Bibliothèques93 (avatar)

Bibliothèques93

Association

Abonné·e de Mediapart

11 Billets

0 Édition

Billet de blog 22 avril 2022

Bibliothèques93 (avatar)

Bibliothèques93

Association

Abonné·e de Mediapart

« Je suis une amoureuse de l’amour. » Rencontre avec Maud Ventura

La rencontre avec Maud Ventura a eu lieu le samedi 9 avril à 19h à la bibliothèque Robert-Desnos de Montreuil.

Bibliothèques93 (avatar)

Bibliothèques93

Association

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Maud Ventura a vingt-huit ans et vit à Paris. Normalienne et diplômée d’HEC, elle rejoint France Inter juste après ses études. Elle est aujourd’hui rédactrice en chef des podcasts dans un grand groupe de radios, NRJ. Elle ne cesse d’explorer la complexité du sentiment amoureux dans son podcast « Lalala » et dans son premier roman Mon mari.

Le podcast aborde le thème de la passion qui anime, thème de sa vie selon l’autrice.

Elle se demande pourquoi tombons-nous amoureux ? Pourquoi cette personne ?

Illustration 1
Maud Ventura © Celine Nieszawer Leextra L'Iconoclaste

“Lorsqu’on parle de l’amour, ce n’est pas que les fleurs bleues, ont réfléchi également à la société, à l’égalité entre les hommes et les femmes. On parle de sociologie et d'éducation quand il y a des enfants. On parle même de neuroscience. Que se passe-t-il dans le corps et pourquoi on ressent ça ?”

Dans mon mari, l’amour peut être vu comme une sorte d’asservissement. Elle explique que l’amour n’est pas forcément une aliénation comme pouvant être comprise dans son livre. “Je pense que l’amour peut se donner à égalité. C’est un lieu bâti sur la confiance avec un sentiment de bonheur à deux. En revanche, dans le livre, il s’agit d’amour passionnel accompagné d’une insécurité permanente. Cela renvoie au moment où l’on tombe amoureux, quand on attend désespérément un message de l’autre, à se remettre constamment en question et à tout interpréter. Tout notre monde tourne autour d’une seule personne. Nous pouvons faire des choses absurdes par amour ou du moins par passion. Il s'agit plutôt d’une obsession.”

L'héroïne associe un jour à une couleur et à une émotion. Par exemple, le lundi est bleu et est le jour de l’équilibre. L’autrice explique que son personnage est obsessionnel.

“Le roman est construit sur une semaine. Un jour représente un chapitre avec une couleur. C’est quelque chose que je prête à mon personnage par la focalisation interne. C’est une femme qui analyse tout. Cela m’a permis de colorer chaque chapitre. L’inconvénient de la semaine est le côté répétitif, la couleur permet une atmosphère différente. Comme-si chaque jour était tourné par un réalisateur différent. La question des couleurs est révélée à la fin du roman, c’est un roman à clé.”

Les personnages principaux, le mari, la femme et les enfants ne sont pas nommés. Tous les autres personnages ont un prénom, comme la babysitter nommée Zoé, en référence au prénom de la meilleure amie de l’autrice. 

Maud Ventura explique que le fait de ne pas donner de prénom à ces personnages permet de les rendre universels et intemporels. "Je me rends bien compte que si je l'appelais Sylvie, ce n'est pas la même chose que si je l’appelais Chloé. Ce n’est pas la même époque ni la même histoire. On voit d’ailleurs à la couverture une atmosphère des années 50. Dans le roman, le personnage à un smartphone donc on se doute bien qu’il s’agit du 21ème siècle. Cependant, nous n’avons pas de lieu, pas d’années et pas de prénom. Je voulais me rapprocher de la fable. Le roman peut se passer il y a 50 ans ou dans 50 ans.”

“Pour le mari et la femme, ils ont un prénom que je n’ai pas donné. Il y a des indices dans le roman qui permettent de les deviner. Tous les prénoms des personnages secondaires sont les noms de mes proches.”

La romancière explique avoir eu entre 3 et 4 ans pour écrire le roman, durant ses études.

Le personnage possède plusieurs carnets dont un de punition. Par exemple, si son mari ne lui a pas tenu la main durant un film regardé ensemble, elle ne lui répondra pas immédiatement au téléphone ou fera semblant de ne pas l’entendre. 

“Tout est parti d'un sentiment réel mais exagéré pour en faire quelque chose de romanesque. Je n’ai pas de carnet de punition dans la vraie vie. Cependant, le couple est parfois un champ de bataille où l’on s’envoie des choses à la figure et on le fait payer. Il y a des rancœurs qui peuvent durer. Le carnet permet de montrer cela. Je me suis inspirée du système pénal moderne. Dans la justice, un délit correspond à une peine. J’ai voulu appliquer cette notion au couple avec un système de proportionnalité.”

