Le processus d'une victoire et de sa revendication est à inscrire dans une période
Partons sur l'hypothèse que le mouvement sur les retraites actuel ne peut être mécaniquement comparé au second roud du mouvement retraites de 2019. Car le monde du travail et le tissus social global ont profondément été bouleversés par diverses réformes, l'inflation, les crises covid, les liens entres organisations militantes et l'évolution du macronisme vers sa droite la plus dure. Aussi peut-on voir des victoires sociales dans la période ?
L'amorce du mouvement en cours sur les retraites n'est peut être pas à voir au sens strict du terme début janvier 2023. Ni même lors du mouvement sur les raffineries en Octobre 2022 parfois perçu comme le "premier tour de chauffe". L'amorce est peut-être venue lors de l'été 2021 et des mois attenants où un mouvement de démissions massives ou de non-reconduction de contrat à l'initiative des salariéEs, a conduit à ébranler des secteurs entiers comme dans l’hôtellerie-restauration ou la grande distribution.
Cette situation a mise le patronat de ces secteurs sous pressions qui a tenté d'user de dénonciation calomnieuse le personnel. Qui serait soudainement devenu fainéant et qui ne voudraient pas travailler. Mais avec le risque avéré de paraître encore plus sourd et violent envers un secteur de plus en plus perçu comme étant au bord de l'épuisement côté personnel; les employeurs ont tempéré. Au risque sinon de ne plus pourvoir recruter et surtout d’accélérer l'hémorragie. L'effet numéro un, est que de manière générale on a commencé à parler largement dans la société des conditions de rythme et de travail intenable dans ces secteurs, de même que leur faible salaire et cela à quelque peu débordé sur d'autres secteurs. À une moindre échelle, certaines entreprises du secteurs ont du se résoudre à recruter selon des rémunérations et des conditions de travail plus favorables aux salariéEs. Toutes proportions gardées évidemment, car le secteur reste éprouvant.
Cela à cependant ouvert une situation où 2021 et 2022 se sont illustrées par une série de mouvements sociaux, souvent à l'échelle d'un établissements de quelques dizaines de salariéEs, ou sur quelques sites de grands groupes, là aussi à quelques dizaines de salariéEs mobiliséEs. Ponctuels, ces mouvements sociaux se sont rarement inscrit sur la durée, mais avec la question des salaires et des conditions de travail en trame de fond. Ce qui a pu marquer les esprits a été le nombre d'entreprises concernées où il n'y avait jamais eux de grèves, soit par principe des négociations (certes désavantageuses mais réelles), soit par atomisation des collectifs de travail (statuts, isolation des individuEs, contrats courts etc). Avec un triple effet d'inflation, de lassitude et l'écho de grèves locales victorieuses, une situation intéressante a été trouvée. Temporaire ou de long terme ? La question reste très ouverte à ce stade, d'autant que la séquence des retraites à mécaniquement conduit à invisibiliser ce phénomène et la coupe de salaire induite, a éventuellement reporté le déclenchement d'autres mobilisations locales. La première victoire était là, avec un premier niveau de conscientisation de la force du collectif et de la force revendicative, dans des lieux jusqu'alors globalement atomisés.
Paradoxalement ou logiquement - question de point de vue - la débouchée de ces grèves locales a été de se tourner vers les syndicats pour solliciter leurs apports et leurs appuis, voire de re(créer) des sections syndicales dans des déserts militants. La légitimité des syndicats a de ce fait eu à nouveau lieu, même si à une échelle réduite. Quelque part c'est une seconde victoire de la séquence qu'il faut conserver en mémoire et analyser pour l'éttofer ensuite.
