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Billet de blog 14 avril 2022

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« Le mot supercherie est très bien choisi. » Interview avec l’auteur Valentin Gendrot

Programmée dans le cadre du festival littéraire Hors limites en Seine-Saint-Denis à la bibliothèque Denis-Diderot de Bondy, nous avons rencontré Valentin Gendrot, l’auteur de Flic (La Goutte d’Or, 2020), afin qu'il nous parle de son roman.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« Jusqu’à présent, aucun journaliste ne s’était lancé un tel défi : infiltrer la police.

Valentin Gendrot, adepte des reportages en immersion, a osé. Il a suivi une formation express avant d’intégrer un commissariat durant six mois. Celui du 19e arrondissement de Paris, un secteur réputé sensible. Une arme à la ceinture, le journaliste sous couverture rejoint une brigade dont certains membres tutoient, insultent et distribuent régulièrement des coups à des jeunes hommes noirs, d’origine arbe ou migrants qu’ils surnomment “les bâtards".

Ce livre dévoile les coulisses d’une profession souvent accusée de violences, de racisme et au taux de suicide anormalement élevé. Un récit urgent, tant pour les victimes des violences policières que pour les policiers eux-mêmes. »  

Illustration 1
Valentin Gendrot, Flic, La Goutte d'Or, 2020

Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous orienter vers l’infiltration ?

Entre 2009 et 2011, je suis en école de journalisme à Bordeaux. Florence Aubenas, grande reporter monde, publie “Le Quai de Ouistreham”, récit d’une infiltration de six mois dans les ferrys de Ouistreham, où elle a été femme de ménage. C’est là que je découvre le concept même de l’infiltration et le procédé me plait. Je lis d’autres auteurs comme Günter Wallraff qui publie Tête de turc au début des années 80 en Allemagne, ou encore John Howard Griffin avec son bouquin Dans la peau d’un noir, l’histoire d’un médecin blanc qui avait pris des médicaments pour devenir noir. Il racontait le racisme dans les Etats du sud des Etats-Unis. Il y a aussi Nellie Bly qui faisait la première infiltration journalistique à la fin du 19ème siècle, où elle se fait passer pour une folle. Je découvre cela en 2010-2011. En sortant de l'école de journalisme, je comprends que cette pratique journalistique m’intéresse vraiment et que je veux m’y lancer.

Mais, en étant diplômé d’une école de journalisme, nous n’avons pas d’expérience sur le terrain alors j’ai travaillé en presse locale à Ouest France pendant vingt mois. Là-bas, nous faisions des visites d’entreprises pour une chronique le lundi matin. Pour moi, c’était plus de la communication que du journalisme. Je fais une grande différence entre les deux. Nous y faisions des interviews de salariés sur le fonctionnement de l’entreprise. Cependant, elles se faisaient devant le patron. Il y avait donc un regard biaisé car ils n’étaient pas libres de dire ce qu’ils voulaient. Ils avaient leurs noms, prénoms et visages pris en photo et publiés dans le journal. J’ai voulu raconter leurs conditions de travail. En 2014, je commence les infiltrations de cette manière. 

Au début du livre, un de vos collègues parle d’un documentaire dans lequel vous apparaissez, votre première pige à la télé. Il vous fait la remarque et vous accuse d'être journaliste infiltré. Par chance, vous arrivez à vous en sortir. 

De plus, à la fin du livre, nous pouvons lire : “ — Toi, avec tes lunettes, je suis sûr que c’est comme dans Patron Incognito. En vrai, t’es un commissaire et tu viens voir comment ça se passe. Et dans trois, quatre mois, tu décideras si j’ai ma mut’. Ou si je suis viré. 

S’il savait” 

Pourquoi avoir montrer votre visage suite à l’édition du livre ? À force de faire des infiltrations à visage découvert, n’avez-vous pas peur que la prochaine échoue, surtout après le succès de ce dernier ?

Pour avoir une autre infiltration, il faudra avoir l’envie d’en faire une. Pour l’instant ce n’est pas le cas. Je travaille actuellement sur d’autres livres mais il n’y en a pas. 

J’ai montré mon visage dans le cadre de cette investigation car au début de l’année 2017, je fais une infiltration au Lidl, période durant laquelle je ne sais pas encore que je vais en faire une dans la police six mois plus tard. 

