Dans une récente tribune publiée dans AlterEco, Alain Lipietz estime que la crise espagnole est due à une bulle dans le secteur de la construction, bulle qui selon lui, a été encouragée et financée par des banques peu prudentes, des investisseurs allemands aveuglés par le soleil des Baléares et des capitaux européens trop généreux. Parallèlement, Alain Lipietz critique la position des « économistes espagnols progressistes » qui préconisent une sortie de l’Euro. Il s’étonne que ces gens puissent expliquer la crise espagnole par « une baisse de la compétitivité externe des marchandises produites en Espagne», et il juge leur analyse extrêmement réductrice.
Je m’étonne à mon tour que Mr Lipietz ne fasse pas le lien entre son analyse et celle de ces « économistes espagnols progressistes ». En effet, de par sa formation d’économiste, il ne peut pas ne pas savoir que les questions de compétitivité extérieure et de demande intérieure représentent les deux faces d’une même problématique. Effectivement, la bulle immobilière espagnole, financée par des capitaux peu regardants, est à l’origine de la crise dans laquelle ce pays s’effondre. Mais, il est tout aussi vrai que cet afflux de capitaux a trouvé sa source dans le déficit croissant du solde extérieur ibérique, lui-même provoqué par l’effondrement de la compétitivité espagnole.
Pour comprendre cela, rappelons que quand un pays investit plus qu’il n’épargne, alors, nécessairement, il est confronté à un déficit extérieur. La démonstration de cette relation est abordée en terminale ES, lors de l’étude de la balance des paiements. Je la reproduis ci-dessous mais si vous êtes allergique aux démonstrations, vous pouvez sauter ce paragraphe et simplement garder en tête qu’un déficit extérieur correspond à une situation où un pays épargne moins qu’il n’investit.
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Schématiquement, la production d’un pays (son PIB) est égale à la consommation des ménages et de l’Etat (C), plus les investissements des entreprises (I) et le solde de la balance commerciale (X-M).
PIB = C + I + (X – M)
Par ailleurs, l’épargne d’un pays (S) correspond à la part de la production (PIB) qui n’a pas été consommée (C) : ce que la fourmi ne consomme pas, constitue son épargne. On peut donc écrire épargne égale PIB moins consommation :
S = PIB – C
Cela veut dire aussi qu’épargne plus consommation constitue la production d’un pays, son PIB.
S + C = PIB
En reprenant la première et la dernière égalité, on peut dire alors que :
S + C = C + I + (X-M)
Soit :
S = I + (X-M)
Soit encore :
S – I = (X-M)
Cette dernière montre que la différence entre l’épargne (S) et l’investissement (I) d’un pays est égal au solde la balance commerciale (X-M).
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Pour ceux d’entre vous qui avez sauté la partie équation, vous pouvez sans crainte reprendre ici.
La balance commerciale d’un pays est donc déterminée par l’écart entre son épargne et son investissement. Si un pays épargne peu, et s’il investit plus qu’il n’épargne, alors il aura une balance commerciale déficitaire. A contrario, si un pays épargne beaucoup, et s’il investit peu, alors nécessairement, sa balance commerciale sera positive. Le corollaire d’un solde commercial positif est l’accumulation de créances sur l’étranger. Un pays qui a un solde extérieur positif augmente ses richesses sur l’étranger. A l’opposé, un pays dont le solde extérieur est négatif accumule des dettes sur l’étranger.
Cette relation entre épargne et balance commerciale explique la crise espagnole. En effet, depuis le début des années 2000, l’Allemagne première puissance économique de la zone a mise en place une politique économique qui a eu pour conséquence de comprimer sa consommation et faire baisser fortement ses investissements. Si vous avez bien suivi, vous aurez compris que, nécessairement, une telle politique a eu pour conséquence de faire progresser son épargne au-delà de son investissement et a donc permis à l’Allemagne de dégager des balances commerciales excédentaires.
Et quel est le lien avec l’Espagne, me direz-vous ? Et bien, cette balance commerciale allemande positive et son épargne excédentaire, a entraîné des flux de capitaux de l’Allemagne vers l’Espagne (et aussi vers la Grèce, le Portugal, l’Irlande…). Les excédents commerciaux allemands ont été transformés en créances sur l’étranger. Pour résumer, les allemands ont vendu à crédit au reste de l’Europe. Cette épargne allemande, qui s’est déversée en Espagne, a suscité un boom dans le secteur de la construction et a provoqué une forte hausse du taux d‘investissement (I) en Espagne. Parallèlement, cela a entraîné une forte baisse des taux d’intérêt en Espagne, favorisée par l’afflux de capitaux étrangers. Facteur aggravant, cette baisse des taux d’intérêt a engendré une forte croissance de la consommation (C) espagnole et a alimenté une inflation supérieure à l’inflation allemande. Cela a achevé de dégrader la compétitivité et le déséquilibre commercial espagnol.
Les causes de ce problème se trouvent dans les défauts congénitaux de l’Euro et dans la politique allemande qui base sa croissance sur les exportations dans les pays voisins. Compte tenu du coût social et économique des politiques actuelles, une sortie de l’Euro est une option qui présente des mérites et qu’on ne peut balayer d’un revers de main. Contrairement à ce que pense Mr Lipietz, cette sortie ne viserait pas à concurrencer les pays asiatiques mais à regagner une bouffée d’air vis-à-vis de l’Allemagne. En effet, dans la configuration actuelle, le seul choix qui est offert à l’Espagne est d’écraser sa demande interne ce qui a pour conséquence de provoquer une explosion du chômage et ne résoud même pas le problème de la dette puisque les rentrées fiscales sont elles aussi affectées par la crise. Mr Lipietz brandit la menace de l‘Amérique latine voire même de Miterrand pour annoncer qu’une forte inflation suivrait et annihilerait les avantages de la sortie de l’Euro. Rien n’est moins sure. La crise mexicaine en 1994/95 et la crise asiatique ont, elles aussi, été provoquées par des afflux de capitaux étrangers ayant entraîné des pertes de compétitivité et des déficits externes très importants. Les très fortes dévaluations qui en ont résulté, n’ont pas été suivies par des inflations galopantes. En conclusion, on peut dire le problème de la crise espagnole est intimement lié au problème de son solde extérieur et donc de sa compétitivité. Face à l'absurdité des poltiques économiques actuellement suivies en Europe, vouloir sortie de l'Euro peut se comprendre.