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Billet de blog 10 avril 2024

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Quand Bastien Vivès est invité à Bruxelles

Le jeudi 11 avril 2024, la galerie Huberty & Breyne, située place du Châtelain à Bruxelles, accueille le vernissage de sa future exposition qui se tiendra du 12 avril au 11 mai prochain, Héritages.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Elle mettra à l’honneur Bastien Vivès, bédéaste français actuellement sous le coup de plusieurs plaintes en France : l'une déposée en décembre 2022 pour diffusion d'images pédopornographiques ; la seconde déposée en janvier 2024 par l'association française Face à l'inceste.

Bastien Vivès est également connu pour le cyberharcèlement qu'il a commis auprès de la dessinatrice Emma en 2017, appelant au meurtre l'artiste sur ses réseaux. 

Le débat s'ouvre à nouveau et anime certainement jusqu'aux repas de familles : peut-on rire de tout ? ne peut-on plus rien dire ? Les féministes vont-elles définitivement trop loin, annulant tous les artistes subversifs ? 

Le droit d'être subversif

Bien sûr, l'art a toujours représenté une forme de transgression, et servi à amener une réflexion, à dénoncer. 

Le problème se pose lorsqu'on utilise l'art pour aborder un sujet illégal, sans dénoncer quoi que ce soit. Quand on pense transgresser alors même qu'on joue le jeu d'une société complaisante à propos des violences sexuelles. Dans notre cas précis, malheureusement, il n'y a rien de subversif à créer des œuvres pédocriminelles dans une société où tant d'enfants sont, chaque jour, abusés et violentés.

Preuve en effet, il a fallu qu'une poignée de féministes commence à s'insurger du travail du bédéiste pour qu'enfin, on commence à considérer que le travail de Vivès cesse d'être noyé dans la masse d'artistes perpétuant les rapports de domination. Tout le monde trouvait cela plutôt normal, finalement, de mettre en scène une sœur prodiguant une fellation sur son petit frère, le viol d'un enfant de dix ans, ou encore des agressions sexuelles à n'en plus finir.

Cela s'appelle la culture du viol et de l'inceste.

Une responsabilité collective

Programmer un bédéaste qui tient des propos valorisant l’inceste et mettant en scène du viol et des scènes de pédocriminalité, c’est un choix, non seulement de la part de galeristes, mais aussi d’êtres humains, qui se placent dans un continuum de la culture du viol. Il y a des centaines de bédéastes talentueux·ses à inviter, pourquoi Huberty & Breyne a-t-elle choisi Bastien Vivès ? 

Comment peut-on imaginer protéger les enfants des violences sexuelles lorsqu'on légitime le propos d'un artiste qui avoue que « moi l’inceste, ça m’excite à mort » et qui qualifie lui-même ses œuvres comme étant du contenu à « caractère pédophile ». Selon les derniers chiffres disponibles, a minima 10 % de la population belge est victime d'inceste, dont plus de trois quarts de filles. L'inceste fait système, elle est structurante des familles et l'omerta qui continue de planer, ainsi que la complaisance du milieu de l'art sur le sujet, perpétue les dominations. C'est la chercheuse Dorothée Dussy qui se questionne, dans son ouvrage Le berceau des dominations : pourquoi y a-t-il de l’inceste alors qu’il s’agit d’un interdit dans toutes les sociétés du monde ? Parce que « l’inceste est structurant de l’ordre social », explique-t-elle ; parce qu'il est un « élément clé de la reconduction des rapports de domination et d’exploitation ». Il s'agit majoritairement d'hommes qui bénéficient d'une « position dominante » ; le fait qu'une galerie d'art décide d'inviter un artiste en examen et produisant du contenu à caractère pornographique traduit la domination masculine qui continue de faire système. 

On ne peut plus rien dire, alors ?
Oui, la société change, et ce qui était admis hier devient inadmissible aujourd'hui. En fait, on ne peut plus tout dire, et c'est tant mieux. Le blackface (le fait de grimer son visage en noir) célébré en Belgique est désormais interdit. Et c'est tant mieux. Un baisé forcé provoquait le rire hier ; aujourd'hui, les agresseurs sont écartés et/ou virés. Et c'est tant mieux. Des dessins pédocriminels étaient admirés hier ; ils sont dénoncés aujourd'hui. Et c'est tant mieux.
Cela ne veut pas dire que personne ne peut plus produire du contenu incluant des propos ou dessins pédocriminels, seulement, on ne peut plus le faire pour expier ses désirs personnels malsains. On peut s'en servir pour dénoncer ; les humoristes et autres illustrateur·rices utilisent leur travail depuis des décennies pour produire du contenu politique, et c'est une excellente nouvelle. Mais produire des œuvres à caractère incestueux ou pédocriminel fait juste partie des mécanismes qui permettent justement cette culture du viol et de l'inceste.

On oublie, je pense, que la liberté d'expression n'est et n'a jamais été absolue. On n'a jamais eu le droit de tout dire, il y a toujours eu des interdits. Ces derniers évoluent avec les lois et les mœurs, et il semblerait qu'en s'indignant de la venue d'un bédéaste comme Bastien Vivès, nous prenons le chemin d'une société qui cesse de banaliser les violences sexuelles que subissent les enfants. Et c'est tant mieux.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.