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Billet de blog 8 févr. 2023

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« Il n’y a aucune transparence » dans l’évaluation des médecins étrangers en France

Le docteur Bernd Thiessen, anesthésiste pédiatrique à l’hôpital Guy’s and Saint Thomas, à Londres réagit à la publication dans Mediapart d’une enquête sur l’anesthésiste Leila A, sa compagne, maintenue dans la précarité, malgré ses 10 années d’expérience en France. Il appelle à une réforme du système français.

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Le docteur Bernd Thiessen, anesthésiste pédiatrique à l’hôpital Guy’s and Saint Thomas, à Londres, réagit à la publication dans Mediapart d’une enquête sur l’anesthésiste Leila A, sa compagne, maintenue dans la précarité, malgré ses 10 années d’expérience en France et le soutien de ses collègues et supérieurs du CHU de Grenoble. 

En donnant l’exemple du système britannique d’accueil et de qualification des médecins étrangers, il appelle à une réforme du système français.

Je suis médecin anesthésiste pédiatrique allemand. J’ai travaillé ces 17 dernières années au Royaume-Uni, où je suis impliqué dans le programme d’équivalence des médecins étrangers qui souhaitent y obtenir une équivalence de leur diplôme. 

Le système britannique, comme dans de nombreux endroits dans le monde (Amérique du Nord, pays du Commonwealth, Asie) permet aux médecins étrangers de pratiquer dans un premier temps comme médecin junior, ou à des postes de remplacement, même s’ils font en réalité à peu près les mêmes tâches que les autres médecins, au même salaire. En parallèle, ils suivent un programme d’équivalence qui doit leur permettre d’obtenir le diplôme britannique. Ce processus est très encadré par les autorités médicales et universitaires, et très transparent. Les candidats doivent suivre des cours, passer des examens. 

Mais les candidats sont surtout évalués sur leur pratique, qui doit être documentée, et évaluée par des pairs. Le processus d’équivalence prend en général deux ans. Il est de haut niveau et peu onéreux. Tout le processus d’évaluation est transparent, et il est possible de faire appel des décisions prises.

« Cette situation fait plutôt baisser les standards de l’exigence médicale »

Le processus est très différent en France. Le Centre national de gestion, qui gère pour le ministère de la santé le processus d’équivalence, ne fait preuve d’aucune transparence sur ses critères d’évaluation des dossiers. Les informations demandées aux candidats sont vagues et il n’y a aucune possibilité d’être informé de l’avancée de son dossier. La décision collégiale semble être à la main d’un ou deux experts de la discipline, aux côtés d’administratifs. L’Ordre des médecins est également impliqué, d’une manière assez obscure. Tout contestation de ces décisions prises en cercle fermé a toutes les chances d’échouer. Il n’y a aucun contrôle externe des décisions, par exemple par les syndicats. Contester la décision devant la justice est théoriquement possible, mais coûteux et très long.

Paradoxalement, cette situation fait plutôt baisser les standards de l’exigence médicale, puisqu’il devient très difficile de distinguer un bon d’un moins bon praticien étranger. 

L’histoire de la docteure Leila A. est une illustration des conséquences de ce système : elle raconte la manière dont un pays d’Europe de l’Ouest emploie des médecins et des infirmières étrangers à faible cout, avec des contrats précaires. De plus, ces médecins ne bénéficient d’aucun suivi, d’aucune formation continue, ce qui les expose à de plus grands risques dans un exercice déjà risqué. 

Les médecins comme Leila A. émigrent pour des raisons personnelles et font le choix de s’installer en France. Ils se retrouvent victimes d’un système qui les fait travailler d’une manière peu encadrée pendant des années, leur demande d’assumer des missions de fonction de médecins senior, et finit par leur annoncer qu’ils sont considérés comme de simples médecins junior. Ce trajet professionnel se révèle être une impasse. 

J’espère que ces critiques ne seront pas perçues par les autorités françaises comme une offense, mais un encouragement à rénover leur politique envers les médecins étrangers, dans l’intérêt du système de santé français et de ses patients. 

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