%.
  2. La présidence du CA ou du CS est obligatoirement exercée par un élu désigné à cet effet, tandis que la direction des opérations et la représentation de la société est assurée par un membre de l’opérateur privé. Les droits de vote sont obligatoirement attribués proportionnellement à la participation de chaque actionnaire.
  3. L’objet social de la SEMOP consiste en l’exécution d’un contrat unique avec l’entité publique, en ce qui concerne l’eau et l’assainissement, au point (2), Art.L.1541-1-I, la gestion d’une concession de service public. À l’expiration de ce contrat, elle est dissoute et liquidée.
  4. La SEMOP ne peut pas créer de filiale ou participer de façon minoritaire à d’autres sociétés commerciales.
  5. Pour l’attribution de ce contrat, la SEMOP fait l’objet d’un unique appel à concurrence par l’entité publique. Il concerne le choix de l’opérateur privé. À l’issue du processus de consultation, simultanément, la SEMOP est constituée et un contrat de concession ou de marché public est signé entre la SEMOP et cette entité.
  6. Un document dit de « préfiguration » doit être inclus dans le dossier de consultation. Il doit spécifier les principales caractéristiques de la SEMOP envisagée ainsi que « le coût global (…) et sa décomposition ».

Pour l’eau et l’assainissement, activités exercées en réseau, elle est cependant, comme les SEM et les quasi-régies, considérée comme « entité adjudicatrice ». Par conséquent, elle doit passer des appels d’offres selon les planchers de montants correspondants[4].

La construction en France de ce type de société concessionnaire ou attributaire d’un marché public innove peu au regard du droit européen et, dans divers pays, il fonctionne sous diverses formes et moins de contraintes[5]. Une communication interprétative de la Commission européenne du 5 février 2008[6] et la jurisprudence constante de la Cour de justice (ACOSET 15 octobre 2009[7]) établissent la validité juridique de ce type de « partenariat public privé institutionnalisé » (PPPI) en Europe.

En France, l’Institut de la gestion déléguée[8] et la Fédération des entreprises publiques locales ont pleinement coopéré pour pratiquer un lobbying qui s’est avéré efficace auprès des élus et du Parlement pour créer ce PPPI, voté sans difficulté[9] par les deux chambres.

La réponse institutionnelle aux critiques contre les diverses formes de PPP

En effet, les nuages s’amoncelaient sur les diverses formes de gestion déléguée, et les PPP institués par ordonnance en 2004.

Les associations dénonçaient et contestaient avec un certain succès, malgré l’opacité volontaire et le « secret industriel et commercial » les diverses délégations de service public attribuées aux majors de l’eau et de l’assainissement, qui accumulaient les surprofits, au détriment des usagers, privés de possibilité de contrôle et de prévention.

Aussi, la création de régies de l’eau, sous forme d’EPIC[10], à autonomie financière et personnalité morale, était non seulement mise à l’ordre du jour, mais devenait effective, de façon emblématique à Paris. Les multinationales de l’eau craignaient un processus de remunicipalisation massif alors que les changements d’échelle des compétences institués par les lois MAPAM et NotRe devaient se réaliser à brève échéance[11].

Les SEM locales (construction, etc.) présentaient pour les défenseurs du « partenariat » public-privé, l’inconvénient, issu de l’obligation de détention de la majorité des actions par la collectivité, de requérir une capitalisation publique parfois élevée et de peu intéresser les opérateurs privés majeurs. Car, sans pouvoir de contrôle, ils ne pouvaient pas inclure leur participation dans leur périmètre de consolidation, et faire suffisamment remonter de dividendes.  La constitution de fonds propres publics locaux était non seulement prise en ciseaux entre des endettements excessifs consécutifs à des emprunts toxiques et la baisse des dotations de l’État, mais aggravait le taux d’endettement et empêchait les éventuels prêts futurs. D’autre part, en cas de SEM dédiée à un seul contrat d’intérêt général, il fallait cependant organiser deux mises en concurrence distinctes.

Les contrats de partenariats (dits PPP) institués par l’ordonnance de 2004, perdaient en 2010 « l’avantage » de voir les dettes contractées par ce biais figurer hors bilan. Instruments dérogatoires de la commande publique, mais bénéficiant de l’ingénierie financière de Bercy[12], ils devaient après leur réforme[13] être facilités et élargis[14]. Du côté des associations et de certains élus, le coût exorbitant de ces contrats était dénoncé à juste titre. Ils seront mis en cause au début du quinquennat de François Hollande à l’échelon ministériel, sans effet réel. Au niveau européen, le Royaume uni qui les avait initiés et développés, procédait à un moratoire au vu de l’impossible construction de contrats complexes opérant sur une très longue durée. Public et privé en contestaient le manque de souplesse.

Le dépôt du premier texte de loi sur un PPPI en 2013 visait, pour la coalition des partisans de « l’économie mixte », à pallier les difficultés des divers PPP face à la progression entamée de la gestion publique directe.