Illustration 2

La condition sociale de l’héroïne revient dans le livre comme pour prouver sa légitimité. “C’était important pour moi de parler de condition sociale dans l’amour car ça manque parfois dans ce genre de roman. C’est un élément central dans la relation amoureuse. Ce personnage manque énormément de confiance en elle. C’est une femme psychopathe mais très fragile. Derrière cela, il y avait un décalage, elle évolue dans un milieu qui n’est pas le sien. Elle raconte la première rencontre avec ses beaux-parents et n’a pas les codes. Elle achète donc un livre sur les bonnes manières et en a pris des notes ce qui prouve son manque de confiance.”

“Son rapport aux autres femmes est très compliqué. Elle n’a pas d’amis, ni homme, ni femme. Elle est seule et se sent en concurrence. Le point de départ du roman est l’histoire d’une femme beaucoup trop amoureuse et son monde tourne autour de son mari. Je me suis posé plein de questions dont celle des enfants. Quel genre de mère est-on si toute notre vie tourne autour de notre mari ? Quel genre de vie professionnelle a-t-on ? Pour elle, l’amitié n’est pas importante par rapport à l’amour.”

“Je voulais que mon personnage ait autre chose que son mari. Elle a deux enfants, un super métier, des proches, fait du sport. Elle pourrait ne pas vivre que pour lui. Je me suis demandé quel genre de mère on peut être lorsqu’on est une amoureuse de l’amour comme moi. J’ai rencontré une amie avec qui j’ai parlé de ce sujet. Elle m’a expliqué que ses parents étaient beaucoup trop occupés à être amoureux pour s’occuper d’elle et de son frère. Son père avait trompé sa mère et a voué tout son temps à reconquérir sa mère. Elle parlait de citadelle à défendre avec les enfants mis de côté.”

Le livre met en avant les contradictions de son personnage. Elle tombe amoureuse de son mari mais le trompe. “Ce livre a suscité de nombreuses réactions complètement opposées. On m’a dit que le livre est très drôle, qu’elle est folle et que personne n’est comme ça dans la vraie vie. A contrario, des femmes s’y sont reconnues et disent même que le livre est en dessous de la réalité. Une femme m’a expliqué avoir fait du maquillage permanent pour que son mari ne la voit jamais démaquillée.”

Le roman est décrit par des lecteurs comme profondément féministe. “Le livre n’est pas un essai, il n’a pas de sources et n’est pas documenté. Je trouve qu’il y a une contradiction dans le féminisme avec l’idée d’être libre et indépendante mais attachée à l’amour et trouver un mari. Des amies très impliquées dans le féminisme faisaient des collages puis allaient boire un verre mais parlaient directement de leurs mecs.”

“J’ai appris à aimer avec les princesses Disney et des séries où la fille tombe toujours amoureuse du méchant. J’ai eu beaucoup d’amies à HEC qui ont renoncé à leur carrière pour suivre leur mari. Je vois bien qui arrête sa carrière, qui suit l’autre et qu’elles attendent désespérément une demande en mariage.”

La rencontre s’est terminée avec des questions du public sur le roman. Elle a, dans cette seconde partie, expliquée que c’est un premier roman écrit pour l’amour de l’art. L’idée de la construction du roman par les jours de la semaine lui a été inspirée à la suite d’une exposition au Palais de Tokyo. 

Son deuxième roman donnera plus d’ambitions à la femme, avec plus de personnages et de jours de la semaine accompagné d’un narrateur omniscient. 

Le titre représente en lui-même la possession de l’autre. “Le livre ne représente pas l’amour car dans la réalité, on baisse les armes, il n’y a pas de rapport de force avec l’autre et on donne à égalité.”

Illustration 3
Maud Ventura, Mon mari, L’Iconoclaste, 2021

« C’est une femme toujours amoureuse de son mari après quinze ans de vie commune. Ils forment un parfait couple de quadragénaires : deux enfants, une grande maison, la réussite sociale. Mais sous cet apparent bonheur conjugal, elle nourrit une passion exclusive à son égard. Cette beauté froide est le feu sous la glace. Lui semble se satisfaire d’une relation apaisée : ses baisers sont rapides, et le corps nu de sa femme ne l’émeut plus. Pour se prouver que son mari ne l’aime plus – ou pas assez – cette épouse se met à épier chacun de ses gestes comme autant de signes de désamour. Du lundi au dimanche, elle note méthodiquement ses « fautes », les peines à lui infliger, les pièges à lui tendre, elle le trompe pour le tester. Face aux autres femmes qui lui semblent toujours plus belles, il lui faut être la plus soignée, la plus parfaite, la plus désirable.

On rit, on s’effraie, on se projette et l’on ne sait sur quoi va déboucher ce face-à-face conjugal tant la tension monte à chaque page. Un premier roman extrêmement original et dérangeant. »


Livres évoqués :  

Maud Ventura, Mon mari, L’Iconoclaste, 2021

Article rédigé par Elodie Picard dans le cadre du festival Hors Limites.

Plus d’informations sur l’événement : Hors Limites

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.