Les agents de joueurs sont régulièrement décrits comme les hommes de l’ombre du foot business moderne, tirant en coulisses les ficelles dans le but de défendre leurs propres intérêts lors de chaque fenêtre des transferts. Mais la réalité est parfois très éloignée du tableau dressé par la sphère médiatique. Lors d’un entretien exclusif accordé à Ecofoot, Bertrand Cauly, Agent de Joueurs et Président du Syndicat National des Agents Sportifs, rétablit certaines vérités sur les relations entre agents de joueurs et clubs professionnels de football.
La profession d’agent de joueurs souffre d’une mauvaise réputation dans le milieu du football. On les accuse régulièrement de tirer les ficelles en décidant pour le joueur de ses choix de carrière. Sans oublier la concurrence féroce que se livrent les différents agents pour récupérer la représentation des meilleurs joueurs. Cette mauvaise réputation est-elle justifiée ou est-elle due aux comportements « déloyaux » d’une infime minorité d’intermédiaires ?
Il est nécessaire d’étudier l’évolution de l’environnement socio-économique du sport professionnel en général et du football en particulier pour comprendre à quoi est due la mauvaise réputation de l’agent de joueurs. Aujourd’hui, la France est un marché atypique car nous manquons cruellement de pluralisme au niveau des médias sportifs, ce qui implique un manque d’investigation global sur un sujet complexe comme celui des relations entre clubs et agents. Et quand un litige apparaît, la facilité est de charger l’agent. Cette différence de traitement médiatique est d’ailleurs à l’origine de la création du SNAS au milieu des années 2000. Nous avions alors constaté que les agents étaient systématiquement pointés du doigt dans les médias. Il fallait remédier à cette situation en défendant collectivement nos intérêts.
Le pouvoir d’influence dont disposerait l’agent sur les joueurs et clubs ne serait donc qu’un fantasme entretenu par la sphère médiatique ?
Systématiquement, l’économie du football et les entreprises qui la composent – c’est-à-dire essentiellement les clubs – ont su s’adapter aux évolutions pour conserver le pouvoir. Les clubs ont toujours cherché à optimiser leur business ce qui n’est évidemment pas condamnable en soi. Par exemple, à la fin des années 2000, les clubs français se sont arc-boutés pour rester les débiteurs des commissions dues aux agents de joueurs. Et ils ont réussi à influencer le débat parlementaire dans ce sens.
Garder la main sur le paiement de la commission d’agent permet aux clubs de conserver le pouvoir décisionnel et d’entretenir une relation à priori déséquilibrée. Ainsi, un grand nombre d’agents se retrouvent dans une position d’infériorité par rapport aux dirigeants de club car… ils ne peuvent brusquer le débiteur de leur commission. De plus, les agents se voient imposer un paiement échelonné quand bien même leur mission de placement a été réalisée. Et leur commission intégralement due. Sur un contrat de 3 ans par exemple, on vous paye année par année avec la plupart du temps une clause de maintien dans l’effectif quand bien même le club missionnerait à votre insu d’autres agents pour céder le joueur, soit pour réaliser une plus-value, soit parce qu’il n’en veut plus.
« Garder la main sur le paiement de la commission d’agent permet aux clubs de conserver le pouvoir décisionnel et d’entretenir une relation à priori déséquilibrée »
Par ailleurs, une des stratégies les plus efficaces des clubs est de créer la division entre le joueur et son agent. Un stratagème qui fonctionne souvent : le joueur quitte alors son agent historique pour signer avec un représentant qui dispose de meilleures relations avec la direction du club. Combien de fois avons-nous étudié de cas, en Commission des Agents de la FFF, où un joueur va changer d’agent juste avant un transfert ou une prolongation de contrat ? Les dirigeants savent mettre la pression pour atteindre leurs objectifs. Vous voyez bien que le pouvoir décisionnel n’est pas là où on croit…
La création du SNAS a-t-elle permis aux agents de mieux faire passer leurs messages et revendications auprès des médias et du pouvoir politique ?
Malheureusement, non. D’un point de vue personnel, en revanche, c’est extrêmement enrichissant et très éclairant sur le fonctionnement de nos institutions politiques. Dans le cadre de nos activités syndicales, j’ai rencontré au moins une cinquantaine de parlementaires. Mais c’est très difficile de faire avancer les sujets. A chaque audition, vous rencontrez de nouveaux interlocuteurs. Il s’agit d’une absence de suivi volontaire et donc organisée.
Faut-il rééquilibrer les rapports de force entre les différents acteurs du secteur pour assainir les relations entre clubs et agents ?
