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Billet de blog 5 juillet 2023

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La justice avant le calme

Vous appelez à ce que revienne le calme de l’ordre républicain. Nous appelons, nous, à ce que revienne l’Etat social, abandonné au profit d’une financiarisation de tout, de toutes et de tous. Nous appelons à ce qu’advienne une démocratie sociale respectueuse de tous ces enfants, sans distinction aucune. D’ici naîtra le calme.

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Depuis la mort de Nahel, 17 ans, abattu par un agent des forces de l'ordre, le pays tout entier connaît des violences urbaines qui ne sont pas sans rappeler des événements plus, ou moins, récents. La mise en perspective la plus fréquente est celle des émeutes urbaines que la France a connues en 2005 à la suite de la mort de Zyed Benna et de Bouna Traoré.

Les raisins de la colère sont pourtant bien plus vieux qu’il n’y paraît, accroissant encore davantage un sentiment d’injustice bel et bien réel. Il y a 40 ans, l’année 1983 est marquée par de nombreux meurtre aux mobiles racistes. Des affrontements éclatent entre les jeunes de la cité des Minguettes à Vénissieux et la police. De nombreux blessés sont à déplorer dont un gravement. L’intensification d’un climat raciste et ségrégationniste exacerbe des tensions déjà existantes. S’en suivra l’organisation d’une marche pour l’égalité et contre le racisme, que tout le monde connaît aujourd’hui.

D'abord, il est à marteler que la principale question, dans ces affaires de violences policières, n’est pas celle de savoir qui appelle au calme, et qui condamne telle et telle violence. Nous savons toutes et tous que la violence, quelle qu’elle soit, ne ramènera aucun jeune parti trop tôt, n'effacera pas les discriminations quotidiennes systémiques, ne débouchera sur aucune solution réelle et pérenne. C'est là un fait incontestable, que toute personne censée est à même d'affirmer. Toute autant incontestable, selon Sartre, est la réalité selon laquelle toute violence se donne pour une contre-violence. 

A cet égard, nous assistons depuis plusieurs décennies au démantèlement et à la désertion des services publics et de l’Etat dans les territoires populaires, du fait de logique libérales rondement mises en œuvre par des gouvernants qui protègent une élite fortunée à laquelle ils appartiennent. Tout est laissé à l’abandon, et les mesures de surface n’y changent rien. Les services publics se dégradent au détriment des habitants les plus précaires. Les exemples ne manquent pas et en faire la liste relèverait davantage du champ de la thèse que de celui d’une tribune. 

Le système éducatif, fondamental pour notre société toute entière, est démantelé brique après brique par des politiques libérales guère concernées par l’émancipation des chacune et chacun. Naît ici une école à deux vitesses, qui augmente les taux d'évitement et les départs vers le privé et entraîne une ségrégation scolaire au plus haut point des pays de l’OCDE. Les premiers à en faire les frais sont les habitants des territoires populaires. 

Le métier de soignants connaît les mêmes pratiques brutales de soumission au dogme du profit et de la rentabilité. Ceux qui restent dans nos hôpitaux le paient au prix cher de leur santé. Les autres partent, car leur métier n’a plus de sens. C’est le système hospitalier dans son ensemble qui dysfonctionne. Naît ici une médecine à deux vitesses, entre ceux qui ont le sous, et ceux qui ne l’ont pas. Les premiers touchés sont les mêmes habitants, des mêmes territoires populaires. 

La crise du logement joue également sa partition, et avec brio. Les plans de rénovation et de reconstruction ne répondent pas aux besoins existants, plongeant ainsi les plus précaires dans des habitats indignes, loin des centres villes vitrines. 

La paupérisation s'accroît, l’Etat, lui, se retire peu à peu. 

La police aussi change. Nos gardiens de la paix (jadis) sont devenus des forces de l’ordre. Il n’est plus question pour cette institution de protéger les citoyens entre eux mais de protéger une élite, fortunée, qui a pris le pouvoir il y a plusieurs décennies. Tout cela se mène sous couvert de politiques sécuritaires et liberticides et de division du peuple entre une frange de la population, citoyens à part entière, et une autre frange, citoyens de seconde zone. Les recrutements massifs de policiers se font au désavantage de formations de qualité, et la relation police - citoyens continue dès lors de se dégrader ; gouvernement après gouvernement, loi après loi. La charge et le stress, inhérent au métier de policier, ne sont jamais pris en compte. Les conditions de travail de nos fonctionnaires se dégradent et tous nourrissent un sentiment d’abandon vis-à-vis de l’Etat. Envoyés dans des zones populaires où misère et précarité sont exacerbées, ils ne sont ni accompagnés, ni aidés, ni formés. 

Voilà donc la seule réponse qu’on apporté nos gouvernements successifs aux problématiques de paupérisation de toute une frange de la population ; des hommes en armes. Abandonnant à leur sort les deux faces d’une même pièce, ce sont eux qui, aujourd’hui, réclament des appels aux calmes d’une main, et envoient le RAID et la BRI de l’autre… Histoire de calmer. 

Les libéraux et l'extrême droite nous jettent en pâture depuis plusieurs jours parce que nous refusons de jouer les portes voix d’appels au calme stériles. Si nous donnons toutes et tous une fin de non recevoir à ces injonctions (qui non seulement sont inefficace mais ont aussi l’avantage de masquer les causes et de polariser le débat public), nous demandons à ce qu’advienne dans ce pays une justice réelle et une égalité réelle entre les citoyens, sans distinction fondées sur le lieu de résidence, sur l’origine, sur la religion ou sur le genre.

Nous portons haut et fort le besoin criant d’un changement massif de nos politiques publiques. Ce ne sont pas des mesurettes esseulées qui  ramèneront justice, égalité et apaisement. Nous avons besoin de réformer notre police, pour qu’elle redevienne ce qu’elle a toujours été censée être; une police républicaine au service des citoyens. Nous avons aussi besoin d’accompagner les écoles de nos territoires, offrir à nos jeunes autre chose que des tours et du béton comme horizon. Soutenir les enseignants laissés eux aussi à l’abandon par un pouvoir en place qui ne se soucie guère de leur charge de travail ou des difficultés qu’ils rencontrent. Mettre un terme à une ségrégation spatiale et sociale qui gangrène notre pays, et qui contribue à la dégradation du ciment national. Renforcer nos hôpitaux et empêcher leurs fermetures. Renforcer nos effectifs de soignants et sortir les métiers du Care des logiques de rentabilité et de profit. 

Depuis des décennies, vous concentrez les populations les plus précaires dans des ghettos pour les effacer des centre villes, là où misère et pauvreté, pourtant causées par vous et pour vous, vous répugnent. Vos politiques ont participé à la relégation de toute une partie du peuple au rang de citoyens inférieurs, capital humain corvéable à merci et éternellement humiliables. Vous avez laissé la misère étendre la sphère de son influence et tout gangrener ; les bâtiments, les rues, les bribes d’institution étatique, et puis surtout les corps et les âmes. 

Vous appelez à ce que revienne le calme de l’ordre républicain. Nous appelons, nous, à ce que revienne l’Etat social, abandonné au profit d’une financiarisation de tout, de toutes et de tous. Nous appelons à ce qu’advienne une démocratie sociale respectueuse de tous ces enfants, sans distinction aucune.
D’ici naîtra le calme.

L.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.