Je suis né en 1950. Ancien anesthésiste-réanimateur puis gériatre, toujours hospitalier, je me revendique athée et de gauche. Vivant au pays de Jaurès, je me réclame en grande partie de sa pensée.
Fin de vie ou fin de la vie ? Deux expressions différentes qui renvoient à la philosophie, spécialité de Jean Jaurès. Une définition bien floue si l’on écoute les français à travers le sondage BVA pour April de 2022, la période la plus souvent évoquée1 concerne les dernières années de vie, ce qui est conforme aux principales préoccupations de nos contemporains pour cette période.
En 2023, on peut mourir dans des conditions correctes en France, en particulier du fait du développement d’une nouvelle branche de la médecine, les soins palliatifs. Mais aussi on meurt mal, constat implacable, ces mêmes soins étant insuffisamment développés. Un indice, parmi d’autres, nous est fourni dans l’atlas des soins palliatifs de 2023 2: en 2019, 12 % seulement des EHPAD3 sont dotés d’un infirmier présent en permanence. Il s’agit pourtant de lieux où 26% des français, tous âges confondus, sont décédés la même année. De 644 201 en 2021, le nombre de décès devrait dépasser 750 000 d’ici 2050.
Que nous dit Jean Jaurès il y a 120 ans à Albi ? 4 Je le cite : « Le courage, c’est d’aimer la vie et de regarder la mort d’un regard tranquille ;»
Plus tard, il se prononce contre la peine de mort en 1908, et, en relation avec la fin de la vie à son époque, en faveur de l’institution de la retraite à 60 ans en 1911.
Auparavant, il n’a que 35 ans, pourtant déjà réélu à la Chambre comme député de Carmaux, il parle devant des étudiants engagés, au Quartier Latin à Paris :
« Il y a dans l’homme une telle pénétration de l’homme même et du milieu économique qu’il est impossible de dissocier la vie économique et la vie morale pour les subordonner l’une à l’autre, il faudrait d’abord les abstraire l’une de l’autre ; or, cette abstraction est impossible : pas plus qu’on ne peut couper l’homme en deux et dissocier en lui la vie organique et la vie consciente, on ne peut couper l’humanité historique en deux et dissocier en elle la vie idéale et la vie économique. »5
De mémoire historique, la fin de la vie est abordée sous l’angle des croyances et de l’attitude devant la mort : surtout les religions pour le peuple, la philosophie pour des élites. Depuis que l’on meurt généralement âgé, l’interrogation s’est centrée sur la place des personnes âgées, l’assistance aux malades et le rôle de la médecine, la signification de devenir dépendant, l’utilité des plus vulnérables, sans oublier, tableur Excel oblige, le coût économique. Aux États-Unis, celui des soins lors de la dernière année de vie des personnes âgées est estimé entre 40 000 et 50 000 $ contre 7000 $ en année « normale »6 . Avec une franchise qui l'honore, le ministre des Finances japonais Taro Aso, soucieux du fardeau des personnes âgées dans son pays, leur recommande en 2013 de se dépêcher de mourir 7. Nul ne sait s'il existe un rapport entre cette déclaration sincère, le film "La Ballade de Narayama"8 et, plus récemment, "Plan 75"9 que le Japon qui nous offre.
Quand mourons-nous ? Le décès survient de plus en plus tard dans la vie. L’espérance de vie à la naissance atteint 79,7 ans pour les hommes et 85,6 ans pour les femmes en 2019 en France métropolitaine. Deux-tiers des français meurent après 80 ans. Plus de la moitié des femmes décèdent après 85 ans avec des inégalités bien connues de genre et de statut socio-économique. Fait nouveau : désormais, nos contemporains vont travailler quasiment jusqu’à l’espérance de vie sans incapacité (EVSI)10 soit en moyenne aux âges de 64 et 65 ans.