Bien évidemment mais c’est factuellement impossible. Nous avons un mantra au sein du SNAS : la protection de nos mandats ! Nous réclamons que nos mandats soient protégés durant au moins une saison, c’est-à-dire pendant deux fenêtres de transferts. Si un joueur souhaite changer de représentant durant cette période de protection, il faut alors renverser la charge de la preuve en cas de contentieux. Ce n’est pas une demande déraisonnable. Par exemple, les experts du CDES Limoges évoquent ce type de mesure depuis plus d’une dizaine d’années !
Pourtant, nous ne parvenons pas à faire aboutir une telle demande. Quand nous discutons de ce sujet avec les parlementaires, ils bottent en touche ou alors ils ne cherchent même pas à comprendre les enjeux. Et quant à la FFF, elle ne cherche pas à appuyer nos demandes. Au contraire, parfois, on a l’impression qu’elle nous met carrément des bâtons dans les roues. Par exemple, il y a quelques années, nous avions dû débourser 3 000 € de frais d’avocat pour faire cesser la publication, sans notre autorisation, de tous nos mandats sur la plateforme de la Fédération, avec les dates de début et de fin des mandats ! Toutes les informations auraient alors été en accès libre, sans code confidentiel !
Comment les joueurs parviennent-ils à casser si facilement les mandats conclus avec leur agent ? L’agent n-a-t-il aucune solution pour faire valoir ses droits ?
Quand un agent s’estime lésé, il peut intenter une action en justice pour faire valoir ses droits. La justice lui demandera alors de fournir des preuves de son travail. La signature d’un mandat ne suffit pas pour récupérer une indemnité. C’est ensuite à la justice, en fonction des preuves apportées, de trancher le litige.
Dernièrement, on m’a volé la représentation de Franck Kessié. J’ai alors saisi la justice pour obtenir un dédommagement. Pour fixer ce montant, les juges se sont basés sur le premier contrat du joueur conclu avec Cesena. A titre indicatif, Franck Kessié a été transféré au Milan AC contre une indemnité de… 30 M€ ! Nous ne sommes clairement pas protégés.
Les « structures » qui « volent » donc les jeunes joueurs ne risquent pas grand-chose. Le dédommagement financier représente une somme marginale par rapport aux commissions qu’ils peuvent rapporter. En revanche, les risques financiers sont bien plus grands concernant la résiliation sauvage du mandat d’un joueur confirmé. Les sommes peuvent alors s’envoler !
Pourquoi les parlementaires n’écoutent-ils pas les revendications des agents de joueurs ?
Les clubs ne veulent clairement pas un changement de règlementation car ils souhaitent continuer à maîtriser la relation avec les agents. Et il est facile pour les dirigeants de faire valoir leurs intérêts aux pouvoirs publics pour éviter tout changement de législation. Dans les discussions, ils avancent notamment souvent l’argument de la fiscalité française qui plombe leur compétitivité par rapport aux concurrents européens. Cela suffit à mettre fin à toute discussion visant à changer la législation concernant les activités des agents de joueurs.
« D’un point de vue politique, tirer sur les agents de joueurs, c’est 100% efficace auprès de l’opinion publique »
Enfin, politiquement, les agents de joueurs ne pèsent rien. En plus, nous sommes divisés. Il existe deux syndicats représentant la profession. Et, d’un point de vue politique, tirer sur les agents de joueurs, c’est 100% efficace auprès de l’opinion publique. Nous n’avons pas réellement de moyens d’action pour faire bouger les lignes. Nous aimerions que l’UNFP nous rejoigne sur l’idée forte selon laquelle protéger juridiquement les mandats des agents équivaut à protéger les joueurs mais c’est politiquement compliqué.
L’an dernier, lors d’un entretien accordé à Canal +, Mehdi Zeffane était revenu sur sa situation lors du mercato estival 2019. En fin de contrat au Stade Rennais, et malgré son titre lors de la dernière CAN, il n’était pas parvenu à rebondir dans un club en raison de l’immixtion de nombreux intermédiaires dans son dossier. Cette affaire ne traduit-elle pas à elle-seule les dérives liées au marché des transferts et à la représentation des footballeurs professionnels ?
Je ne connais pas ce dossier précisément. Mais j’imagine qu’à l’époque Mehdi Zeffane n’avait pas su communiquer au monde du football qu’il avait un représentant clairement identifiable. Dans le milieu, tout le monde a alors compris qu’il pouvait récupérer une commission en se faisant passer pour son représentant auprès des clubs. La nature a horreur du vide et cette formule s’applique particulièrement bien au ballon rond. Et Mehdi Zeffane n’a pas disposé de suffisamment de relais dans le milieu pour gérer la situation.