Les sources confluentes de l’idéologie des partenariats public-privé

En France, la SFIO, puis le Parti socialiste, ont développé l’idéologie et la politique de cette « économie mixte » qui, selon François Mitterrand, serait consubstantielle au pays lui-même. En 1969, la campagne présidentielle de Gaston Defferre et de Pierre Mendes France exaltait ce thème cardinal. On a pu mesurer à Marseille, ce que le partenarial de 53 ans avec la SEM, filiale de Veolia, a pu procurer comme avantages au personnel politique et à la multinationale, au détriment des usagers. A ce méli-mélo affairiste est venu se combiner l’idée néolibérale de l’amaigrissement de l’État et de sa gestion comme une entreprise privée, le new public management. En ce qui concerne les « biens communs » comme l’eau, la gestion privée, sous une pseudo maitrise publique, serait la plus efficace, comme le proclamait en pleine page de l’Humanité et de La Marseillaise une publicité de Veolia avant le Forum mondial de l’eau de Marseille en 2012. À la trappe la démocratie de la gestion en commun des « biens communs ».

Idéologiquement unies, Droite et « Gauche » pouvaient collaborer et aboutir par consensus à écrire la nouvelle histoire de la SEMOP. 

Une maîtrise publique en trompe-l’œil et la participation minoritaire de la collectivité à la filiale d’une société privée destinée à distribuer des dividendes maximums dans l’opacité.

Les diverses restrictions qui caractérisent la loi SEMOP par rapport à l’ensemble des législations et des pratiques des nations en Europe s’expliquent par le contexte adverse plus favorable à la gestion publique directe en France, mais les principaux dangers proviennent de la volonté de « corporatiser[15] » État et collectivités territoriales, tout en laissant accroire au maintien et au développement d’une maîtrise publique devenue un simple slogan.

Ainsi, les SEMOP n’ont d’intérêt pour les opérateurs privés qu’au cas où elles en assument le contrôle. La SEMOP devient donc une filiale de cette société privée, qui bénéficie des remontées de dividendes masquées dues à son ingénierie financière[16] et des pratiques de « mutualisation » avec leur groupe, selon des clés de répartition analytiques. Elle est comprise dans son périmètre de consolidation. Cependant la présence d’un élu de la collectivité à la présidence non exécutive[17], alors que cette collectivité est minoritaire, est présentée fallacieusement comme une preuve de maîtrise. Peu importe alors qu’on ait précédemment excipé de l’incapacité de savoir et de savoir-faire rendant la création d’une régie impossible.

D’ailleurs, comme toutes les sociétés commerciales les SEMOP ont pour objectif de produire des dividendes élevés pour leurs actionnaires. Cette clause implique que la collectivité publique intègre la recherche du profit maximum dans une opération d’intérêt général financée par des usagers, ce qui est contraire à ses objectifs républicains[18].

En outre, le secret industriel et commercial s’applique à l’ensemble des éléments de gestion, sous réserve des documents à publier au registre du commerce. Les élus, les fonctionnaires, les experts qui, éventuellement, procèderaient à des opérations d’audit, seraient obligés de garder le silence. Cette disposition s’oppose clairement au contrôle des citoyens, comme on peut le constater dans l’ensemble des gestions public-privé.

Une confusion d’intérêts public-privé lourde de dangers légaux

Malgré quelques garanties légales concernant les conséquences civiles pour les élus actionnaires d’une gestion fautives de la SEMOP, il reste qu’une société concessionnaire n’est ainsi définie qu’en cas de transfert du risque d’exploitation de la collectivité vers elle[19]. En ce sens, la responsabilité de la totalité des actionnaires, dont les élus siégeant au CA, pourrait être recherchée.

Mais aussi, dans la situation où le contrat de concession ne serait pas respecté par la SEMOP, en cas d’inaction de la collectivité, le préfet pourrait l’attaquer devant le tribunal administratif ainsi que tout citoyen ayant intérêt à agir.

Un développement favorisé par l’État

Néanmoins, actuellement les SEMOP, ont le vent en poupe, puisqu’après Dole et Chartres, où elles fonctionnent déjà, des délibérations en ce sens ont été prises à Sète, La Seyne et au SIIAP. Plus de 25 sont en gestation selon des sources professionnelles[20]. Le gouvernement les favorise dans le contexte du changement d’échelle des compétences, en mettant à la disposition des projets l’ingénierie et les ressources financières de la Caisse des dépôts[21]. Cette intervention de la puissance financière de la Caisse est paradoxale dans la mesure où les SEMOP sont présentées comme devant pallier l’impécuniosité de l’État et les difficultés d’emprunter.

L’antidote : les luttes associatives et politiques pour institutionnaliser des communs de l’eau

Cette tendance lourde pourrait s’accentuer sans les luttes associatives et politiques qui mettent en avant la légitimité de bâtir des régies publiques, à l’exemple d’Eaux de Paris.

