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Billet de blog 31 août 2022

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La Renaissance n'a pas eu lieu

Employer le terme de Renaissance pour parler du 15 et 16ème siècles en Europe semble légèrement erroné et témoigne en tous cas d'un point de vue subjectif, non neutre, et situé.

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Heureux.ses sont mes professeur.es d'Histoire qui n'ont pas eu à m'avoir comme élève alors que je porte maintenant les lunettes du féminisme sur mes années d'apprentissage. 

Au lycée, puis en classe préparatoire, j'ai étudié La Renaissance, période que l'on situe en Europe aux 15ème et 16ème siècles. C'est une période que les historiens en particulier (au masculin, non neutre), semblent adorer. Quelle époque faste que celle où l'on redécouvre les textes antiques, la littérature et la philosophie des Anciens, textes et idées qui amènent avec elles (oui, j'emploie l'accord de proximité, qu'on usitait d'ailleurs jusqu'à la Renaissance en France) une mise en perspective de nos valeurs ainsi qu'une période d'innovation sans pareille.

Ah, quelle belle période, la Renaissance. On s'appelle en effet ainsi car après des temps que l'on aime beaucoup décrire comme sordides et sombres, au Moyen-Age, l'être humain semble sortir la tête de l'eau et embrasser enfin son destin de grandeur et de conquêtes. L'être humain, vraiment ? Pas vraiment. L'homme, ça oui.

En réalité, la Renaissance n'a pas vraiment eu lieu pour une bonne partie de la population (la moitié de l'humanité, vous savez, les gens dont le nom commence avec un f là ... les f ... Les femmes, oui bravo). 

On rappelle que la chasse aux sorcières a battu son plein en Europe à la fin du 15ème siècle et pendant le 16ème siècle, notamment à cause de la publication, en 1487, du Malleus Maleficarum, manuel destiné à justifier les meurtres et tortures envers les personnes suspectées de sorcellerie afin de déterminer lesquelles sont des sorcières. Si au départ, des hommes sont également accusés de sorcellerie, au 16ème siècle, l’histoire vire au féminicide massif en Europe (en particulier en Suisse et dans les pays germaniques), "les condamnations concernent majoritairement des femmes seules, veuves ou célibataires, souvent pauvres", expliquent Silvia Federici (2021) et Titiou Lecoq (2022). 

A l'inverse, on aime diaboliser le Moyen-Age et la présenter comme cette période tourmentée et obscure, mais on oublie souvent que le mot Moyen-Age a été inventé pendant la Renaissance, pour englober dix siècles et les qualifier d'obscurs, justement pour justifier d'une prétendue incroyable avancée des mœurs et découvertes ensuite. Comme l'explique Régine Pernoud dans son ouvrage Pour en finir avec le Moyen-Age (1979), le Moyen-Age est plutôt la continuité de l'Antiquité ainsi qu'une période d'innovations majeures comme l'Université, mais aussi au niveau architectural en Europe. 

Côté femmes, certes, les siècles passés avant la Renaissance étaient empreints d'une autorité religieuse omniprésente, pendant laquelle les femmes étaient toutes les "filles d'Eve", tournées vers le péché, la luxure, et éminemment dangereuses. L'autonomie n'était pas nécessairement au rendez-vous : leur corps est surveillé, leur rôle est d'enfanter (en silence, de préférence).

Illustration 1
Arnolfini et sa femme (1434) par Jan Van Eyck © Jan Van Eyck

Toutefois, si leur condition n'était pas enviable avec nos yeux actuels, elle n'était pas nécessairement pire que pendant la Renaissance, qui n'a absolument rien arrangé à la condition des personnes sexisées. Parfois, au contraire, leur sort a pu être bien pire même. En effet, si les rapports de domination entre les genres existaient bel et bien, la classe prévalait encore sur le genre au Moyen-Age : "Contrairement à ce que l’on a pu longtemps penser, l’essor du pouvoir monarchique face aux puissances féodales à partir des 12e-13e siècles n’a pas entraîné l’exclusion progressive des femmes de la scène politique, et de nombreuses princesses continuent d’exercer un réel pouvoir.", lit-on dans cet article publié sur National Geographic. Joan Kelly abonde dans ce sens dans un article intitulé Les femmes ont-elles connu la Renaissance : "En somme, une nouvelle division entre la vie privée et la vie publique commença à se faire sentir à mesure que l’État en vint à organiser la société de la Renaissance, et c’est à travers cette division que la relation moderne entre les sexes fit son apparition, y compris au sein de la noblesse de la Renaissance. Les femmes nobles furent de plus en plus écartées des préoccupations publiques – économiques, politiques et culturelles – et bien qu’elles ne disparurent pas dans la sphère privée liée à la famille et à la maison autant que leurs sœurs de la bourgeoisie patricienne, leur perte de pouvoir public se manifesta au travers de contraintes nouvelles qui commencèrent à peser sur leur vie personnelle et sociale."

Tout ça pour dire que la Renaissance semble être un terme assez erroné, ou du moins, qui transpose un point de vue situé sur une époque : il s'agit là d'un terme employé par des hommes européens, pour une période façonnée par et pour eux, évinçant les femmes du monde social, économique et politique. Comme toute production de contenus, l'Histoire n'échappe pas à la subjectivité, car tout contenu, toute idée, est produite par un sujet incarné. Ce sujet n'est pas neutre, et même si l'on a décidé, notamment depuis cette fameuse "Renaissance" d'ériger le masculin en universel, les hommes qui produisent du contenu n'en sont pas moins des humains lambda, politisés, qui amènent dans leurs textes et actions, leurs valeurs et leurs moeurs. 

Les hommes ne sont pas neutres, et ils ont façonné une vision du monde qui n'est pas correcte, qui représente seulement une partie de la réalité, la leur. La Renaissance n'a pas existé pour les femmes.

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