La réalisatrice me demande de me filmer face caméra pour habiller les images montrées, car ce sont des images de caméras cachées. J’accepte et je visionne le documentaire un mois avant l’infiltration prévue en septembre 2017 le documentaire me plaît et à ce moment-là je sais que je vais devenir policier. Je prends un risque mais je m’étais engagé pour ces images et je ne pouvais pas leur faire refaire un mois avant sa diffusion.

Vous êtes affecté au départ dans l'infirmerie  psychiatrique, vous êtes très déçu et pensez même à renoncer à l'infiltration. Vous dites “Mais que ferai-je de mes trois mois de formation à l’école de flic ? Vendre un article sur la formation des policiers ? Pffff… quelle journée de merde”. Avant votre infiltration, est-ce prévu d’en faire un livre ?

Oui c’était prévu. J’avais l’idée d’y rester neuf mois avec trois mois dans l’école (passage le plus court) et ensuite d'arriver directement dans un commissariat de Paris et y rester six mois. C’est un temps suffisamment court pour ne pas devenir marteau et suffisamment long pour voir tout. Malheureusement, ça ne s’est pas passé comme prévu car je n’avais pas pris en compte que nous ne choisissions pas les affectations. Je suis donc resté quinze mois à l’infirmerie psychiatrique (I3P). J’y ai attendu quinze mois et en même temps il y avait également les problèmes de santé de mon père et son décès. C’était devenu un emploi alimentaire qui m’a complètement fait sortir de l’infiltration car mon père ne va pas bien. C’était un moment qui me permettait d’être présent pour mes proches mais aussi de faire mon deuil tranquillement.

Mon premier jour, on me dit que je vais y rester un an mais j’y suis resté quinze mois puis j’ai demandé ma mutation dans un commissariat où je suis resté six mois. 

La période dans l’infirmerie psychiatrique n’est pas trop décrite dans le roman. Est-ce parce qu’il ne s’est rien passé de vraiment “choquant” durant cette période ou alors car vous vouliez vous concentrer sur la réalité dans les commissariats ?

Le sujet de l’infiltration est la police, et non la psychiatrie. Nous ne pouvons pas faire les deux sinon cela aurait posé un problème d’angle dans le livre. 

Nous en parlons mais beaucoup moins que le reste car cela est moins important. Cependant, la psychiatrie est le sujet du prochain livre. 

Quelles hypothèses avez-vous eu se sont révélées être fausses ? Et à contrario, lesquelles se sont révélées vraies ?

J’ai grandi dans une famille où les policiers ne sont pas très appréciés. De manière générale, dans la société française, les policiers, nous les aimons ou nous les détestons. 

Le flic est raciste, violent, alcoolique, ce sont les préjugés. 

Dans ces préjugés, certains se sont vite révélés être vrai, notamment le côté alcoolique. Il n’y a pas d’alcool dans les commissariats, c’est interdit et je n’en ai jamais vu. 

Les policiers sont racistes, certains mais pas tous. Loin de là.

Les policiers sont violents, certains mais pas tous. Loin de là.

J’ai plutôt été déstabilisé sur les conditions de travail. C’est un métier affreux dans le sens où tout ce que nous touchons est en lien direct ou non avec de la misère sociale. Ce sont toujours des moments négatifs car les gens viennent nous voir lorsqu’ils ont été volés, agressés. Lors de la patrouille sur le terrain, chez ces personnes, c’est qu’il leur est arrivé quelque chose de mauvais. 

Au bout d’un moment, vous ne voyez que les choses négatives et anxiogènes de la société française et je l’ai vécu directement. Dire simplement que les policiers sont racistes, violents, etc, est faux. C’est beaucoup plus compliqué et nuancé que ça.

Ils sont représentants de l'État et au service des citoyens, ce qui pose la question de la reconnaissance, des conditions de travail, du suicide chez les policiers. C’est le deuxième métier en France où il y a le plus de personnes qui se suicident chaque année. Toutes ces questions, je les ai vécues et cela m’a chamboulé dans mes certitudes.

Aujourd'hui, lorsque je croise des policiers, ils sont devant le commissariat, je les plains car ils ne font pas un boulot facile. Chose que je ne me disais pas avant car j’ai grandi dans une famille où il y a surtout une méconnaissance du métier. 

À la fin du livre, nous pouvons lire : “J’ai honte. Pourtant, je reste impassible. C’est l’intervention de trop. J’aurais dû me barrer avant, il faut que j’arrête. Il est temps que cette immersion se termine, que je raconte toutes ces dérives, que le livre sorte, temps de passer à la suite. Je n’en peux plus d’observer cette violence et, pire, d’y participer.” 

