Abattoirs et transmission aérienne du Covid-19.
Bertrand Rowe, directeur de recherche CNRS retraité, consultant.
Alors que l’épidémie de Covid-19 commence partout à régresser en Europe et ailleurs voici qu’une nouvelle source de « clusters » c’est-à-dire de contamination massive se manifeste : les abattoirs.
Les explications rapportées ici et là dans les médias ont pour principal défaut d’être en général à caractère local, alors que cette observation a été faite dans différents pays et sur différents continents.
J’examine ici, en reprenant une partie de mes écrits précédents et en m’appuyant sur la littérature scientifique, pourquoi ces contaminations sont probablement reliées à la voie dite « aérosol », elle-même liée aux normes sanitaires qui imposent des températures faibles dans la chaine de préparation de la viande. De ce fait les abattoirs utilisent massivement des techniques de refroidissement ventilée. Il est plus que probable que cette ventilation d’air froid en milieu intérieur contribue à la contamination « aérosol » du personnel.
Rappelons que la transmission d’une personne infectée vers une personne saine peut se faire essentiellement de trois façons suivant la taille des gouttes expulsées par la personne (éternuement, toux mais aussi parole ou chant) infectée.
- Pour les grosses gouttes si vous êtes à faible distance (inférieure au fameux 1m) elles peuvent être directement projetées sur vous (la personne saine).
- Ces mêmes gouttes peuvent tomber sur une surface et la contaminer. Si vous la touchez et portez les mains à votre visage le risque est fort d’être contaminé. Notons que dans les abattoirs, en particulier dans les ateliers de découpe, les surfaces font l’objet de nettoyage et désinfection très fréquentes pour des raisons sanitaires évidentes.
- Mais pour les gouttes de très petites tailles, elles sont susceptibles d’être aéroportées (« airborne » en anglais) et de se propager sur des distances bien supérieures à 1m.
En dehors des abattoirs, un argument fort en faveur de l’importance de la troisième voie de contamination « aéroportée » ou « aérosols » a été l’observation de contamination massive après des rassemblements évangéliques en France (Mulhouse) et en Corée. A l’époque il faisait froid dans les deux pays et le chauffage des églises se fait essentiellement par système d’air pulsé ce qui brasse l’air et répand les germes aéroportés sur les fidèles. Par ailleurs de nombreux cas de multi-contamination (bus, bateaux de croisières, bateaux militaires, restaurant) ont été rapportés par la presse qui vont tous dans le sens du rôle clé de la voie « aérosols ».
Les autorités en occident ont longtemps nié l’importance de la voie aérosols et ont même dénigré, comme en France, le port du masque pour tous comme un moyen utile pour freiner et diminuer l’épidémie. Pourtant outre les observations rapportées ci-dessus il existe une importante littérature scientifique qui va dans le sens de l’importance de cette voie. Il n’est évidemment pas possible de faire ici une analyse exhaustive de cette littérature, nous nous contenterons de citer les travaux du professeur Lydia Bourouiba du MIT aux USA , ou encore du professeur Lidia Morawska de la Queensland University of Technology à Brisbane en Australie.
Lidia Morawska, accompagnée d’un collègue chinois, a d’ailleurs fait paraître le 10 avril dernier dans « Environment International » un article d’alerte : « Airborne transmission of SARS-CoV-2: The world should face the reality » (aérosol transmission du SARS-COV-2 : le monde devrait faire face à la réalité). Dans son laboratoire elle dispose de l’installation la plus performante au monde pour mesurer les tailles de gouttelettes émises par un être humain depuis sa bouche ou son nez et a fait paraitre plusieurs articles dans la littérature scientifique sur ce sujet.
Lydia Bourouiba pour sa part dirige un laboratoire au MIT (Massachusetts Institute of Technology près de Boston). Elle y étudie la propagation des fluides multiphasiques (air avec gouttelettes) que l’être humain peut émettre.
Que peut-on retenir de leurs travaux et de ceux de nombreux autres chercheurs ?
Lorsque nous respirons, parlons, chantons, toussons, éternuons nous émettons des bouffées d’air chaud (de l’ordre de 32° C) contenant des microgouttelettes de fluide biologique (de tailles micrométriques : d’une fraction à quelques centièmes de millième de mm), ce fluide étant composé à 98-99% d’eau. Ces gouttelettes peuvent contenir des virus si l’individu qui les émet est infecté.