Où finissons-nous notre vie en France ? Nous vivons un déplacement massif vers des établissements. Il s’agit du vrai, et non mythique, grand remplacement de la famille en trois générations par des services à domicile précédant le recours à des institutions dédiées aux soins et à la dépendance : hôpitaux, cliniques, EHPAD. Des EHPAD où meurent 26 % des français en 2019, tous âges confondus, d’après l’atlas des soins palliatifs de 2023. La même année 201911, 53 % d’entre nous décèdent dans les établissements de soins que sont hôpitaux et cliniques12.
Dans l’ensemble des établissements d’hébergement pour personnes âgées, la durée de séjour moyenne est de deux ans et sept mois en 2019.13
Problème : cette ultime migration n’est pas souhaitée par 85 % de nos concitoyens ni dans le lieu, ni dans la manière, car ils voudraient finir leur vie chez eux14, même si des adaptations à leur nouvelle vie sont possibles, surtout grâce au dévouement des personnels des EHPAD. C’est le grand dérangement.
Pourquoi finit-on sa vie hors de son domicile en France ? Ce sont les limites du maintien à domicile qui déterminent le recours aux établissements. L’aide professionnelle à domicile occupe pourtant environ 1,2 millions de personnes pour toutes les catégories de prestations15. Un travail qui requiert des compétences spécifiques du fait de la dimension humaine individualisée, des exigences de soins et de la technicisation des tâches.
Cette présence professionnelle ne dédouane pas les « proches aidants ». En 2022, un Français sur cinq est aidant d’un proche ; à 60 %, ce sont des femmes 16. La difficulté est accrue car les familles sont moins nombreuses, dispersées sous la pression du marché du travail devenu désormais non agricole, donc bien moins localisé. Le travail salarié est massifié : plus personne, ou presque, ne réside en permanence à domicile s’il n’est pas à la retraite ; les hommes ne sont pas revenus remplacer les femmes à la maison pour garder les enfants et veiller sur les vieux. En tout cas, ils ne le peuvent pas si deux salaires ne suffisent même pas pour vivre décemment. En France, 35% des adultes français vivent seuls17. Un niveau sans précédent.
A noter aussi une augmentation sensible du nombre des familles monoparentales : une famille sur quatre selon l’INSEE 18. Depuis le début des années 1990, le nombre des familles monoparentales bondit de 30%. Une multiplication par trois en cinquante ans. Elles sont deux fois plus souvent en précarité, pour 41 % de leurs enfants contre 21% pour les autres. Une précarité qui s’est déplacée en grande partie vers la jeunesse qui va devoir travailler plus longtemps pour payer les retraites, accompagner les anciens dans leur propre famille, aider à payer parfois de surcroit les soins à domicile et l’EHPAD. Attention au conflit intergénérationnel, à la hâte que cette situation familiale parvienne à son terme ; je peux en témoigner comme professionnel.
Les proches aidantes et aidants sont de plus en plus seuls dans leur rôle en France : de 36% en 2015 à 48% en 2022. Ils sont de plus en plus souvent actifs et salariés, de 53% en 2015 à 70% en 2022 « en activité » ; seulement 23% d’entre eux sont retraités19.
Les aménagements du temps de travail doivent être discutés avec l’employeur, qui peut les refuser s’il estime qu’ils ne sont pas compatibles avec le poste du salarié. Un manque de prise en compte par leurs employeurs est évoquée par 74 % des aidants.
L’actualité du recul de deux ans de l’âge de la retraite enfonce le clou : les aidants de 50-64 ans, qui sont 59% des aidants pour les personnes âgées, devront travailler plus longtemps. Du temps volé d’aide familiale. Si l’âge de la retraite est repoussé avec un système de retraite par répartition, comment les relations entre « actifs » et retraités évolueront-elles ? En bien ou en mal ?
La situation de notre système de santé est un autre aspect incontournable. Il est tendu prioritairement vers les économies et non d’abord vers l’humain depuis des décennies.
La démographie médicale s’est dégradée au point de voir dans les médecins des « ovnipraticiens » selon le joli mot de Sol20, voire des mirages dans les déserts médicaux. Les services d’hospitalisation à domicile (HAD), les équipes mobiles et les réseaux de soins palliatifs sont mis à contribution mais leur couverture est insuffisante21.
