Par intéressant, j’entends une activité alternative, créative et non aliénante. L’idéal étant de pouvoir partager cette activité avec d’autres personnes, au profit d’une communauté plus large et, parallèlement, sans nuire encore davantage à l’environnement.
J’ai un nombre de critères assez élevé, je l’admets, mais puisqu’il s’agit d’une occupation qui prendra bien un tiers de mon temps, j’apprécierais grandement qu’elle puisse répondre à mes valeurs tout en sustentant mes besoins vitaux ; la possibilité de s’acheter des aliments de qualité et de s’offrir des soirées endiablées de temps en temps faisant partie des besoins ultérieurement cités, car bien que j’apprécierais vivre d’amour et d’eau fraîche – et dois-je rappeler que je n’ai ni l’un ni l’autre, ma vie amoureuse étant un désert des plus arides et l’eau qui sort de mon robinet plus calcaire que les calanques marseillaises – je serais bien incapable de croquer dans cette vie sans la possibilité de céder à ces quelques plaisirs, qui, malheureusement, vivent encore sous le joug de la sainte monnaie.
Je ne demande pas la lune ; je ne cours pas après une villa sur mer, une garde-robe dégueulant de fringues ou des voyages à en perdre la tête. Je vois l’attrait en chacune de ces choses, je ne suis pas un moine – du moins pas encore, c’est une vocation à laquelle j’ai déjà songé – mais je ne les considère pas comme des moteurs nécessaires à mon bien-être. Et par ailleurs, ma conscience écologique me réfrène souvent ce type d’envies, et le simple fait de prendre l’avion creuse une pointe de culpabilité dans mes entrailles. (Allez dire ça à Bernard Arnault, je pense qu’il se roulerait par terre d’incrédulité – voire même de mépris.)
À vrai dire, je refuse de travailler pour voyager. Je refuse d’attendre péniblement la fin de la semaine pour m’effondrer de soulagement dans le canapé le vendredi, et faire l’autruche le dimanche soir dans ce même canapé, redoutant l’arrivée du lundi matin, ce bourreau hebdomadaire qui a terrorisé des générations entières.
J’ignore si mon travail devrait être ma passion ; c’est une question ô combien débattue et je ne prétends pas avoir ni les connaissances ni la philosophie nécessaire pour y répondre. Je vois le bon et le mal dans cette possibilité, je vois l’épanouissement de faire quelque chose qu’on aime plus que tout mêlé à la lente destruction d’un hobby qui devient une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes.
J'ai conscience, encore une fois, de défoncer des portes ouvertes pour grand nombre d'entre vous, mais je suis toujours abasourdie de constater que l'on accepte encore de vivre dans un système aussi détraqué, aussi peu respectueux de notre nature et de nos besoins. On prie gentiment les gens d'aller voir un psy, de faire des thérapies et des hypnoses en tout genre – et je ne critique pas l'intérêt de la thérapie, je pense qu'on aurait toutes et tous gagné à ce que nos géniteurs aillent consulter plus tôt –, je disais donc, on somme le travailleur d'aller soigner ses névroses comme si le problème venait de lui, et non de la machine infernale du monde du travail qui ne respecte que ses pontes et le sacro-saint Capital.
Vous pourriez me rétorquer qu'il est aisé pour moi de pointer du doigt, n'étant pas encore concernée, et vous auriez raison. Mais croyez-moi, c'est justement cela qui m'inquiète. J'ai cette impression tenace d'être sur un tapis roulant qui me conduit lentement vers la guillotine et, poussée par le courant du monde, mon désir de confort et ma propre paresse, il y a tout à parier que je finisse sur l'échafaud à mon tour. A moins que je ne réussisse à trouver, d'ici là, ce travail intéressant, qui, au mieux sustentera mes idéaux anticapitalistes, ou, dans une moindre mesure, se révélera suffisamment épanouissant pour envoyer le bourreau du lundi matin se faire foutre.
Je réalise que ce billet n'est pas très optimiste, j'aimerais donc ajouter que je suis rassurée de constater que cette frénésie est en train de s’amenuiser, du moins partiellement, et que de nombreux salariés érigent plus fermement cette barrière entre vie professionnelle et vie privée. Les téléphones portables, qui ont, plus que tout, brouillé cette frontière, deviennent peu à peu les vecteurs d’une forme de révolution. Bien que j’ai un avis assez tranché sur l’usage des écrans et des réseaux sociaux – vous devinerez probablement lequel – je ne peux nier l’influence inouïe qu’ils possèdent, et je ne peux que saluer cette vague de « démission silencieuse » qui, après avoir envahi les États-Unis comme une traînée de poudre, a peu à peu gagné le territoire français.
Évidemment ce n’est qu’un début, évidemment le chemin reste immense, et pour être honnête, j’ignore même si nous aurons le temps ou la capacité de le parcourir. Mais j'aime l'idée que nos réseaux sociaux, ces monstruosités géniales qui nous déshumanisent autant qu'elles nous lient, peuvent se révéler de formidables moyens de lutte et de circulation des idées. Je les vois comme les roquets des capitalistes qui se retournent contre eux, en quelque sorte. C'est probablement utopique mais pas impossible, et à 22 ans, je préfère choisir le rang des optimistes, autrement la vie risque d'être longue – mais pas dans le sens que l'on voudrait.