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Billet de blog 29 mars 2020

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Au Cœur de la pandémie du coronavius: le problème de la transmission

Des pays ont endigué l’épidémie de covid 19 en utilisant massivement le port du masque pour la population, parfois sans confinement. En France la doctrine officielle est que la voie de transmission aéroportée n’existe pas et que le masque est inutile (sauf soignants). Toute suggestion allant dans le sens d’une transmission aéroportée fait l’objet d’un tir de barrage officiel et journalistique.

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cette tribune a été refusée par plusieurs rédactions en chef, malgré l'enthousiasme de certains journalistes.

Au Cœur de la pandémie : le problème de la transmission.

Tribune

Par Bertrand Rowe.

Directeur de Recherche CNRS retraité. Lauréat du Prix Descartes 2000 de la recherche européenne.

Cet article vise à souligner l’importance d’une possible troisième voie de contamination du Covid 19 dite « par voie aéroportée ». Il s’agit donc d’évoquer les aérosols et les dispositifs fréquents de ventilation de l’air (train, avion, centre commerciaux, banques, etc) et surtout les mesures simples et peu coûteuses qu’ils conviendraient de prendre immédiatement en complément des mesures déjà préconisées, dans le seul but de diminuer le risque de contagion au niveau national.

Mise en contexte, littérature et « effet d’échelle »


Depuis le début de l’épidémie en France les autorités et les médias relaient – à raison - des messages utiles sur les « gestes barrières » à adopter en ces temps de distanciation sociale :

  • appliquer une distance de sécurité de au moins 1m ;
  • se laver les mains le plus souvent possible.

Toutefois, concernant les masques, leur usage pour l’ensemble de la population n’est pas préconisé. Ainsi, en parallèle des mesures de confinement sévères, les grandes surfaces et certains marché ouvert (sur dérogation), destinés à ravitailler la population, sont ouverts et accessibles.


Si l’on se réfère à la mécanique des fluides et à tous les travaux sur les aérosols, ces dispositions semblent ignorer totalement que les plus petites gouttes de taille micrométriques peuvent rester très longtemps en suspension dans l’air avant de tomber sur le sol et c’est tout simplement le cas du brouillard. Ceci est dû au fameux «effet d’échelle » qui montre que la goutte tombe sous l’effet de son poids proportionnel à son volume (R3) mais qu’elle est freinée par une force liée à l’air (dite force de trainée) proportionnelle à sa surface (R2). Ainsi, plus la goutte est petite plus la force de trainée est grande par rapport à la force de pesanteur (poids) et plus la goutte tombe doucement. Ce qui est le cas par exemple des plus petites gouttelettes et nommées « postillons » ! De plus, l’analyse de la littérature montre clairement que l’on peut considérer trois voies de contamination suivant la taille des gouttes expulsées par la personne (éternuement, toux) infectée.

  1. Pour les grosses gouttes si vous êtes à faible distance (inférieure au fameux 1m) elles peuvent être directement projetées sur vous (la personne saine).
  2. Ces mêmes gouttes peuvent tomber rapidement sur une surface et la contaminer. Si vous la touchez et portez les mains à votre visage le risque est fort d’être contaminé.
  3. Mais pour les gouttes de très petites tailles, elles sont susceptibles d’être aéroportées (airborne en anglais) et de se propager sur des distances bien supérieures à 1m.

Les dispositions actuellement prises en France sont basées sur les deux premiers modes de transmission qui ne concernent que les plus grosses gouttes lesquelles tombent à terre ou sur des objets très rapidement. Ceci explique donc la distanciation recommandée de 1m en France ou de 2m aux États-Unis.