En février 2023, en Occitanie, un constat est établi selon lequel l’accès à une hospitalisation complète des patients des services d'urgence s’aggrave d’année en année, passant de difficultés sporadiques à, maintenant, une attente sur un brancard dans les couloirs des urgences pour plus de 50% des malades devant être hospitalisés22. Le temps d’attente inconfortable dépasse souvent 24-48 heures voire plus. Ceci aboutit à une mortalité indue, indépendamment de la pathologie pour laquelle le patient a été admis dans le service d’urgence.
Pendant ce temps, nous assistons à l’effondrement du nombre de lits « d’aval » des Urgences dont, par exemple celui des soins de longue durée hospitaliers passant de 83 ou 84 000 au début des années 2000 à 31 302 en 2018.
Actuellement, en 2023, 35 % d’unités gériatriques connaissent des fermetures de lits 23. La tarification à l’activité (T2A) et la sacralisation de l’ambulatoire s’accompagnent de fermetures de lits par dizaines de milliers. C’est le grand encombrement.
En somme, un système économique global, tendu vers les économies au détriment de l’humain, déborde sur les secteurs non marchands avec injonction de rentabilité maximale face à une clientèle captive.
Comment meurt-on en France ? De nos jours, ce sont principalement des maladies chroniques de longue durée24 qui occupent la fin de notre vie. Chronologiquement, ce sont surtout d'abord les cancers puis les pathologies liées au vieillissement : cancers, maladies des appareils circulatoire et respiratoire, maladie d’Alzheimer, maladie de Parkinson, etc. La combinaison de plusieurs pathologies est fréquente avec l’avance en âge. Par conséquent, les parcours de fin de vie des patients se transforment, nécessitant un accompagnement global et un recours souhaitable plus précoce à des soins palliatifs adaptés. Nous finissons notre vie comme dans d’autres pays dits développés. Quatre profils différents habituels sont judicieusement publiés par des auteurs américains en 2003 et 200525: morts subites, cancers, insuffisances d’organes, fragilités des personnes hébergées ou ayant été hébergées en maisons pour personnes âgées. Cette dernière situation rend tout pronostic vital fréquemment difficile à établir, d'où le risque de mal évaluer le moment prévu de la fin de la vie. Quel médecin "évaluateur" ne se tromperait jamais ? Ainsi, en Oregon en 2022, 16 personnes censées mourir par suicide médical assisté dans les six mois survivent à ce délai 26.
Nous mourons le plus souvent dans l’ambivalence comme Jean de La Fontaine nous le confirme dans trois fables 27. L’accompagnement professionnel est comme de la dentelle 28, chaque cas personnel est à envisager comme un cas unique, c’est un magasin de porcelaine entre espoir et stades du mourir 29. L’argument selon lequel la fin de la vie est un moment strictement intime et personnel ne reflète que partiellement notre condition. Ce temps est aussi un test de solidarité sociétale. Ainsi, si nous pouvons nous sentir seuls face à l’échéance, nous n’en sommes pas moins dans une société donnée dans un temps précis ; avec un accompagnement familial et professionnel plus ou moins présent, d’accès et de compétence variable.
Le débat vers une nouvelle loi tourne autour de la liberté, de l’autonomie, de la dignité, de termes discutables tels que « aide médicale à mourir ». Que décidera Emmanuel Macron ? Nul ne le sait mais une chose semble sûre : il ira dans le sens d’une adaptation de la loi à la grande évolution néolibérale de notre temps historique. En tout cas, Emmanuel Macron, déjà le 31 mars 2022, déclare : « Je suis favorable à ce qu'on évolue vers le modèle belge ».
Face à de nouveaux et nombreux défis tels que celui du climat, des sécheresses, des énergies limitées, des inégalités, des guerres, tous promettant des dépenses nouvelles, pressentons-nous, consciemment ou non, un coût insupportable que nous ne pourrons pas assumer ?