En effet, dans une régie dotée de la personnalité morale et de l’autonomie financière, le produit de la recette de la vente de l’eau et de l’assainissement aux usagers reste intégralement affecté aux charges courantes de l’exploitation et aux investissements nécessaires. Sa gestion est d’autant plus efficace que la collectivité peut passer avec elle des conventions d’objectifs souples et glissants, sans ingénierie contractuelle lourde. Le secret industriel et commercial ne s’applique pas, ce qui permet un contrôle effectif des usagers. Leur vote délibératif dans le conseil d’administration peut être instauré, ainsi que celui des salariés. Ainsi la maîtrise publique peut-elle prendre tout son sens en instituant des « communs » et devenir ainsi désirable.

[1]https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006070633&idArticle=LEGIARTI000029178094&dateTexte=&categorieLien=cid

[2] Pour les SEMOP hydroélectriques voir la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte - Article 118 L'État et, le cas échéant, les collectivités territoriales et les partenaires publics détiennent conjointement entre 34 % et 66 % du capital de la société et entre 34 % et 66 % des droits de vote dans les organes délibérants. La part du capital et des droits de vote détenue par l'actionnaire opérateur ne peut être inférieure à 34 %. Pour les SEMOP dont il est ici question, le capital public peut atteindre 85%.

[3]https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000031145632&cidTexte=LEGITEXT000005634379

[4] Direction des Affaires juridiques Les pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices 08/11/2016 p.10-11

[5] Mémoire A.L. Menjuc http://idc.u-paris2.fr/sites/default/files/memoire_anne_laure_menjuc.pdf

[6] http://ec.europa.eu/internal_market/publicprocurement/docs/ppp/comm_2007_6661_fr.pdf

[7] http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?docid=76766&doclang=fr

[8] http://www.fondation-igd.org/index.php/membres.html

[9] Mais, c’est à tort qu’il est souvent indiqué que cette loi a fait consensus. Les groupes FDG (Dolez) et EELV (Molac) ont annoncé leur abstention au cours de la discussion parlementaire. Cependant, les deux groupes n’ont pas pris part au vote, entraînant ainsi, le constat d’unanimité. Pourquoi ?

[10] Établissement public industriel et commercial

[11] Finalement entre 2016 et 2020

[12] MAPP : mission d’appui aux PPP

[13] Loi n°2008-735 du 28 juillet 2008 portant réforme de l'ordonnance du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat public-privé (PPP)

[14] Du fait du « partage du risque », ils ne sont pas traités par l’ordonnance concession mais par celle sur les marchés publics. Le véhicule juridique peut être une SEMOP. Les conditions d’accès sont plus restrictives, même si les critères de recherche de l’urgence et de la complexité ont disparu. Voir la fiche DAJ http://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/daj/marches_publics/conseil_acheteurs/fiches-techniques/marches-partenariat/marches-partenariat.pdf

[15] Néologisme fabriqué à partir du mot anglais corporate entreprise.

[16] Mais les entreprises qui bénéficient de marchés publics de travaux s’inquiètent du seuil de déclenchement des appels d’offres par les SEMOP en tant qu’entité adjudicatrice (25000 €) et du pouvoir des opérateurs de la SEMOP en ce cas

http://www.chantiersdefrance.fr/marches/reseaux-alain-grizaud-president-de-canalisateurs-de-france-amelioration-de-lactivite-nest-inscrite-duree/

[17] La volonté de masquer cette supercherie explique le choix préférentiel de la SEMOP avec conseil d’administration, plutôt qu’avec conseil de surveillance et directoire.

[18] Cette clause est particulièrement affirmée dans les statuts et les pactes d’actionnaires des SEMOP dont nous possédons les documents.

[19] Ce critère primordial est affirmé dans l’ordonnance de transcription de la directive « Concessions ».

[20] Selon Marc Laimé, reprenant un article de « Canalisateurs de France ».

[21] La CDC peut participer aux fonds propres sans mise en concurrence, en tant que partenaire financier

Voir par exemple http://www.amd92.fr/attachments/article/1761/Pr%C3%A9sentation%20CDC.pdf

http://www.localtis.info/cs/ContentServer?pagename=Localtis/LOCActu/ArticleActualite&jid=1250271178970&cid=1250271153954&np=ex3403989

http://www.localtis.info/cs/ContentServer?pagename=Localtis/LOCActu/ArticleActualite&jid=1250271178970&cid=1250271153954&np=ex3403989

et l’ambition d’exporter le modèle dans les pays pauvres par coopération entre la CDC et l’AFD

(p.17) http://www.economie.gouv.fr/files/files/PDF/rapport-sur-le-rapprochement-afd-cdc_2016.pdf

Aqualter qui a constitué la SEMOP eau de Chartres est filiale à 52% de la CDC.

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