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Billet de blog 25 décembre 2024

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Sur youtube, Guillaume Pley déroule le tapis rouge à Nicolas Sarkozy

En novembre, l’ex-président de la République a donné une interview à la chaine Legend. Un entretien pendant lequel on a surtout parlé de Carla et des enfants mais, à aucun moment, des affaires judiciaires.

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« Un ex-président en quête de sympathie ». Guillaume Pley, animateur de la chaîne youtube Legend, aurait pu titrer son émission ainsi. Le 17 novembre dernier, le présentateur reçoit Nicolas Sarkozy. L’émission va faire un carton, c’est sûr ! L’ancien président, bien qu’empêtré dans de multiples affaires judiciaires (Bettencourt, Bygmalion, Kadhafi) attire la curiosité. Son sens de la punchline fait souvent mouche et permet de nourrir les « shorts », ces petites séquences vidéo d’une minute maximum qu’on picore à volonté. 


D’emblée, on comprend qu’aucune question gênante ne sera posée à l’ex-président de la République. Au début de l’entretien, le présentateur semble pourtant poser une condition. « Si vous voulez, on peut aborder tous les sujets, ça vous va ? » , expose-t-il à son invité. Le manque de distance prise par Guillaume Pley se perçoit pourtant dès le moment où, sans raison aucune, il se met à rire aux petites phrases de son invité. Même quand celles-ci n’ont rien de drôle. 

Ne pas titiller l'invité


Alors qu’à la date de publication de la vidéo, la Cour de cassation n’a pas encore rendu son verdict dans l’affaire dite « des écoutes », le présentateur ne prend pas la peine de lui demander, même amicalement, son point de vue sur l’affaire. Elle est pourtant d’une importance capitale. Le 18 décembre, Nicolas Sarkozy verra son pourvoi rejeté et sa peine de trois ans de prison dont un an ferme à effectuer sous bracelet électronique confirmée. Jamais un président de la République n’avait écopé d’une telle peine. Le sujet méritait au moins une petite question. 


Le 6 janvier, Nicolas Sarkozy comparaîtra devant le tribunal correctionnel de Paris dans une autre affaire. Celle du présumé financement libyen de sa campagne électorale de 2007. Pensez-vous que Guillaume Pley ait évoqué le sujet avec l’ancien président ? Bien sûr que non ! D’ailleurs ce ne semble pas être l’objectif du présentateur de vouloir titiller ses invités quand bien même ils ont été inquiétés par la justice. 
Christophe Rocancourt, maintes fois condamnés dans des affaires d’escroqueries, peut dérouler son argumentaire tranquillement et pourquoi pas, « inspirer » d’autres personnes. L’homme est charismatique et son « contradicteur » est sous le charme. Il éclate même de rire quand l’escroc lui dévoile ses relations avec des hommes politiques haut placés. Une situation qui aurait, à coups sûr, suscité plusieurs relances de la part de journalistes de profession.

Des interviews sans "pièges"


« Dans un monde un peu toxique, j’essaie de faire des interviews où il n’y a pas de pièges », se justifie Guillaume Pley invité de l’émission de Pascal Praud sur Europe 1, le 21 novembre dernier. Réponse du présentateur : « C’est ce que vous lui dites (à Nicolas Sarkozy, ndlr) : « vous êtes très inspirant »… C’est vrai qu’il y a un côté où on l’écoute (toujours Nicolas Sarkozy, ndlr) et on a envie de partir au combat. » Et si c’était ça, au fond, la méthode Guillaume Pley ? Mettre à l’aise (avec talent, avouons-le) l’invité pour qu’il se dévoile (un peu), utiliser les réseaux sociaux à la perfection pour booster les audiences et taper dans l’œil des communicants ? Ces derniers ayant tout intérêt à ce que leurs clients dévoilent leur côté sympa pour toucher le cœur du public et, ainsi, vendre plus facilement leur produit ? Le modèle Quotidien ou C à Vous (où l’on ne critiquera jamais le film ou le livre pour lequel l’invité est là) mais appliqué au format internet qui laisse davantage le temps d’entrer dans l’intimité de la personne ?

 
Nicolas Sarkozy s’apprête à affronter une tempête médiatique et judiciaire. Ce type d’émission a le pouvoir de le rendre cool. L’auteur de ces lignes, loin d’être un admirateur de l’ancien locataire de l’Elysée, a pu trouver sympathique son récit sur l’éducation des enfants. Il a aussi pu avoir de l’admiration face au courage dont il a fait preuve lorsque, maire de Neuilly-sur-Seine, il a négocié lui-même avec un ravisseur, retranché dans une école, qui avait pris en otage une vingtaine d’enfants (1). Il y a donc un intérêt évident à voir son client sur ce type d’émission pour un communicant. On peut même raisonnablement penser que Véronique Waché, communicante de Nicolas Sarkozy, a elle-même sollicité Guillaume Pley pour obtenir l’interview afin de redorer le blason de l’ex. En juillet, Médiapart révélait les textos échangés entre de grands noms de la rédaction de BFM TV (Ruth Elkrief, Marc-Olivier Fogiel, Bruno Jeudy…) qui montrait clairement une opération de communication bien ficelée derrière l’interview accordée par Nicolas Sarkozy à Ruth Elkrief, le 13 novembre 2020. Un entretien qui intervient juste après la fausse rétractation d’un témoin clé dans l’affaire libyenne, Ziad Takieddine.

« Essayez d’être rare, c’est très important, dit encore l’ex-président à Guillaume Pley qui s’étonne de le voir si peu en interview. Je pense que ce n’est pas le média qui fait la parole, mais la parole qui fait le média. » Dans ce cas, le média sert surtout à Nicolas Sarkozy de canal de promotion pour son livre, Le Temps des combats paru chez Fayard à l’été 2023. Une somme de 600 pages tout de même.
(1) Le vrai rôle de l’ex-président dans cette affaire est contesté par plusieurs personnes, mais ce n’est pas le sujet.

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