A présent, avec la montée de l’individualisme et des difficultés pour l’accès aux soins, c’est le sauve-qui-peut devant une situation préoccupante. Ce ne sera plus « travailleurs, sauvons-nous nous-mêmes » mais « patient, sauve-toi toi-même » avec l’ambiguïté et l’ambivalence du verbe « se sauver ». Le sauve-qui-peut mortifère du chacun pour soi.
Deux extrémismes se font face : d’une part celui qui considère que la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès est un faux nez de l’euthanasie et la condamne. De l’autre, celui qui prône la mort provoquée sur demande pour s’adapter à une société qui prive trop souvent de l’accompagnement souhaité. C’est la réponse au cri de détresse de celles et ceux qui ont peur de souffrir et de faire souffrir leurs proches mal accompagnés sur un fond de société productiviste et consumériste qui oublie l’humain 30.
Quelle place de l’utilité et de la rentabilité pour les inutiles et les coûteux ? Le capitalisme, comme les autres formes de productivisme et d’utilitarisme, aime la performance. Il déteste les perdants, les petits, les sans-dents.
Quelques citations pour expliciter ce propos et enrichir le débat.
En 2007, Charb31 écrit que la « loi qui laissera entendre que le citoyen a le droit de disposer de sa vie comme de son corps représentera une avancée. » Après avoir exposé la thèse favorable, il met en garde :
« Certains médecins ont justement fait remarquer que le débat sur l'euthanasie ne devait pas faire oublier que les moyens médicaux mis en œuvre pour lutter contre la douleur ne sont pas suffisants. Par ailleurs, une partie du personnel médical serait encore trop peu ou mal informée des traitements existants pour réduire la douleur. Bref, ces médecins ne veulent pas que l'euthanasie devienne pour tout le monde une solution de facilité. Avant de mettre fin à la vie, envisageons toutes les solutions possibles de mettre fin aux souffrances. Evidemment. Donc, on aura bientôt le droit de mourir dans la dignité. Je pense réellement que, parmi les droits fondamentaux de l'Homme, celui-ci sera le plus largement respecté. Et pas simplement parce que la société dans laquelle nous vivons a un plus grand souci d'humanité. En effet, mourir dans la dignité est un programme plus facile à mettre en œuvre que celui qui consiste à faire en sorte que les gens vivent dans la dignité. Et surtout, c'est un programme moins cher. Mettre fin aux jours de quelqu'un ne coûte rien ou pas grand-chose. Même la Sécu y trouvera son compte. Un peu de bla-bla, une piqûre et dans le trou. Organiser une fin digne pour qui aura dû survivre dans des conditions indignes, ce n’est pas ça qui remettra en cause un système économique qui pourrit l'existence de millions de gens. Mourir dans la dignité devrait être la dernière étape d'une vie menée dans la dignité et pas seulement un moment exceptionnel. Cette volonté des médias et des politiques de séparer dans le discours la vie et la mort est suspecte. Il n'y a pas de vie digne sans mort digne, et inversement. Ça paraît évident, mais le droit de vivre dans la dignité n’est pas un débat qui suscite autant l'émotion que celui du droit de mourir dans la dignité. Et pourtant, il y a des vies qui sont plus effrayantes que la mort... »
Bernard Maris, assassiné le même jour que Charb, écrit de son côté : « Le capitalisme s’adresse à des enfants dont l’insatiabilité, le désir de consommer sans trêve vont de pair avec la négation de la mort. C’est pourquoi il est morbide. Le désir fou d’argent, qui n’est qu’un désir d’allonger le temps, est enfantin et nuisible. Il nous fait oublier le vrai désir, le seul désir adorable, le désir d’Amour. »32
Le serment d'Hippocrate tel qu'il est en vigueur depuis 2012, est sans ambiguïté à ce sujet bien que parfois étonnamment déformé :" Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément."