Une autre conséquence, positive, a été de "secouer" significativement certains syndicats, leur fédérations et unions locales ou départementales sur le fossé qui s'était creusé entre les salariéEs de nombreux secteurs et la structure des syndicats, de même que leur connaissance parfois obsolète des lieux de travail et des conditions de vies. La conscientisation des problèmes ne peut pas émaner que des salariéEs ou que des syndicats, il faut forcément que cela émane des deux. On démarre de loin mais là aussi, on peut voir cela comme une petite victoire collective, très imparfaite certes, mais qu'il faut renforcer et confirmer sur la durée. Cette secousse conduit les syndicats à devoir se réadapter pour intégrer ces personnes venues de nouveaux horizons, qui sont en attente de lutte et d'outils pour ne plus subir. Une situation qui avec une réflexion de développement de cette dynamique à court et moyen termes peut faire tâche d'huile et renforcer le processus engagé. Difficile de parler d'une troisième victoire en l'état car il faudra voir si cela se confirme, notamment après la mobilisation sur les retraites de 2023.
Peut-on et doit-on revendiquer une victoire dans une situation globale défaite ?
Prenant la chose à l'envers. Doit-on laisser dans les mains du gouvernement ou de l'employeur, la revendication de certaines avancées car nous les estimons en dessous de nos espérances? au risque d'invisibiliser nos tentatives et de se muer dans une défaite totale alors qu'elle n'est que partielle, voire une amorce de victoire réelle. C'est une difficulté que rencontrent tous les mouvements. Côté des étudiantEs d'abord où les organisations syndicales (très affaiblies dans la période) ont milité ces dernières années contre la précarité et pour le repas gratuit ou à 1€. Elles n'ont obtenu que certaines formules de repas à 1€, pas pour tout le monde et temporairement. Le gouvernement l'a présenté comme sa propre idée, de manière méprisante et en sauveur, alors qu'il est le problème. Typiquement, cela aurait dû être revendiqué par le mouvement étudiant comme son initiative et une victoire intermédiaire forte porteuse d'espoir. Permettant de dire que la lutte marche et d'appeler dans la foulée à étendre les revendications et à le politiser dans l'affrontement au néolibéralisme. Côté professionnel, on peut faire le même constat à l'échelle des salaires lorsque une hausse a lieu, qu'elle soit à la hauteur des attentes ou partielle.
En bref, rappelons que nous partons de décennies de défaites et de reculs sociaux, mais qu'une telle situation ne peut s'inverser qu'à la lecture de la période, de ses difficultés, de la réactualisation permanente de nos attentes et espoir afin de créer et de capter les signaux positifs dans le brouillard. Donc sans dogmatisme puéril, sachons revendiquer une victoire. Cela donne de l'énergie, un cap et ça affaibli le camp d'en face, dans sa volonté, voire sa capacité de continuer à nous écraser. Ce n'est pas négligeable du tout.
La lutte actuelle contre la contre-réforme des retraites ?
Elle est en cours encore aujourd'hui rappelons-le. Aussi un bilan serait à minima biaisé voire une faute majeure. Un bilan intermédiaire en revanche permet sans l'analyser en profondeur, de maintenir la dynamique et de dégager quelques perspectives. Aussi, à ce stade la réforme et là et elle sera effective d'ici quelques mois, autant dire qu'au sens strict, on n'a pas gagné. Au sens de la dynamique, quatre piliers pour la suite ont une importance majeure. Le premier est évidemment le front syndical toujours uni, le second est un gouvernement qui a perdu en légitimité et en capacité d'action pour la suite du quinquennat, le troisième est qu'un nombre de personnes important a trouvé une expérience militante au travers de ce mouvement et enfin le troisième est un afflux d'adhésion syndical pas vu depuis de longues années. Si ces quatre éléments se maintiennent et se renforcent, il se peut que de prochains mouvements locaux ou globaux aboutissent sensiblement. On a la un niveau de victoires combinées au sens de notre classe sociale pas vu depuis longtemps. En particulier, si le front syndical actuellement défensif, se transforme en front offensif avec son propre agenda, des effectifs et expériences supplémentaires et donc avec la capacité d'initiative. Aussi dans une telle situation il n'est pas incertain que des espaces d'auto-organisations en nombre se créent pour faire vivre la mobilisation en complément ou en périphérie des initiatives syndicales au sens strict du terme. C'est un élément central qui manque dans la lutte actuelle.