Les plus grosses vont tomber rapidement à terre ou, sur du mobilier et divers objets, voie de transmission dite par contact, d’où l’importance rappelé à juste titre du lavage de main. On comprend aussi qu’un contact direct avec l’individu contagieux puisse mener à la contamination.
Mais les plus petites vont pour leur part être entrainées dans la bouffée d’air exhalé qui, si l’atmosphère environnante est plus froide, va s’élever dans une sorte d’effet « montgolfière ». Dans ce mouvement des gouttelettes de taille intermédiaire, elles aussi entrainées, vont très rapidement perdre leur eau par évaporation, donnant naissance à des particules nettement plus petites contenant, entre autres matières, beaucoup de virus (noyaux secs). Pour des raisons de mécanique des fluides basiques, les petites particules ne tombent pratiquement pas à terre et reste suspendues dans l’air ambiant presque indéfiniment. Ainsi se créé un « aérosol viral ».
Dans toutes les structures fermées, et en cas de chauffage ou de climatisation par ventilation, l’air est le plus souvent recirculé pour des questions d’économie d’énergie. Cela, même si une partie d’air frais est toujours admise pour raison sanitaire. Et cette recirculation peut conduire à des contaminations massives à la suite de l’inhalation d’aérosol viral. Le danger de contamination « aérosols » se situe donc essentiellement en atmosphère intérieure ou la concentration de particules infectantes dans l’air recirculé peut atteindre des valeurs suffisantes pour avoir un pouvoir de contamination élevé. Il est d’ailleurs admis que le risque est plus ou moins proportionnel à la quantité de virus à laquelle on a été exposé, donc à la concentration de particule virale d’une part et au temps d’exposition d’autre part, qui sera élevé pour un employé travaillant plusieurs heures par jour dans un même local contaminé.
Sans être un spécialiste des abattoirs un simple coup d’œil sur le web montre que ceux-ci utilisent de puissant moyen de réfrigération ventilé comme le dispositif vu sur la figure suivante.
En effet après abattage, dépouillage et éviscération les carcasses sont stockées en chambre froide ou de puissants jets d’air froid (voir figure) les portent en quelques heures à des températures proche de zéro (3° C par exemple). Elles sont ensuite introduites dans l’atelier de découpe qui emploie une main d’œuvre assez nombreuse et ou la réglementation impose une température ne dépassant pas 12° C. Donc dès que la température extérieure augmente la climatisation s’impose et il est d’ailleurs spécifié dans les conseils ergonomiques pour les salles de découpe de ne pas diriger directement l’air froid sur les employés.
En conclusion Il semble plus que probable que les contaminations en abattoirs passent par la voie « aérosols » du fait du froid ventilé utilisé pour respecter les normes sanitaires de température.
En milieu extérieur l’exposé ci-dessus démontre que le danger est bien moindre sauf sur zone surpeuplée. En température froide ou tempérée la bouffée chaude et éventuellement infectante va monter en altitude et être rapidement dispersée par le vent. Plus le milieu est ouvert et plus cette dilution sera rapide.
Il semble que les autorités sanitaires ou gouvernementales n’aient pas pris la pleine mesure du danger de « l’air intérieur » dans la transmission du virus, elles (et les médias) communiquent beaucoup plus sur les milieux ouverts et naturels (plages, estran, parcs et forêts) éventuellement frappés d’interdictions diverses plus ou moins stupides, alors que c’est dans la modernité des systèmes CVC (Chauffage-ventilation-Climatisation) de nos sociétés à fort PIB que se cache l’ennemi. Ceci explique peut-être la différence de surmortalité (décès/100 000 habitants) liée au COVID-19 entre Afrique et Brésil et sera l’objet d’un autre billet.
References :
Bourouiba, Lydia, Eline Dehandschoewercker, and John W. M. Bush. “Violent Expiratory Events: On Coughing and Sneezing.” Journal of Fluid Mechanics 745 (March 24, 2014): 537–563. © 2014 Cambridge University Press.
Lidia Morawska and Junji Cao: “Airborne transmission of SARS-CoV-2: The world should face the reality” Environment International, Volume 139, May 2020, 105730.