Avez-vous déjà eu des regrets d’avoir infiltré la police ? Y a-t-il des choses que vous n’auriez voulu ne pas voir, ne pas vivre ou ne pas savoir ?

Je ne regrette rien. Nous ne choisissons pas ce qui se passe. Nous prenons les choses comme elles viennent. L’histoire du faux témoignage, des violences policières, je ne les ai jamais provoquées. Je les subis totalement. 

Comment ont réagi vos collègues lorsqu’ils ont découvert la "supercherie" ?

Le mot supercherie est très bien choisi.

Le jour de la publication du roman, j’ai reçu un message d’un ancien collègue, policier contractuel comme moi, il me dit "je viens d’apprendre la nouvelle, je suis choqué.”

C’est le seul message d’ancien collègue que j’ai reçu. Je ne sais pas ce qu’en ont pensé les autres. 

Etes-vous resté en bons termes avec certains ?

Je suis parti rapidement du commissariat, j’ai affronté leurs regards car certains ne comprenaient pas pourquoi je partais. Le jour de mon départ, je n’ai pas fait de pot de départ. Je n’ai surtout rien dit. Dans des infiltrations précédentes, j’ai pu le dire à des gens avec qui je m’entendais très bien, ici la question ne s’est pas posée car nous sommes dans quelque chose de corporatif. Je ne pouvais pas maîtriser leurs réactions. Je me suis donc abstenu de quoi que ce soit. 

Les relations se sont interrompues à ce moment-là. Je n’ai plus envoyé de messages à mes collègues, et inversement. 

Le livre a-t-il posé problème ? Des policiers s’en sont-ils pris à vous suite à la publication ?

J’ai reçu des messages d’insultes mais aussi des messages de félicitations de policiers, d’encouragements. J’ai reçu autant de messages négatifs que positifs. 

Certaines personnes n’acceptent pas la critique de l’institution. 

Mais je n’ai pas reçu de menaces. 

Vous avez publié une bande dessinée sur l’après de la publication du livre, pourquoi ce choix ?

Cela permet de prolonger l’histoire. Il y a la convocation et mon audition à l'IGPN un mois après la publication. C’est un fil narratif intéressant car cela permet de revenir sur des faits passés durant l’infiltration.

Cela permet également de toucher un autre lectorat n’aimant pas le format du roman. 

Elle raconte la même histoire mais avec le fil rouge de l’IGPN.

Lors du festival Hors Limites, vous intervenez durant une rencontre scolaire. Comment avez-vous préparé cette rencontre ? De quoi avez-vous prévu de parler ?

Je n’aime pas quand une personne parle et que les autres écoutent. Il faut de l’échange.

Je me prépare en acceptant de recevoir toutes les questions possibles et imaginables. J’espère qu’il y aura un dialogue fluide et qu’on pourra déconstruire cette image que l’on peut avoir de la police. 

Il y a toujours une part d’inconnu. Il faut toujours montrer d’un côté les violences policières et de l’autre la réalité de ce métier. J’espère donc qu’on ne parlera pas que des violences.

Certains présidents disent qu’elles n’existent pas et je ne le comprends pas. Il faut aussi dire que c'est un métier difficile, mal payé, qu’ils quittent leur région d’origine pour arriver en Ile-de-France. Ils arrivent sur un territoire qu’ils ne connaissent pas, avec une méconnaissance du fonctionnement de cette région. 

Ce sont aussi des données à prendre en compte et j’espère pouvoir en parler. 

Illustration 2
Valentin Gendrot © Goutte d'or

Valentin Gendrot est journaliste indépendant. Depuis 2014, il s'est spécialisé dans l'infiltration. Il a écrit sous pseudonyme le livre Les Enchaînés (Arènes, 2017), un an avec des travailleurs précaires et sous-payés.


Livres évoqués :  

Valentin Gendrot, Flic, La Goutte d'Or, 2020

Thierry Chavant & Valentin Gendrot, Flic - l'histoire vraie du journaliste qui a infiltré la police, La Goutte d'Or, 2021

Günter Wallraff, Tête de turc, La Découverte, 1986

John Howard Griffin, Dans la peau d'un noir, Folio, 1976


Entretien réalisé en avril par Élodie Picard dans le cadre du festival Hors Limites.

Rencontre scolaire avec Valentin Gendrot le jeudi 14 avril à 14h à la bibliothèque Denis-Diderot de Bondy, ouverte au public.

Plus d’informations sur l’événement : Hors Limites

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