En bon homme blanc intellectuel de 50 ans, Jean Birnbaum est rempli de biais qu'il ne semble pas voir, puisqu'il pense incarner le neutre, l'universel. Par honnêteté intellectuelle, j'ai lu en intégralité son essai Seuls les enfants changent le monde, paru en octobre dernier, et n'ai pu y manquer de voir les nombreux manquements et œillères que l'auteur subi.
Le fameux procès en égoïsme et la pathologisation de la non parentalité
Quand il affirme qu' "en donnant la vie, nous proclamons à la fois l'incertitude de l'avenir et notre capacité à engager le futur", l'auteur sous-entend que l'on ne peut s'engager pour le futur sans donner la vie soi-même. En tant que militante féministe, écologiste, engagée sur des thématiques comme l'anti-capitalisme et l'anti-racisme, je suis toujours atterrée que des personnes aussi lettrées tombent dans cet écueil. Dans un chapitre entier, Jean Birnbaum nous relate la tristesse de moult compagnons engagés dans des partis politiques de gauche, n'ayant pas engendré de descendance, comme des personnes à qui il manque nécessairement quelque chose.
Pas une seule fois l'auteur n'évoque la liberté de choix des personnes childfree, dont il ne semble visiblement pas connaître l'existence. Pas une fois il ne fait référence aux enjeux féministes qui sous-tendent l'entrée en maternité des femmes. Pourtant, en bon journaliste qu'il devrait être, la recherche de sources, d'arguments venant mettre à mal sa pensée doit faire partie de son activité.
La natalité, un enjeu aux prismes multiples
En effet, pendant qu'il est occupé à nous décrire l'immense joie qu'a procuré l'arrivée d'enfants dans sa vie, Birnbaum semble occulter la réalité des inégalités femmes-hommes. Je ne peux m'empêcher de me demander combien de couches le journaliste a du changer dans sa vie pour oser omettre une réflexion pourtant cruciale.
Aujourd'hui, comme je l'explique en profondeur dans mon ouvrage Le temps du choix (Payot, 2024), l'entrée en parentalité est drastiquement différente en fonction du genre du parent. Pour les femmes, après avoir potentiellement subi des violences obstétricales, c'est la porte ouverte au plafond de verre en entreprise, puisque, bien qu'obligatoire, encore 30 % des hommes ne prennent pas leur congé paternité. C'est par conséquent une voie vers la dépendance économique, car 80 % des emplois à temps partiels sont tenus par des femmes, et qu'il convient de rappeler qu'il s'agit pour les trois-quarts d'entre elles, d'un temps partiel subi, et non choisi.
C'est aussi la porte ouverte à la dépression post-partum, à l'isolement social, à la somme incommensurable d'injonctions tout aussi contradictoires qu'aberrantes. Bien sûr, cela peut aussi être un grand bonheur : mais uniquement si le partenaire, dans le cadre d'un couple hétérosexuel, ne se borne pas à reproduire des schémas patriarcaux archaïques, et qu'il s'engage pour luttes féministes lui permettant de prendre entièrement sa part dans le couple. Vu les propos de Jean Birnbaum, on est en droit de douter de son investissement dans le foyer. La "puissance subversive de l'enfant qui naît", pour reprendre ses mots, n'existe que si ce même bébé n'est pas un boulet aux pieds des femmes.
Natalité, une composante majeure du projet d'extrême droite
Dans son analyse au Monde publiée le 26 janvier, Jean Birnbaum affirme que la natalité n'est pas uniquement un poncif de l'extrême droite, et que de nombreux partis s'en sont saisis au cours du temps. Son faible argumentaire tient en la phrase suivante : "En 2022, lors de la dernière élection présidentielle, la plupart des candidats, de gauche comme de droite, proposaient des dispositifs pour aider les parents futurs ou présents." Certes, mais, à ma connaissance, les partis de gauche ne se positionnent pas pour que les femmes se mettent au service de la Nation tout en voulant réguler l'immigration.
Le journaliste semble faire l'amalgame entre soutien aux familles, une composante effectivement inhérente à la France depuis 1945 et la création de l'UNAF (Union Nationale des Associations Familiales), et instrumentalisation des ventres abritant des utérus. Si la rhétorique militaire chère à Emmanuel Macron ne semble pas choquer Birnbaum, c'est précisément parce que utérus, il n'en dispose pas. D'ailleurs, il accède volontiers à la pensée de l'extrême droite en affirmant que la natalité doit être un projet national pour maintenir notre système de retraites. Or, le système par répartition, qui repose en effet sur un besoin de suffisamment d'actifs pour supporter la charge des retraites, peut être soutenu en encourageant le travail des femmes, qui sont nombreuses à quitter les emplois actifs avec l'arrivée des enfants ou à passer à temps partiel, ou bien en passant par l'immigration, comme le fait l'Allemagne depuis des années.
Enfin, Birnbaum se questionne : "comment imaginer un nouveau monde, plus digne et plus juste, sans faire appel aux nouveaux venus ?" Voici quelques pistes de réponses : commencez par vous indigner à propos du plafond de verre, du congé paternité bien trop court, des discriminations subies par les femmes dès qu'elles deviennent mères. Ajoutez à cela une réflexion sur la réalité de la crise climatique et financière, qui, si vous en êtes préservé par votre milieu social et géographique, sont des réalités pour des millions de personnes, déjà en 2024. Je suis toujours soufflée de voir à quel point des personnalités comme Jean Birnbaum (mais il n'est pas le seul, nous avons aussi souvent le droit aux frasques d'Eugénie Bastié, journaliste au Figaro, sur le sujet) ne s'engagent jamais pour la justice sociale, l'écologie, l'inflation, les conditions dignes de vie pour les êtres humains, tout en faisant porter sur les gens, en particulier les femmes, le poids d'un devoir d'enfant.