Du côté des syndicats, une série de "défis" sont devant eux. Il va tout d'abord falloir réussir à pérenniser les adhésions actuelles pour qu'elles aient un lendemain. C'est-à-dire qu'il va falloir faire évoluer les outils militants (et notamment la formation théorique et pratique) en direction de ces personnes, ce qui demande de faire re(vivre) les unions locales. Il va aussi falloir être en capacité d'indiquer aux nouvelles et nouveaux que le syndicat est un cadre collectif et donc qu'il faut faire ensemble, c'est une des difficulté du mouvement où beaucoup y ont participé de leur côté sans rejoindre un cortège, sans créer du lien. Il va falloir penser à avoir des stands bien visible en manifestation pour informer sur la lutte en cours, sur ce qu'est le syndicalisme, sur comment adhérer et pourquoi.
Maintenant il va falloir se pencher de près sur les grands combats du XXIe siècles, longtemps inexistants ou restés à la marge de l'activité et de la pensée syndicale.
MeToo a eu lieu, le progrès social pour les oppriméEs pas encore
Ces derniers mois, de nombreuses organisations syndicales ou politiques ont connu des ratés voire sont lourdement fautives sur la manière de traiter positivement les questions féministes et notamment de régir face aux violences sexuelles dans la société et en particulier dans leurs rangs. On pense évidemment à Benjamin Amar à la CGT ou Adrien Quatennens à la FI. À l'époque des grands reculs sociaux qui touchent avant tout les femmes et les enfants et où MeToo a du mal à avoir des conséquences positives dans les organisations du mouvement social, il y a urgence. La formation des militantEs quel que soit leur type d'organisation ou leur ancienneté dans celle-ci, doit être permanente. L'action revendicative centrée sur ces questions en est l'autre pilier. La grève féministe du 8 mars de cette année combinée à la lutte sur les retraites est un exemple majeur où puiser et développer des initiatives en ce sens.
L'écologie, l'urgence, l'urgence, l'urgence
Pas habitué au militantisme écologique, les syndicats ont pour certains été hostiles à prendre leur part dans ces combats. Les choses bougent positivement dernièrement, mais à tout petit pas. Les partis politiques, notamment ceux prônant l'écosocialisme et une approche radicale, portent des choses nécessaires mais ont de faibles capacités d'actions dans la période. Quant aux associations centrées sur l'écologie, elles ne bénéficient pas souvent de vision d'ensemble ni de la lecture des combats sociaux sur une base d'affrontement direct avec le patronat, tel qu'il peut se décliner dans l'entreprise. Entreprises qui pourtant sont à la base de la production de type productivisme qui ravage notre planète. Enfin les partis et organisations politiques, certains du moins de la gauche illibérale voire radicale (FI, NPA, UCL, GES) peuvent apporter une vision d'ensemble de changement de société mais manquent souvent d'initiatives sur ces sujets. De manière générale on a donc un retard extrême sur l'écologie dans les luttes et dans la culture populaire. Cela doit commencer cet été avec des luttes autour de la sécheresse et de la canicule. Luttes qui ont cruellement manqué l'été dernier malgré le traumatisme écologique que nous avons subi. Cela doit se passer dans l'action dans l'espace public, les entreprises ou les services. Mais aussi en ouvrant des espaces de discussions dans et entre ces différents collectifs et organisations pour échanger, faire des bilans de la période en cours, élaborer une stratégie commune d’interactions dans l'action, voire de campagne commune.
Aussi tirer des bilans et perspectives de la période permet d'élargir nos espoirs et capacités à venir. Ce qui évite au passage de na pas tomber dans une posture de "victoire c'est génial" ou de "défaite c'est la mort". Nos victoires sont nos espoirs, nos espoirs sont nos victoires.