Les consommateurs et consommatrices cubains, si tant est que le terme puisse coller à la réalité locale, ont tout d’abord à leur disposition des petits marchés d’État où ils trouveront trois patates douces, un concombre flétri, mais surtout des étalages vides, et des bodegas, toujours d’État, dans lesquelles leur livret d’approvisionnement leur permettra d’acquérir un peu de riz, de sucre ou des cigarettes, dans la limite d’une fois par mois et en quantité ridicule au regard de leurs nécessités mensuelles. A leur création, le livret et les bodegas garantissaient aux familles l’ensemble des denrées de base à des prix en adéquation avec les salaires, mais ce système, typiquement révolutionnaire, s’est peu à peu effondré.
La population doit donc, pour trouver à manger, se rendre dans les MIPYMES, petites entreprises privées autorisées depuis quelques années. Celles-ci proposent des produits de base tels que pâtes, huile, haricots noirs, café, produits ménagers, avec de la chance, des œufs ou de la viande congelée, mais tous beaucoup trop chers. Ces denrées provenant pour une grande part de l’importation, leurs prix se rapprochent de ceux pratiqués dans le monde extérieur. Ils sont indécents comparés aux salaires désormais symboliques de la majorité, qui ne servent plus qu’à maquiller l’incapacité de l’État à payer les travailleurs. La plupart des familles se conteront ainsi de l’acquisition d’une bouteille d’huile, de riz pour compléter celui de la bodega, et de pain par exemple, leur budget n’autorisant pas mieux.
A titre anecdotique, précisons que les MYPIMES proposent tout de même abondance de bières de marques différentes, produit facile à acheter et à revendre (allez savoir pourquoi), assurant des bénéfices au commerçant et permettant à la population d’oublier, le temps d’une cannette, ses difficultés d’approvisionnement.
Pour manger, on pourra également acheter les avocats ou les goyaves de Maria, sa voisine de gauche, qui vend sans permis les produits de son jardin, ou encore écouter Emilio, son voisin de droite, qui nous informera du trafic illégal de poulet que Susana vient d’ouvrir trois rues derrière. Il paraît, dit-on, qu’elle en a quelques paquets dans son congélateur. Personne ne se posera les questions incongrues de la provenance de tous ces aliments et du contrôle sanitaire, le problème étant déjà assez compliqué comme ça. Si, parmi tous ces lieux, se présente un produit intéressant, tel que du pain à prix acceptable par exemple, les clients devront se lever tôt pour faire une interminable queue, car la nouvelle s’est déjà répandue dans tout le quartier.
Le temps constitue d’ailleurs un aspect majeur du problème. Trouver à manger prend un temps fou. Il faut par exemple se rendre au kiosque de la rue principale pour trouver des poivrons, au parc, car un tracteur venu de la campagne y propose des ananas ou des carottes, faire la queue à la boulangerie d’État pour retirer les pains aigres à un peso auxquels la famille a droit (1 par personne et par jour), prendre les transports pour se rendre à la nouvelle MYPIME située dans le secteur voisin, et qui vend, dit-on, du bon café à prix abordable, passer chez ses amis qui ont un terrain, car leur manguier est en train de donner des fruits... On ne renonce pas seulement à acheter par manque d’argent, mais également par manque de temps.
Enfin, les consommatrices et consommateurs pourront, s’ils font partie des privilégiés, se rendre dans les supermarchés d’État, mieux achalandés, mais où l’on paye avec d’autres monnaies et où les prix sont encore plus élevés que ceux des MYPIMES. La population, dans sa majorité, ne les fréquente jamais, ou très rarement lors de grandes occasions, si, par chance, grâce à un petit trafic, un don d’un parent à l’étranger, ou à force de travail, elle a réussi à se procurer quelques dollars.
Car tel est le second problème. Il n’y a pas à Cuba une seule monnaie, mais plusieurs, et s’y repérer n’est pas simple. L’expliquer clairement non plus, c’est pourquoi je m’y hasarderai dans un autre billet (Comment payer à Cuba ?).
C’est à peu près tout des commerces dans le pays et des aliments qu’ils proposent. Ce n’est pas grand-chose, mais le secteur est moins touché par la pénurie que ceux de l’énergie ou des médicaments, par exemple. Si les prix étaient en adéquation avec les revenus, cela pourrait suffire aux habitants pour s’alimenter à peu près correctement, bien sûr sans fioritures. Pour le moment, la plupart d’entre eux ne peuvent pas payer, et s’ils n’en sont pas encore à mourir de faim, ils connaissent les carences alimentaires et les problèmes de santé qui en découlent. Ce faisant, ils méditent sur les bedaines de leurs ministres qui ne les représentent plus, sur la corruption croissante ponctionnant le peu d’argent du pays, sur la bêtise d’un Trump fier de les étrangler toujours plus, sur la passivité et la lâcheté de l’ONU qui, dans son écrasante majorité, est contre l’embargo mais ne fait rien, et ne perçoivent à l’horizon que des aggravations.