Lettre Ouverte à M Beschizza,
Maire d'Aulnay-sous-bois,
Monsieur le Maire,
Par où commencer ? Je vous avoue que j'en perds mes mots. Un petit tour statistique peut-être ? En France, en 2015, comme le confirme une étude très sérieuse que vous pourrez consulter en lien en bas de page, 30% des jeunes homosexuel.les ont tenté de se suicider. C'est un sujet que je connais bien, puisque, n'étant pas homosexuel, j'ai par le passé (et parfois par le présent) eu des rapports de ce genre-là. Nous pouvons donc dire que je suis bisexuel. Excusez moi de sortir de ma sphère privée publiquement (vous semblez pas ne pas apprécier ça), mais je pense que pour la suite de mon développement, il est nécessaire de le souligner.
Je me souviens parfaitement de mon adolescence, Monsieur le Maire, et du trauma qui a pu en découler. voyez-vous, le désir homosexuel ne se décide ni ne s'invente : il se découvre. Et vous voyez, dans le monde que vous défendez actuellement, j'étais sale. Dangereux. Le moindre de mes comportements affichés pouvait influencer l'ensemble des petites têtes saines de l'école, moi le mouton noir. Le moindre dérapage, dans la société violente et patriarcale que nous connaissons aujourd'hui, pouvait attirer moqueries, insultes, et mêmes coups (si, si !) de la part de mes camarades.
Arrêtons quelques instants sur un extrait d'une analyse d'une étude très sérieuse :
"Dans une étude exploratoire menée en juillet 2002 auprès de 368 personnes et publiée par le British Medical Journal, Marc Shelly avait tenté de comprendre cette forte propension au suicide des homosexuels. En analysant les résultats, il avait ainsi constaté que chez les jeunes gays, les tentatives de suicide étaient fortement associées à une dégradation de l'estime de soi : 80 % de ceux qui avaient attenté à leur vie au moins une fois avaient une opinion négative d'eux-mêmes ou évoquaient un manque de respect envers eux-mêmes ou perçu chez autrui. Marc Shelly avait alors fait l'hypothèse que cette forte "sursuicidalité" était liée à la "stigmatisation dévalorisante de l'homosexualité perçue au sein du cercle familial ou à l'école, quiproduit des effets désastreux sur la construction personnelle".
Vous parlez, dans votre intervention sur France Inter, "d'être papa avant d'être maire". Passé le fait que votre rôle de maire revient à représenter l'ensemble des hommes et femmes d'Aulnay-sous- bois (papa et non papa, homos et non-homos) et que prioriser votre sensibilité de père à celle d'élu général soit critiquable au possible, il me semble important d'attirer votre attention sur, justement, ce rôle de père : si le mien n'avait pas eu une tolérance énorme et une emphase à la discussion sur la difficulté d'être actuellement homosexuel dans les collèges de France, tout serait allé beaucoup plus mal pour moi, socialement. Mon père a été un excellent père quand il a su trouver les mots et me protéger de tout ceci. Dans le cas inverse, qu'aurait-il pu advenir d'autre que l'horreur ? C'est ce qui arrive quand on censure au lieu d'expliquer, quand on cache au lieu d'affronter, quand on fuit au lieu de se battre contre l'intolérance.
Si des dizaines de personnes (réactionnaires par définition) se sentant indignées par cette affiche essentielle à la baisse du taux de suicide chez les jeunes gays et aux nouvelles formes de contamination du VIH (qui revient en force chez ses populations là) vous ont contacté, pensez-vous que les gays adolescents qui se cachent entre les poteaux de votre collège auront le courage de vous appeler pour en faire de même ? Pensez vous que la personne qui se fera contaminer demain par un rapport non protégé au sein de votre ville demandera trois jours avant une campagne pour éviter que ceci lui arrive ?
Je commence à connaitre le "milieu", dirons-nous, et force est d'avouer qu'une énorme partie des hommes gays se veut "discrète", "non assumée", "marié donc pas de téléphone s'il vous plait". Souvent, ces hommes-là sont patrons, pères, cadres, maçons, maires peut-être, et ils ne diraient
jamais - et ont appris à cloisonner leurs sorties gays vu le monde qui les attend s'ils se font attraper - à qui que ce soit qu'ils ont des rapports homosexuels. Surtout pas à leur femme. Surtout pas à leur patron. Surtout pas... à leur père ! Il leur a appris qu'il est anormal d'avoir ce genre d'inclinaisons là. Ou pire, il ne leur en a jamais parlé. (Cf échelle de Kinsley)
J'entends avec déplaisir votre intervention visant à justifier le retrait des affiches, puisque, dites- vous expliquer à un arrêt de bus (a huit heures du matin, soulignez-vous, l'air de dire qu'à une telle heure vous ne voulez pas vous prendre la tête à éduquer vos bambins) ce qu'est un coup
d'un soir, et pourquoi deux hommes s'aiment sur l'affiche semble vomitif pour vous. Ai-je besoin de répondre à cela ? Envisagez quelques instants que l'un de vos enfants soit homosexuel, et que, privé d'affiches et privé d'une société qui l'accompagne dans son amour et lui montre que c'est normal, il vous apparaisse la réalité de ce que nous traversons aujourd'hui, bien loin de vos foyers, bien loin d'embêter vos quotidiens, vos femmes, vos amis, vos rapports ou même vos modes de vies. Nous ne demandons rien si ce n'est qu'on puisse enfin communiquer comme vous communiquez pour vendre des yaourts avec des femmes nues sans jamais trouver à y redire, nous ne demandons rien si ce n'est de pouvoir protéger et accompagner les jeunes gays de France sous des contrées plus sûres, plus vivables.
Je fais partie d'une frange des jeunes qui a décide - sans s'ultra féminiser ou manquer de respect - de se battre corps et âme contre ceci et ma faiblesse est devenue une force : j'apprends à montrer au monde ce que le silence et la censure fait à tous. Cela n'a pas été facile, et, sans la moindre prétention, quand je regarde les homosexuels autour de moi, la majorité est loin d'en être là. La plupart a honte et se cache, allant jusqu'à oublier de se protéger ou avoir des rapports à la mode sur des sites de rencontres tous plus sales les uns que les autres, puisqu'il leur est impossible d'enfin s'ouvrir au monde et de pouvoir vivre à ciel et coeur ouvert.
A cause des décisions et de postures électorales telle que la vôtre, à cause de personnes qui préfèrent cacher plutôt qu'expliquer. Ignorer plutôt que régler.
Veuillez agréer, monsieur le Maire, l'expression de mes sincères salutations.
Simurgh