Mise en lumière de la singularité des particules fluides humaines aéroportées

La littérature montre que les particules fluides que nous éjectons ont une taille moyenne autour de 10 microns (millième de mm). De plus pour de telles tailles l’eau qu’elles contiennent peut s’évaporer rapidement conduisant à des particules encore plus « ultrafines » contenant éventuellement du virus et susceptibles de rester très longtemps en suspension dans l’air ambiant. La littérature montre aussi que les plus petites particules (les particules dites « fines » ou « ultrafines ») peuvent pénétrer plus profondément dans les poumons conduisant à une infection plus rapide et plus grave.
Dès lors, il n’est plus question d’ignorer la troisième voie aéroportée évoquée précédemment (airborne) en se basant d’une part sur la littérature et d’autre part sur des observations rapportées d’épisode de contamination.

  1. Insistons premièrement sur un article paru dans le Journal of Fluid Mechanics (JFM) de Lydia Bourouiba et al. en 2014. Lydia Bourouiba est professeur associé et responsable de laboratoire (Fluid dynamics of disease transmission) au MIT (Massachussetts Institute of Technology). Les travaux tant théoriques qu’expérimentaux du professeur Lydia Bourouiba montrent que l’on ne peut ignorer la transmission aéroportée, et ses résultats impliquent  une distance de sécurité de 8m (huit mètres) à minima. Ces travaux concernant une contamination intérieure à des locaux, nous nous sommes posé la question du transport en milieu ouvert comme par exemple un marché en extérieur ou le vent est susceptible de transporter les particules les plus fines sur de grandes distances. Nous avons écrit
    le dimanche 22mars, au professeur Lydia Bourouiba, qui nous a confirmé que cela était parfaitement possible.  Se pose alors naturellement alors la question du temps de vie dans les aérosols.
  2. Insistons alors sur une correspondance parue dans le  New England Journal of Medicine du 17 mars qui montre que le virus peut survivre  au moins de deux à trois heures  dans les aérosols. Ce résultat, croisé avec ceux obtenus par Lydia Bourouiba sur l’aspect production et transport des aérosols d’origine humaine montre que la voie aéroportée est une des voies de contamination possible et même « très probable » notée dans l’article du 17 mars.
  3. Insistons enfin, sur un échange du mercredi 25 mars au soir avec le Dr. Yang Zhao , auteur ayant publié dans les « Nature Scientific Reports » en août 2019 sur  la transmission aéroportée du  virus de la grippe aviaire  (HPAI) H5N2 aux USA. Suite à nos interrogations, sa réponse (traduit mot à mot de l’anglais) est éloquente : « Cher Dr. Rowe, je suis d’accord avec vous. Comme la transmission aéroportée du COVID 19 n’a pas été bien étudiée, quiconque essaierait d’écarter la possible transmission aéroportée est un irresponsable ».


Mise en perspective factuelle avec les contaminations de Mulhouse et de Corée


A la suite de ces interventions et articles scientifiques , nous pouvons faire un parallèle en faveur de cette troisième voie de contamination « aéroportée » à partir de trois événements récents ayant donné lieu à de forte et rapide contamination. Tout d’abord, soulignons le cas des rassemblements évangéliques en France (Mulhouse) et en Corée. Et à ce propos, nous insisterons sur le fait qu’en cette saison il fait froid dans les deux pays et le chauffage des églises se fait essentiellement par ventilation. Cette ventilation brasse l’air et répand donc dramatiquement les germes aéroportés sur les fidèles.

Ensuite, notons la contamination qui a eu lieu dans un bus à Wuhan via le système de ventilation a été rapporté récemment dans une revue grand public (Covid-19 : quand les particules virales prennent le bus, sciences et avenir Par Sylvie Riou-Milliot le 12.03.2020).

Enfin, les chercheurs italiens ont montré que le pic de contamination est en cohérence avec les épisodes de pollutions atmosphériques aux particules fines. Certes, corrélation n’est pas causalité, mais les épisodes de pollution correspondent toutefois à des conditions atmosphériques qui, elles, sont propices à l’accumulation et au maintien des particules fines et hyperfines dans l’atmosphère.
Ces trois observations plaident donc fortement pour la prise en compte sérieuse et rapide de cette troisième voie aéroportée de contamination.


