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Billet de blog 2 mars 2023

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Entretien écrit avec Jonas Poher Rasmussen par Jordan Mintzer pour ғʟᴇᴇ

"Le sujet n’est pas seulement le fait d’être réfugié mais d’être chez soi. Être chez soi c’est non seulement posséder une maison, mais c’est aussi se sentir chez soi, et se sentir soi-même."

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Tu connaissais un peu l’histoire qu’il t’avait racontée quand vous étiez jeune mais tu as connu la vérité pendant les interviews, ce qui a dû affecter ta confiance quant à la véracité de ses propos ?

En réalité ce n’est pas vraiment ça, non. J’ai entendu des histoires sur lui, mais jamais de lui. Ce n’est pas qu’il voulait me mentir, mais il ne m’a jamais rien dit. J'ai entendu quelqu'un dire entre autres qu’il avait quitté l'Afghanistan pour le Danemark. Mais Amin ne voulait pas en parler. Je n'ai jamais eu l'impression qu'il n'était pas honnête du fait de ne pas m’en avoir parlé. Cela ne m’a pas étonné quand il m’a expliqué qu’il devait raconter les faits comme les trafiquants d’hommes lui avaient dit de le faire. Et que pour ça il préférait ne rien dire pour ne pas mentir.

OuiCe qui est fascinant chez lui dans le film, c'est qu'il est constamment obligé de mentir à différents niveaux, à la fois sur sa propre sexualité, à sa famille et à son entourage mais aussi sur son histoire aux autorités du bureau de l'immigration. Il construit sa vie sur le mensonge. J'ai l'impression que le film essaie d'atteindre une certaine vérité objective à son sujet. Et en même temps, ce que je trouve intéressant, c'est qu’en tant que spectateur on peut supposer que le documentaire est un média objectif. C'est d’ailleurs une question qui se pose probablement lorsqu’on réalise un documentaire. Mais je trouve que votre film est très subjectif d’une certaine manière. Était-ce quelque chose que vous aviez en tête ? Comment vous y êtes-vous pris pour faire émerger une certaine subjectivité ?

Je pense que c'est une illusion de penser que le documentaire est un média objectif. Si quelqu'un d'autre qu'Amin avait vécu quelque chose de similaire et me l'avait raconté, cela aurait fait un tout autre film. Et si Amin avait raconté son histoire à un autre réalisateur, ce serait aussi un film différent. À partir du moment où il y a une implication humaine dans la narration d'une histoire, la subjectivité est inévitable. Par ailleurs, nous utilisons des outils cinématographiques pour raconter l'histoire. Et je voulais m'assurer que les spectateurs vivent les événements, qu’ils ne voient pas simplement quelqu'un parler de ce qui a eu lieu dans le passé. Nous avons mis en scène certaines informations, les omettant puis les révélant au fur et à mesure, pour qu’il s’agisse d’une véritable expérience cinématographique. C’est donc bien sûr une histoire subjective, mais c'est aussi une histoire honnête, je pense. Au lieu de se demander si les histoires sont véridiques ou pas, la question de l'honnêteté est plus adéquate selon moi. Qu’est ce qui est vrai ? Cela dépend du regard.

Le film a été projeté pour la première fois au festival Sundance il y a deux ans et il a remporté le prix du grand jury, puis a fait des tonnes de festivals, a remporté de nombreux prix, a obtenu trois nominations aux Oscars. Est-ce que vous vous attendiez à ce que le film ait une telle résonance quand vous l'avez réalisé ?

Non. C'est un projet qui a vraiment grandi au fur et à mesure. Au début, nous avons commencé à faire des enregistrements chez moi, sur mon canapé à Copenhague. Nous avons commencé à faire des interviews et nous nous disions que si nous avions de la chance le film serait diffusé sur une chaîne de télévision danoise locale. Mais petit à petit le projet a grandi. Et bien sûr, à un certain moment, j'ai eu le sentiment que nous faisions quelque chose de spécial et qui résonnait vraiment avec les gens. Mais ce n'est qu'au festival Sundance que je me suis dit que c'était plus grand que ce j'avais pu imaginer

Illustration 1
Flee de Jonas Poher Rasmussen - Distribution Haut et Court

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Et pourquoi pensez-vous que le film a autant touché les gens du monde entier ?

Je pense que c'est parce que c'est un sujet universel. Le sujet n’est pas seulement le fait d’être réfugié mais d’être chez soi. Être chez soi c’est non seulement posséder une maison, mais c’est aussi se sentir chez soi, et se sentir soi-même. Et je pense que c'est quelque chose auquel tout le monde fait face à un certain moment de sa vie : chercher un endroit où on sent qu’on peut être honnête avec qui on est. Certaines personnes trouvent ce lieu et d'autres non. Certaines personnes le trouvent et le perdent à nouveau. Je pense que c'est un aspect universel du film. Il ne s'agit pas seulement d'être un réfugié ou d'être gay. Il s'agit de chercher un endroit où vous sentez que vous pouvez être qui vous êtes.

Votre film est sélectionné au festival Best of Doc. Est-il vraiment un documentaire ou est-ce quelque chose d’autre ? Qu’en pensez-vous ?

Pour moi, c'est un documentaire à 100%. Encore une fois selon moi le documentaire c'est une histoire vraie. C'est bien sûr raconté de manière subjective. Mais c'est une histoire honnête. C'est basé sur de vraies expériences vécues. Et pour moi cela en fait un documentaire. Nous n'avons rien inventé. Tout est basé sur ce qu'il a vécu. Et c'est vraiment centré sur son témoignage. C'est centré sur sa voix et sur la façon dont il parle de ses expériences. Donc pour moi, c’est 100% du documentaire.

Le film est très émouvant. Il y a des moments que vous n’auriez pas nécessairement pu obtenir sans l’animation.

Oui, j’en suis heureux. C’est ce qu’on essaye de faire en tant que cinéaste, transmettre une expérience.

Entretien réalisé par Jordan Mintzer de Hollywood Reporter pour le festival Best of Doc #4, février 2023. 

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