Un vif débat s’est emparé de notre pays après l’annonce du président de la République le 10 mars 2024. De nombreux arguments sont échangés qui ont pour mérite de parler -enfin- d’un sujet trop souvent occulté.
La France va se doter assurément d’une nouvelle loi dans ce domaine. Elle aura pour effet de remettre en question un interdit vieux d’au moins 2400 ans si l’on se réfère au serment d‘Hippocrate ; un engagement bien antérieur au christianisme, une fondation qui a persisté jusqu’à maintenant.
Le premier état à légiférer fut l’Oregon en 1997. A l’heure où ces lignes sont rédigées, ce sont vingt-deux états occidentaux dont onze états-uniens qui ont autorisé une démarche de mort programmée. Pourtant, le débat n’est pas clos dans les pays qui se sont dotés d’une telle législation.
Que s’est-il passé pour qu’un tel basculement éthique survienne aussi rapidement, sur une aussi vaste étendue, dans des pays parmi les plus riches du monde ? Quelques pistes à votre appréciation.
L’accélération de la vie, bien étudiée par le sociologue et philosophe contemporain Hartmut Rosa nous fournit un premier indice : nos vies viennent de connaitre une accélération sans précédent dans les domaines technologiques, sociaux et comportementaux. Pourquoi la fin de la vie ne connaitrait-elle pas le même sort ? Concrètement, le temps manque pour accompagner ses proches. Les distances moyennes entre malades et « aidants » se sont accrues avec la dispersion géographique de la famille. L’accompagnement humain ne se contentera pas des réseaux sociaux. Il exige la présence des proches et leur disponibilité.
L’oubli de la mort au prix d’une vie trépidante, nouvelle forme du divertissement pascalien, nous évite une projection désagréable vers le moment de notre fin. Certes. Mais l’évitement implique de détourner le regard de l’action collective indispensable à l’amélioration de cette période.
Une économie non maitrisée, mondialisée, fondée sur la performance, la rentabilité, avide de concurrence et de profit, accélérée par les nouveaux moyens planétaires de communication, génère inévitablement le rejet des inutiles, des non-productifs, de ceux qui sont qualifiés de bed blockers censés « encombrer » nos établissements de soins.
L’accès aux soins est de plus en plus précaire, de plus en plus menacé. Même dans notre pays qui se targua longtemps de la qualité de son système de santé, des indices alarmants sont devenus patents. L’évidence saute désormais aux yeux : les soins palliatifs sont insuffisants, les perspectives démographiques de la population, en regard de celles des soignants, font craindre un avenir sombre.
Les progrès de la médecine sont fulgurants. Mais, sans argument solide, ils sont perçus comme générateurs d’expansion et non de compression de la morbidité de la fin de la vie prophétisée par James Fries en 1980. Nous attendons de la médecine qu’elle soit aussi performante dans le soulagement des souffrances en fin de vie. Or nous sommes déçus pour deux raisons : l’insuffisance de développement de la médecine palliative d’une part et le constat de notre impuissance face à notre destinée existentielle d’autre part. Pourrons-nous jamais envisager la mort avec une constante sérénité ?
Ainsi, le refus de la fin de la vie dans des conditions indignes s’est imposé à juste titre dans l’opinion sans se donner les moyens d’y remédier.
La prévision de nouvelles contraintes liées aux dérégulations climatiques n’encourage pas les initiatives en faveur des plus vulnérables d’entre nous. La fin de la guerre froide a brièvement fourni l’illusion de la fin des conflits armés. Il n’en est rien ! Voici que nous nous interrogeons : pourrons-nous relever tous ces défis financiers et humains ? Ne serons-nous pas trop nombreux, trop coûteux ?
Les données qui nous viennent d’Oregon et du Canada sur les motivations des malades postulants sont instructives. Au Canada, en 2022, les sources de souffrance les plus souvent citées par les personnes effectuant une demande d’aide médicale à mourir étaient la perte de la capacité à participer à des activités significatives (86,3 %), suivie de la perte de la capacité à accomplir les activités de la vie quotidienne (81,9 %), loin devant le contrôle inadéquat de la douleur ou l’inquiétude au sujet du contrôle de la douleur (59,2 %). En Oregon, en 2023, les trois préoccupations de fin de vie les plus fréquemment signalées sont la perte d'autonomie (92 %), la diminution de la capacité à participer à des activités qui rendaient la vie agréable (88 %) et la perte de dignité (64 %).
Autant dire que le défi va au-delà du contrôle des symptômes pénibles en fin de vie mais doit aussi être attendu dans l’accompagnement des vulnérabilités dans un sens large. Dès lors, des objectifs ambitieux nous attendent pour éviter le sauve-qui-peut mortifère qui s’annonce : favoriser l’autonomie, développer la vie sociale, définir la dignité espérée, rendre disponibles les soins palliatifs, parler encore et toujours de la fin de la vie.