Les avertissements nous arrivent aussi des lieux où ces lois ont été promulguées. Par exemple Verhofstadt en 2017 : "L'euthanasie ne devrait jamais être considérée (ou utilisée) comme un moyen de résoudre les défaillances de la société." 33
Victor Castanet s'adresse à nous en 2022 : « On donne la mort à quelqu’un sans que cela soit le moment opportun. Et sans que la personne souffre physiquement. » 34
Berlin, déclaration de l’Association Médicale Mondiale en 2022 : « Les personnes âgées sont confrontées à toutes sortes de discriminations, l’une des plus importantes est celle qu’elles subissent dans les soins de santé. Les personnes âgées sont souvent perçues comme un poids pour les systèmes de santé et leur équilibre financier. »35
Emmanuel Macron glisse à Line Renaud, assez fort pour que la presse l’entende : « Votre combat pour le droit de mourir dans la dignité vous ressemble et nous oblige. Dicté par la bonté, l’exigence et cette intuition unique que c’est le moment de faire, alors nous ferons »36.
Le Docteur Claire Fourcade, à propos de l’euthanasie, faisant allusion au soignant qui sera le bras armé de la réforme : « une piqûre, deux morts »37.
Encore Claire Fourcade : « Dans une société ultra-libérale et individualiste, c'est un choix qui a sa logique. C'est une société de gens forts, capables de regarder la mort en face sans ciller. Ils sont rares, très rares. » 38
Riss écrit en 2023 : « privilégier les solutions collectives ou les solutions individuelles indique si vous êtes plutôt de droite ou plutôt de gauche »39.
Jacques Ricot, citant un député communiste, athée, Michel Vaxès, décédé en 2016, rejetant une proposition de loi socialiste visant à légaliser l’euthanasie en 2009 : « La civilisation ne commence et n’avance que par les interdits qu’elle proclame et les limites qu’elle fixe. Celles-ci sont pour moi intransgressibles. Nous savons tous ici qu’une dérogation admise risque toujours d’autoriser la suivante. C’est ce qu’exprime la sagesse populaire lorsqu’elle affirme que “lorsque les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites ».
Jacques Ricot lui-même dans La Décroissance, n°194 en novembre 2022 : "Je l’ai déjà dit, en voulant inscrire dans le marbre de la loi une autodépréciation de millions de malades, handicapés, vieillards, ce projet leur envoie un signal terrible, en rupture avec toute notre tradition humaniste. Une fois inscrite dans la loi, avec les meilleures intentions du monde, la transgression suprême, il n’y a plus aucune raison de s’arrêter."
La liberté et l’autonomie ?
Quelle liberté individuelle, quelle autonomie pour en finir avec soi-même dans une société qui n’assumerait pas la dignité des personnes vulnérables ?
Les directives anticipées et la personne de confiance, même si elles ont leur intérêt, sont incapables d'anticiper les situations réelles dans leur diversité et leur évolutivité. A la fin de la vie, c'est presque toujours l'ambivalence et le silence qui règnent.
L’autorisation de mort fera peser un poids supplémentaire sur les personnes les plus vulnérables. Aucun pays n’a légalisé une forme de mort administrée sans insérer dans le processus la participation d’un soignant40, que ce soit pour réaliser l’acte lui-même (euthanasie), pour réaliser la prescription d’un produit létal (suicide assisté modèle Oregon) ou pour réaliser une évaluation et une validation de la demande (suicide assisté modèle Suisse). C’est donner un pouvoir inédit de vie et de mort au décideur.
Comment ne pas apercevoir la continuité entre la situation économique du système de santé d’une part et une loi présentée comme une évolution positive d’autre part ?
Il ne manquait plus qu’un joli projet de loi, s’appuyant sur des pays à politique néolibérale encore plus prononcée que la nôtre, pour offrir la possibilité de s’en aller en principe au moment choisi par l’individu dans sa liberté d’intérioriser ce que l’on attend de lui aux yeux de notre modèle économique : il est devenu coûteux, inutile et dérangeant, constituant un poids, faisant souffrir sa famille et la société par son long-mourir insupportable. Il a donc le choix en pleine autonomie : le droit de s'absenter.
Il fallait réduire la retraite à son début. Désormais, vous pourrez brûler la chandelle de la retraite onéreuse par les deux bouts.
