Emmanuel Macron en Amérique Latine : le risque d’une opportunité perdue
Le Président de la République vient de conclure son voyage en Amérique Latine qui l’a conduit du Brésil au Mexique en moins de trois jours.
À Salvador de Bahia, Emmanuel Macron reçut un accueil chaleureux de la population et se régala d’un bain de foule comme il n’en connait plus depuis longtemps en France. Peut-être a-t-il compris comme Stefan Zweig en 1936 que le seul monument qu’il faut visiter au Brésil, c’est son peuple, comme le relate l’écrivain Sébastien Lapaque dans son remarquable essai Echec et Mat au Paradis. L’enthousiasme de la réception fit aussi la démonstration du prestige dont jouit encore notre pays dans ce continent de nouveau em proie á l ‘interventionnisme américain.
Dans son excellent ouvrage, America America, récemment publié aux Etats Unis, Greg Grandin retrace les cinq siècles de relations entre l’Amérique Latine et les Etats Unis qui sous couvert de la fameuse Doctrine de Monroe [1], et à l’exception notable de la politique du bon voisinage [2] pratiquée durant le New Deal, ne peuvent se défaire d’une paranoïa contre la menace d’abord espagnole, puis française, puis communiste, enfin migratoire et narcotique. Cette paranoïa les amène á justifier invasions et embargos, à fomenter coups d’état, changements de régime, sabotages, guerres, manipulations économiques et financières dont le bilan humain se compte en centaines de milliers de victimes, et expliquent en grande partie le retard de développement de ce continent. Les mesures récentes prises par l’administration Trump contre le Brésil, la Colombie, Cuba, les attaques contre les côtes Vénézueliennes, et enfin l’appui donné aux régimes d’extrême droite en Argentine et au Salvador sont les derniers exemples de cet interventionnisme aux conséquences toujours désastreuses.
Dans ce contexte, le Président Macron jouit d’une opportunité idéale pour redorer le blason de la France sur la scène internationale passablement terni après les revers subis en Afrique de l’Ouest et l’incohérence des positions prises en Afrique du Nord et au Moyen Orient.
Il est néanmoins á craindre que sa trop grande confiance en lui-même et son destin, la légèreté de ses réflexions et le peu de marge de manoeuvre laissé á ses collaborateurs, produiront le même résultat qu’ailleurs : celui d’une opportunité gâchée. Le discours prononcé par Emmanuel Macron lors de l’inauguration de la conférence Nosso Futuro á Salvador et destinée à nouer un dialogue entre la France, le Brésil et l’Afrique, en fut l’illustration parfaite. Abandonnant les feuillets préparés par ses services, il arpenta la scène comme une star de la chanson pour improviser un discours dont le peu de références et la longueur contrastèrent avec celui bref et ancré dans l’histoire du ministre des Affaires Étrangères du Bénin.
Les atermoiements de Mr Macron á propos de l’accord de libre échange avec le Mercosur sont un autre exemple des contradictions de sa politique étrangère. Ces accords posent un vrai risque pour une partie de l’agriculture française mais présentent aussi une grande opportunité pour nos viticulteurs, empêchés d’exporter aux Etats Unis par les droits de douane décrétés par Donald Trump, mais surtout pour l’industrie française vers des marchés qui brûlent de se défaire de l’autocratie économique américaine. Empêtré dans son concept du “en même temps”, Mr Macron se montre incapable de prendre une décision sur le sujet, puis de l’expliquer, et préfère tenir un discours au Président Lula et un autre à nos agriculteurs.
Enfin, alors que le Président ne cessa de vanter l’importance du dialogue des cultures devant la jeunesse brésilienne et africaine rassemblée devant lui á Salvador de Bahia, il lui aurait fallu expliquer pourquoi, depuis un quart de siècle, de nombreuses Alliances Françaises en Amérique Latine ont fermé leurs portes et pourquoi la plupart d’entre elles disposent de moyens dérisoires pour promouvoir la francophonie et les échanges culturels. De leur coté, l’Allemagne et l’Espagne ont parfaitement compris le rôle des Instituts Goethe et Cervantes et en usent judicieusement.
En septembre 1964, quelques mois après le coup d’état militaire au Brésil appuyé par les Etats-Unis, le Général de Gaulle écrivait á Michel Debré, alors ministre chargé de la Coopération Internationale : “Je vais en Amérique latine sans programme diplomatique bien précis, mais en quelque sorte instinctivement. Peut-être est-ce important. Peut-être est-ce le moment.”
On aimerait être certain que Mr Macron ait saisi l’importance du moment présent et qu’il n’ait pas déjà tourné son attention vers d’autres sujets aux horizons plus restreints.
Salvador, Bahia 12 novembre 2025
Bernard Attal
Cinéaste et entrepreneur culturel
[1] La Doctrine Monroe, énoncée en 1823 par le Président du même nom, condamnait l’intervention des puissances européennes sur le continent sud-américain en en réservant le droit aux seuls Etats-Unis.
[2] “Good Neighbor’s policy” décrétée par le Président Roosevelt em 1933 et abandonnée par le Président Truman à partir de 1945.