Mise en place de nouveaux  gestes barrières adaptés


Il nous semble regrettable de continuer à penser – après ces observations et ces travaux - que le covid-19 peut être d’une part responsable d’un terrifiant désastre sanitaire mais d’autre part que le germe n’est pas heureusement aéroporté. Nous proposons ci-après trois plaidoiries pour appuyer sur trois nouveaux gestes barrières à déployer. Nous plaidons ici pour ajuster et corriger ce message qui imprime malencontreusement que le virus et son support (les gouttes et gouttelettes) ne restent pas en l’air bien longtemps et qu’il va ne va pas naviguer beaucoup plus loin que 1 à 2m avant de se retrouver au sol ou sur des objets. Nous plaidons donc pour ajuster les messages disant que « le virus n’est pas aéroporté », « les gestes et les comportements barrières suffisent » et que « le masque est inutile pour le commun des mortels ».

  • le masque est utile

Les italiens que nous pouvons observer chantant en masse à leur fenêtre le soir dans des rues étroites et sujettes aux courant d’air sont donc sans doute largement plus exposés que les allemands ou coréens par exemple Nous plaidons aussi pour le port du masque et nous pouvons citer les ravages liés au dénigrement du port du masque en Europe par les autorités et il est, d’ailleurs, vue d’Asie comme une grave erreur.  Il convient de souligner à ce propos que les masques ne capturent pas toutes les particules par effet « filet » (trous plus petits que la particule) mais plutôt pour les plus petites par collage sur les fibres. Ce phénomène est augmenté pour les plus petites particules par une plus grande agitation (mouvement brownien). C’est pourquoi les masques sont testés pour une taille de particule intermédiaire susceptible d’être la plus facilement transmise. Évidemment ils ne constituent en rien une protection absolue mais sont certainement extrêmement utiles pour minimiser les risques.

  • Couper les systèmes de ventilation non rigoureusement nécessaires et minimiser collectivement les déplacements pour faire les courses

Nous plaidons ensuite, compte tenu de la pénurie de masque et de l’effet « panique » qu’il convient d’éviter, pour adopter des mesures simples et peu coûteuses. Tout dispositif qui contribue à ventiler et à faire circuler l’air ambiant doit être stoppé.  C’est le cas des systèmes de chauffage aérotherme dans les grandes surfaces alimentaires, les avions ou les trains. Le principe de précaution  invite de surcroît une organisation (par famille, par voisins) permettant un ravitaillement alimentaire minimisant les risques. C’est une organisation similaire que les chinois ont mis en place à travers les comités de quartier et qui a fait ses preuves à l’épicentre de la crise.

3) Revoir la communication sur la distance de 1m

Enfin il conviendrait d’alerter la population sur le fait qu’une distance de 1m ne constitue en rien une sécurité absolue ce qui plaide en faveur du confinement et d’une distanciation bien supérieure dès lors qu’il y a un peu de vent ou des courants d’air, mais aussi qu’une personne tousse ou éternue, ce qui n’est pas toujours prévisible. Dans ce dernier cas la distance de sécurité est voisine de 8m.


Références :

Bourouiba, Lydia, Eline Dehandschoewercker, and John W. M. Bush.  “Violent Expiratory Events: On Coughing and Sneezing.” Journal of Fluid Mechanics 745 (March 24, 2014): 537–563. © 2014 Cambridge University Press. ADD: https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMicm1501197 (for reference of the 8 m distance).

Myndi G. Holbrook et al. The new england journal o f medicine; correspondence, 17 march Aerosol and Surface Stability of SARS-CoV-2 as Compared with SARS-CoV-1 Airborne transmission may have played a role in the spread of 2015 highly pathogenic avian influenza outbreaks in the United States.

Yang Zhao et collaborators, scientific reports de Nature , aout 2019.

Lydia Bourouiba Turbulent Gas Clouds and Respiratory Pathogen Emissions Potential Implications for Reducing Transmission of COVID-19, Clinical Review& Education; JAMA, March, 26 2020.


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