Comment imaginer que les personnes dites actives n’aient pas le sentiment de supporter des personnes en retraite ? Que les retraités n’aient pas le sentiment d’une solidarité contrainte de personnes qui vont travailler jusqu’à l’EVSI pour les faire vivre plus avant ? Qu’ils représentent une charge et un tourment pour leur famille et un fardeau pour la société en vivant trop longtemps. Nous avons connu une loi en décembre 2015 sur l’adaptation de la société au vieillissement. Il nous faut assurément une loi de l’adaptation du vieillissement et de la fin de vie aux exigences de la société néolibérale. Vite !
En conclusion, je voudrais, comme ancien soignant, avec bien d’autres soignants en activité, vous mettre en garde : attention au traitement des vrais problèmes, sous le coup de l’émotion personnelle face à ce que vous considérez comme inadmissible, par des mauvaises solutions expéditives, approximatives, radicales et irréversibles. Elles vont heurter, diviser les équipes soignantes et laisser des traces indélébiles dans les familles. Elles sont avant tout le fruit d’une orientation sociétale néolibérale.
Pour ma part, je suis bien d’accord avec le droit de mourir dans la dignité. Un droit qui devrait être acquis grâce à un accompagnement de qualité qui éteint l’appel à la mort pour une pseudo-libération par le décès. Voici une évolution et une adaptation rétrograde à la société productiviste, actuellement sous sa forme néolibérale, qui n’aime pas les faibles, les vulnérables, les traîne-savates. Qui plus est, en voilà qui coûtent cher et sont censés plomber le développement des forces productives vers la croissance du fait du poids de l’aide collective, mais aussi professionnelle et familiale qu’ils exigent. D'autres ont connu la montagne, la banquise, le cocotier ou la forêt vierge chez des populations souffrant de pénurie. Pour notre part, le bouillon d'onze heures, l'escalier, l'âtre et le puits furent d'usage bien avant les soins palliatifs.
Que les comportements actuels souhaitent la maîtrise absolue sur sa vie et ne laisser aucune place à la surprise, tout contrôler, n’est pas surprenant : c’est l’idéologie dominante.
Que le rapport au temps se soit modifié ne l’est pas moins. Tout doit être programmé car le temps est précieux, c’est de l’argent ! En 2023, qui trouve encore un temps pour la relation ? Même pas les amis, encore moins sa propre famille pour beaucoup de nos contemporains. Il faut tout prévoir, que cela aille vite avant de repartir vers la normalité qui nous protège de la perspective de la mort.
Où en est la pure présence qui peut être sans mots ?41
Références :
1 [1] BVA pour April : https://www.april.fr/actualites/assurance-prevoyance/barometre-aidants-april-2022
2 ATLAS des soins palliatifs et de la fin de vie en France. https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/atlas-2023.pdf
3 EHPAD : Établissement d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes
4 Discours à la jeunesse. Albi, 1903.
5 Jaurès Jean. Discours et conférences (French Edition). Flammarion. Édition du Kindle.
6 Davis MA, Nallamothu BK, Banerjee M, Bynum JP. Identification Of Four Unique Spending Patterns Among Older Adults In The Last Year Of Life Challenges Standard Assumptions. Health Aff (Millwood). 2016 Jul 1;35(7):1316-23.
7 Japanese Minister Wants Old People to “Hurry Up and Die”. Time. Rebecca Nelson. Jan. 23, 2013
8 https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Ballade_de_Narayama_(film,_1983)
9 https://fr.wikipedia.org/wiki/Plan_75
10 EVSI : https://pole-vieillesses-et-vieillissements.site.ined.fr/fr/sante_autonomie/definition/
11 Edition 2023 de l’Atlas des soins palliatifs et de la fin de vie. 22 mars 2023. https://www.csphf.fr/2023/03/22/edition-2023-de-latlas-des-soins-palliatifs-et-de-la-fin-de-vie/
12 INSEE. Les décès en 2021 - Graphique de série longue État civil - Insee Résultats. https://www.insee.fr/fr/statistiques/6539843
13 https://drees2-sgsocialgouv.opendatasoft.com/explore/dataset/587_l-enquete-aupres-des-etablissements-d-hebergement-pour-personnes-agees-ehpa/information/
14 https://www.ifop.com/publication/85-des-francais-interroges-souhaitent-vieillir-a-domicile/
15 https://www.servicesalapersonne.gouv.fr/donnees-et-etudes/chiffres-cles
16 https://www.april.com/fr/communique-de-presse/barometre-annuel-des-aidants-de-la-fondation-april-1-aidant-sur-2-accompagne-un-proche-dependant-en-raison-de-son-age/#:~:text=En%202022%20en%20France%2C%201,en%20moyenne%20avec%20leurs%20aid%C3%A9s.
