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Billet de blog 12 janvier 2025

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La chair est triste hélas, mais les amitiés bienheureuses

J’ai mis presque 25 ans de ma vie à réaliser qu’à fréquenter et vouloir plaire aux hommes, je sortirai toujours perdante.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je l'admets devant vous : j’ai été une pick me1. (J’ai cet archétype en horreur et me suis longtemps répugnée à l’avouer. Je ne supportais pas les autres filles qui entraient dans cette catégorie justement parce qu’elles faisaient écho à mes propres faiblesses et me tendaient un miroir que je refusais de regarder en face.) Je me suis rapetissée devant certains hommes, me suis moulée à leur convenance (à plus ou moins d’extrémité) en espérant obtenir des faveurs en retour.

Le pire dans tout ça, c'est que je suis profondément féministe ; je l'ai affirmé très tôt, j’ai lu un million de bouquins sur le sujet, regardé d’innombrables vidéos, mes amies sont féministes elles aussi, bref, mes convictions sont solidement ancrées et sur le papier, je suis évidemment contre la domination patriarcale et tout ce qu’elle engendre (la pick me étant un pur produit de ce système).

J’ai appris à mes dépens que la validation du mâle, ce Graal que je désirais si ardemment (ce que je refusais hypocritement d’admettre – et comment me le reprocher, la dissonance cognitive avec mes propres convictions étant, vous l’imaginez, difficile à gérer), était en réalité complètement illusoire. Une consécration d’autant plus difficile à atteindre pour moi que je ne rentrais pas dans les codes hégémoniques de la féminité. (Il faut dire ce qui est, la grande majorité des hommes n’a d’intérêt que pour les femmes avec qui ils voudraient coucher. Les « exclues du marché à la bonne meuf », comme les nomme Virginie Despentes, le savent bien.)

Bref, toujours est-il qu’au fil des années, mon style s’est affirmé de plus en plus et, cheveux courts doublés de chemises Lacoste oblige, on m’a déjà taxé de lesbienne à plusieurs reprises. Un petit copain que j’ai eu lorsque j’avais 19 ans (il en avait 30, mais c’est un sujet pour une autre fois), me reprochait d’ailleurs de ne pas porter de robes ou de jupes, ce qu’il trouvait, je cite « très dommage ». Un homme en soirée, qui par ailleurs essayait de me draguer (mais chacun ses techniques, j’admets moi-même ne pas être une flèche en la matière) m’avait dit (je ne lui avais rien demandé, vous vous en doutez), que « la plupart des mecs n’aiment pas les filles avec les cheveux courts » mais, fort heureusement pour moi, « lui, il aimait bien. » Je m’en étais sentie très vexée car j’étais encore très attachée (snif) à l’idée que la validation des hommes concernant mon apparence physique était d’une importance capitale.

Plus tard, un ami sur lequel j’avais un gros faible m’avait qualifiée de « masculine », ce qui m’avait fait cogiter pendant des jours et m’avait répugnée à porter de nouveau cette chemise Lacoste que j’aimais tant. Spoiler alert, j’ai eu beau mettre des bodys plus échancrés, le gars en question n’a jamais été intéressé par moi, tout simplement parce que je ne lui plaisais pas (et ça n’a jamais été une question d’affinités vestimentaires mais simplement d’une alchimie à sens unique – sachez que nous sommes toujours très amis et que j’ai outrepassé ce crush avec succès).

Il fallait à tout prix, donc, éloigner le spectre de la lesbienne qui planait au-dessus de moi et aurait risqué de compromettre mes relations avec les hommes (qui, par ailleurs, depuis ma dernière relation 3 ans plus tôt, se sont toutes soldées par de terribles déceptions et des litres de larmes qui rempliraient deux piscines olympiques).

J’ai traversé trop de situationships pour croire encore en quelque chose mais j’essayais malgré tout de ne pas désespérer ; et à défaut de bien choisir mes combats, je peux au moins me gratifier de ne pas manquer de persévérance puisque j’ai plongé tête la première dans une relation après l’autre, bien que les signes avant-coureurs laissaient presque toujours présager que j’allais droit dans le mur. Mais les petits papillons engendrés par des histoires naissantes, aussi dysfonctionnelles soient-elles, faisaient taire les voyants d’alarmes clignotant timidement dans un coin de mon cerveau.

Il m’aura fallu deux ultimes déceptions (produites à quelques semaines d’intervalle) et l’aube d’une nouvelle année qui s’accompagne de prises de conscience adjacentes, pour réaliser que mes relations « romantiques » avec les hommes ne m’apportaient rien, ou si peu ; et que le crédit que je leur accordais n’était basé sur aucune donnée empirique (l’expérience m’ayant prouvé à maint reprises que j’y perdais plus qu’autre chose – de l’énergie, du temps, et de l’estime de moi au passage).

À vrai dire je ne suis pas tout à fait juste : bien que mes précédentes relations et la nouvelle année m’aient aiguillé, c’est l’une de mes récentes lectures qui a fini de boucler la boucle, voire a apporté un coup de projecteur final sur ces réflexions en dormance (ou du moins, à peines réveillées) qui serpentaient dans mon esprit. Cette lecture, c’est « La chair est triste, hélas », d’Ovidie, un superbe essai où elle raconte avoir cessé les relations sexuelles avec les hommes depuis 4 ans.