Les clubs ne prennent-ils pas soin de démêler le vrai du faux pour pouvoir négocier le contrat du joueur avec le bon interlocuteur ?
Certains clubs travaillent très sérieusement et cherchent à prendre les bonnes informations. En revanche, pour d’autres, négocier avec un agent non-licencié peut être une très bonne affaire ! D’abord, ils vont fermer les yeux sur le situation en faisant semblant de ne pas être au courant. Puis, au moment du bouclage de la négociation, le club va alors profiter de l’absence de licence pour payer une commission au rabais. Puis, pour régulariser la situation, on va faire appel à un agent prête-nom, ami du club…Et pour finir, le joueur est aussi lésé car faire appel à un agent non licencié c’est s’affaiblir d’emblée dans la négociation.
Il est parfois écrit dans la presse que certains clubs de Ligue 1 préfèrent collaborer exclusivement avec une poignée d’agents pour conclure leurs transferts. Les agents deviennent alors, en quelque sorte, les directeurs sportifs officieux des clubs concernés. Cette description est-elle conforme à ce qui se passe réellement au sein de certains clubs français ? Comment expliquez-vous un tel fonctionnement ?
C’est malheureusement une situation qui existe dans le football professionnel français. Le recrutement est alors assuré par certains agents qui jouent le rôle de directeur sportif. Qui peut rationnellement justifier l’efficacité d’une telle organisation ? Remettre les clés de sa politique sportive entre les mains d’un agent, c’est tout simplement ubuesque…
La crise du Covid-19 a montré une vision assez pathétique d’un football business incontrôlé. Et il ne serait pas absurde d’intégrer au conseil d’administration de chaque club un représentant de la puissance publique. Le football est en effet un bien culturel public vital pour un certain nombre de nos concitoyens, or il coûte de plus en plus cher en abonnement TV aux passionnés. On ne peut accepter la privatisation absolue des revenus avec une socialisation des pertes demandée par les clubs. Bien entendu, depuis 1992 et la Loi Pasqua, le football a évolué dans une direction opposée avec un strict encadrement des relations entre clubs professionnels et collectivités suite à certaines dérives mais en 2020 la force publique n’a plus beaucoup de contrôle sur ce qui se passe réellement au sein des clubs, la mission de la DNCG se limitant au respect de l’équilibre recettes-dépenses.
« La crise du Covid-19 a montré une vision assez pathétique d’un football business incontrôlé »
De nombreux clubs français ont changé de propriétaires/d’actionnaires ces dernières années avec l’arrivée massive d’investisseurs internationaux. Ces mouvements actionnariaux changent-ils la donne pour les agents de joueurs ?
Il faut bien comprendre que la pratique du business en France est très particulière. A l’étranger, quand un agent ou un scout se déplace dans un club, il est extrêmement bien reçu. Il repart généralement avec un cadeau qui peut être le maillot officiel ou un livre retraçant l’histoire du club visité. En France, ce n’est pas du tout la même chose. Parfois, vous pouvez vous retrouver au poteau de corner pour voir le match ! Cette différence de traitement peut avoir une influence dans les négociations au détriment des clubs qui ne se soucient pas de la qualité de l’accueil qu’ils réservent aux agents et aux scouts.
Ainsi, c’est plutôt une bonne nouvelle de voir arriver en Ligue 1 de nouvelles têtes, des propriétaires avec une nouvelle approche du business. On peut ainsi espérer que la donne va changer.
Quel club de Ligue 1 citeriez-vous en exemple pour sa politique de recrutement et les relations entretenues avec les agents ?
J’aime beaucoup le travail qui est mené au Stade de Reims. Sur le terrain, les scouts du club mènent un excellent travail. Les recruteurs sont très professionnels dans leur approche du métier. Ils communiquent sans manipulation ni mépris. Les relations sont toujours franches et directes. C’est réellement un exemple en Ligue 1.
« Les recruteurs du Stade de Reims sont très professionnels dans leur approche du métier »
La crise sanitaire a-t-elle eu un impact sur les activités des agents de joueurs lors des derniers mois ?
Oui, l’impact est tout de même important. Au début de la crise, de nombreuses incertitudes ont émergé dans le milieu sportif, quel que soit le niveau des clubs et des joueurs. Des projets ont été remis en question. Après, le football, comme tous les secteurs économiques, a réduit la voilure et on ne peut lui en faire le reproche. Que certains en profitent, ici ou là, bien évidemment mais le football n’est ni plus ni moins vertueux que l’ensemble du monde économique.