17 https://tinyurl.com/3v66fb5k
18 https://www.insee.fr/fr/statistiques/5422681#figure1_radio2
19 https://www.april.fr/actualites/assurance-prevoyance/barometre-aidants-april-2022
20 Sol, de son vrai nom Marc Favreau. https://www.youtube.com/watch?v=qYJq_Knt254
21 https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/atlas-2023.pdf
22 https://www.lereveildumidi.fr/soci%C3%A9t%C3%A9/sant%C3%A9/la-crsa-occitanie-souhaite-faciliter-l%E2%80%99acc%C3%A8s-%C3%A0-l-hospitalisation
23 https://sfgg.org/espace-presse/communiques-de-presse/soins-geriatriques-la-debandade-35-des-unites-geriatriques-touchees-par-des-fermetures-de-lits-en-france-chiffres-de-lenquete-sfgg-2023/
24 https://www.ined.fr/fr/tout-savoir-population/chiffres/france/mortalite-cause-deces/causes-deces/
25 Lunney JR, Lynn J, Foley DJ, Lipson S, Guralnik JM. Patterns of functional decline at the end of life. JAMA. 2003 May 14;289(18):2387-92
Murray SA, Kendall M, Boyd K, Sheikh A. Illness trajectories and palliative care. BMJ. 2005 Apr 30;330(7498):1007-11.
26 https://www.oregon.gov/oha/PH/PROVIDERPARTNERRESOURCES/EVALUATIONRESEARCH/DEATHWITHDIGNITYACT/Documents/year25.pdf
27 La mort et le bûcheron, la mort et le malheureux, la mort et le mourant.
28 Métaphore utilisée par le Dr Claire Fourcade, présidente de la Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs (SFAP) à l’heure où ces lignes sont écrites en 2023.
29 Elisabeth Kübler-Ross: On death and on dying. https://tinyurl.com/3zp3efzz
30 Peu importe, par exemple que les âges de 62 à 64 ans soit fréquemment aussi ceux de l’accompagnement, donc de la disponibilité pour les parents encore plus âgés.
31 https://fr.wikipedia.org/wiki/Charb
32 https://www.babelio.com/auteur/Bernard-Maris/11392/citations
33 Verhofstadt M, Thienpont L, Peters GY. When unbearable suffering incites psychiatric patients to request euthanasia: qualitative study. Br J Psychiatry. 2017Oct;211(4):238-245.
34 Extrait concernant un membre de la famille d’un ancien ministre issu de Castanet, Victor. Les fossoyeurs : Révélations sur le système qui maltraite nos aînés (Documents) (French Edition) (p. 57). Fayard. Édition du Kindle.
35 Déclaration de l’AMM sur la discrimination contre les personnes âgées dans les soins de santé. Adoptée par la 73ème Assemblée générale de l’AMM, Berlin, Allemagne, octobre 2022.
36 https://www.europe1.fr/politique/nous-ferons-macron-sest-il-engage-a-mettre-en-oeuvre-une-loi-sur-la-fin-de-vie-4132365
37 https://free-geriatrics.overblog.com/2018/01/euthanasie-une-piqure-deux-morts.html
38 https://ledrenche.fr/pour-ou-contre-le-droit-de-choisir-sa-fin-de-vie/
39 Le 15 mars 2023 dans l'hebdomadaire Charlie Hebdo.
40 https://fsspx.news/fr/news-events/news/france-800000-soignants-manifestent-leur-refus-de-euthanasie-80231
41 Christiane Réal. psychogérontologue. Correspondance privée.