Ce texte m’a fait passer par tout un prisme d’émotions et a fait fleurir des bourgeons de réflexion qui sommeillaient en moi depuis des lustres, plantés par les déceptions amoureuses, d’autres lectures, conversations et expériences, mais sans jamais prendre une place suffisante pour me faire véritablement changer de perspective. Je le recommande à toutes les femmes, c’est une lecture que je trouve absolument nécessaire. Je voulais le lire depuis longtemps, et il me semble qu’il est arrivé dans mes mains à un moment charnière, où j’en avais besoin.

Ovidie y analyse ce désir si ardent qu’ont les femmes de plaire aux hommes (qu'elles en aient conscience ou non). Elle souligne le poison qu’instille la rivalité entre les femmes pour devenir la plus désirable aux yeux des hommes (vous voyez le lien avec la pick me du début ?). Et j’ai été cette femme – cette femme dont je parle au passé, mais que je serai peut-être encore malgré moi si je n’y prends pas garde.

Je me suis comparée aux autres femmes évidemment, mais pire encore, je me suis comparée à mes amies. À une amie en particulier, qui recevait (sans grand effort de sa part) un grand succès auprès de la gent masculine. Cette comparaison me faisait d'autant plus souffrir que nous étions très proches, car non seulement étais-je blessée de l’attention qu’elle recevait comparée à moi, je souffrais aussi de la culpabilité de ressentir cette jalousie informe qui, je le savais, n’était pas conforme aux valeurs que je portais en étendard (mais les émotions n’ont pas grand-chose à foutre de nos valeurs ou nos convictions, après tout, elles sont trop fougueuses pour cela).

La fille en moi qui voulait absolument être choisie crevait de ne pas l’être et se comparait à mon amie sans discontinuer, tandis que la féministe en moi tempêtait de ressentir des vices aussi mesquins et si peu en adéquation avec ce qu’elle défendait. Et enfin, l’amie en moi s’en voulait terriblement de ces émotions qui ne devraient pas se manifester dans une véritable amitié.

Cette cascade de sentiments inavoués, contrariants et contrariés ont creusé un fossé de plus en plus profond entre nous deux que je savais par ailleurs de moins en moins compenser. Je nourrissais de plus en plus de rancœur à son égard et je me détestais pour cela. D’un autre côté, je n’obtenais pas l’attention que j’espérais de la part des quelques hommes qui me plaisaient, ne faisant qu’accentuer mon mal-être et mon sentiment d’incomplétude.

Si l’essai d’Ovidie a été un véritable déclic, le chemin pour chérir à nouveau ce lien qui comptait tant à mes yeux s’est fait d’une façon plus douce et plus discrète. Mais ce fut aussi un choix précis qui entraîna un merveilleux effet domino : celui de ne plus me battre pour obtenir l’attention des hommes. De ne plus en faire une affaire d’état (non pas que je sois très vocale à ce sujet, mais cela occupait une trop grande place dans mes pensées). Et par conséquent, de fil en aiguille, abandonner cette jalousie délétère au bord de la route, puisqu’il n’y avait désormais plus rien à obtenir ou à gagner. Si je ne veux pas de cette attention, alors je n’ai que faire qu’elle en obtienne plus que moi (ou je peux m’en réjouir pour elle si cela lui fait plaisir).

L’attention des hommes est un trophée en carton, qui se dissout comme du sable à l’instant où l’on s’en saisit, et n’offre jamais qu’une satisfaction de courte durée. L’origine de cette déchirure en moi-même étant guérie, je pouvais ainsi tendre la main vers elle à nouveau, en toute sincérité, sans me sentir diminuée ou réduite par sa présence ; et c’est alors que j’ai pu retrouver tout le sel de ce qui faisait notre amitié, la beauté de nos échanges, de nos partages, l’accointance si fréquente de nos idées et de nos aspirations.

J’ai décidé d’accorder beaucoup moins d’importance à l’avis des hommes de mon entourage et je m’en trouve excessivement plus libre, dans ma manière d’être, de communiquer, et même étonnamment dans mes relations avec les hommes. C'est également ce qu'Ovidie décrit dans son essai : en envisageant les hommes uniquement sous un prisme amical, on peut alors explorer toute la richesse de ce que ces relations ont à nous offrir sur des plans plus profonds, réflexifs et créatifs. Et si je n’ai plus à me faire valoir, je n’ai plus à faire semblant ou à me recroqueviller de quelque manière que ce soit. Surtout, je n’ai plus à me prouver des choses à travers leur regard.

J’ai mis presque 25 ans à comprendre que l’on ne gagne rien à vouloir plaire aux hommes. Je me définis comme bisexuelle, et je ne me ferme pas à de futures relations avec les hommes ; j’ai simplement (enfin) percé l’illusion selon laquelle leur validation précédait la mienne.

1. Le terme pick me désigne une femme qui va tout faire pour obtenir l'approbation masculine, quitte à se mettre en compétition avec les autres femmes.

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