Le rôle clé de l’évaporation des gouttelettes dans la formation d’aérosols propageant l’épidémie de covid-19
Conséquence pour l’importance du port du masque pour tous, en particulier pour le déconfinement.
Bertrand Rowe, 18 avril 2020.
Dans le nuage de gouttelettes de fluide biologique émises par une personne qui tousse, éternue, parle ou chante il existe une grande répartition de taille.
Depuis en particulier un article séminal de Duguig1 en 1946 de très nombreuses publications ont été effectuées sur la question qui reste un sujet très actif de recherche, vu que l’on publie toujours sur la question.
Cependant un des points clés du problème est que la répartition de taille des gouttelettes émises depuis la bouche (leur véritable source est le système respiratoire, la bouche étant le point d’émission) évolue très rapidement une fois projetée dans l’air ambiant. En particulier des gouttelettes qui auraient dû tomber au sol assez rapidement dans un rayon de quelques mètres vont, en s’évaporant, se retrouver avec des tailles de quelques microns leur permettant de se maintenir en l’air presque indéfiniment.
A côté de cet aspect « mécanique des aérosols » il y a un aspect « biologique » évident : En effet on connait la charge infectieuse des fluides biologiques2, en copies/ml, qui est en fait le nombre de virus par ml. Celle-ci varie évidemment de façon importante d’un individu infecté à un autre mais nous sommes ici dans des ordres de grandeurs.
Retenons qu’en début d’infection la charge virale peut être d’un million de virus/ml et même bien au-delà. Et rappelons que les fluides biologiques sont essentiellement constitués d’eau.
Pour les particules émises directement par le système respiratoire à une taille de quelques microns le contenu total en virus est extrêmement faible, juste du fait du volume total, pas de la charge virale. De plus cette classe de particules ne constitue pas, et de loin, l’essentiel du volume des gouttelettes, et donc de la quantité totale de virus émise.
Comme le volume d’une gouttelette varie avec le cube de son diamètre les gouttelettes de 5 à 30 microns contiennent une part bien plus importante du volume émis. Mais pour beaucoup elles vont se retrouver rapidement par évaporation à une taille de quelques microns leur permettant de se maintenir très longtemps en l’air sous forme d’aérosol au lieu de tomber au sol. On passe donc à un support de transmission « aérosol » avec cependant une quantité totale de virus pour cette classe de particules qui ne change pas par rapport à l’émission initiale: en effet la perte par évaporation sera essentiellement une perte d’eau et c’est la charge virale (copies/ml) des particules qui augmentera. On forme ainsi ce qui est appelé dans la littérature en anglais des « dry nuclei ». Ceci limite d’ailleurs les présentes considérations à une taille de particule jusqu’à une trentaine de microns du fait de la composition des fluides biologiques, les autres composants étant probablement moins susceptibles de s’évaporer, et les plus grosses particules, une fois « séchées » conservant une taille trop élevée pour se maintenir en l’air.
On comprend dès lors que les conditions « climatiques » soit de l’air intérieur aux locaux soit de l’air extérieur qui y est admis pour renouvellement jouent certainement un rôle important dans la transmission par aérosol.
On revient évidemment ici à l’importance de regarder ce problème pour les systèmes de chauffage, climatisation et ventilation (tout en comprenant qu’une ventilation maximale depuis l’air extérieur est bénéfique, tout en minimisant toute recirculation de l’air intérieur) .
Mais surtout on comprend l’importance essentielle du port du masque pour tous : en capturant des particules de l’ordre de 10 à 30 microns à la source (comme le montre des calculs d’ordre de grandeur), avant qu’elles n’aient eu le temps en s’évaporant de former un aérosol à longue durée de vie, on diminue de façon importante cette voie de contamination. De nombreux écrits trouvés dans les médias semblent ne pas avoir compris du tout ce point !
Avant de nous protéger individuellement le masque nous protège de façon collective !
1- Duguid, J. F. The size and the duration of air-carriage of respiratory droplets and droplet-nuclei. J. Hyg. 4, 471–480.( 1946)
2- Temporal profiles of viral load in posterior oropharyngeal saliva samples and serum antibody responses during infection by SARS-CoV-2: an observational cohort study Kelvin Kai-Wang To, MD † et al, the Lancet, infectious diseases 23 march 2020
Remerciements: ce billet n’engage que son auteur, je tiens cependant à remercier Marc Wathelet et Jean-Michel Drouffe pour d’intéressants avis et discussions et Jean-Michel pour ses calculs sur l’évaporation des gouttelettes.