Afin de contribuer au débat public sur le discours sur l’état de la Nation, j'ai décidé de publier 5 billets qui abordent les grandes thématiques de ce discours en les intégrant dans les axes prioritaires du Gouvernement avant de les confronter aux attentes des populations congolaises. Ces billets font partie d’une même réflexion qui s’intitule : « Félix Tshisekedi vend-il du vent aux congolais ? Retour sur le discours de l’état de la nation 2021 ». Dans ce premier billet, nous abordons les questions sociales telles que présentées par F. Tshisekedi dans son discours. Ces questions sont d’autant plus importantes dans la mesure où elles se trouvent au cœur du programme de campagne de F. Tshisekedi et des programmes de deux gouvernements qui ont dirigé la RDC à ce jour depuis l’arrivée de Tshisekedi au pouvoir en 2019. Les prochains billets porteront successivement sur les questions économiques, la justice, l’état de droit et la lutte contre la corruption, la gouvernance provinciale et locale ainsi que les questions sécuritaires. Le dernier billet de cette série reviendra sur les questions majeures que F. Tshisekedi n’a pas abordé dans son discours.
1. Le « Mea culpa » de Félix Tshisekedi ou l’échec du « Le peuple d’abord » ?
Pour comprendre l’échec de Félix Tshisekedi dans le domaine social, il faut revenir sur son programme de campagne de 2018. Ce dernier s’intitulait : « Vaincre la pauvreté ». Ambitieux ! Dans ce programme, Tshisekedi annonçait vouloir bâtir « un pays plus beau, une nation sans pauvreté » en s’inspirant du projet de société de son parti l’UDSP, sa « principale source d’inspiration ». Alors candidat, Tshisekedi faisait le constat suivant en 2018 : « La pauvreté gagne du terrain, à vue d’œil. Le citoyen congolais est incompris, torturé, affamé, mal soigné, mal scolarisé, chômeur ou mal payé, exilé dans sa propre patrie. Il est en quête du mieux vivre. Il sait que sa misère au quotidien n’est pas une fatalité ». Pour lutter contre cette situation, Tshisekedi promettait que son projet était un « programme pro-pauvre ». On peut lire dans ce programme : « La redistribution équitable de ce revenu sera au cœur de la nouvelle politique que je vais impulser et dont l’axe central est la promotion d’une société performante et solidaire ». N’est-ce pas bien beau ? N’est-ce pas une promesse de mettre en œuvre l’équitable redistribution des richesses nationales prévue dans la Constitution (article 58) ? En trois an au pouvoir, le candidat Tshisekedi, devenu Président, a-t-il réalisé cette promesse au cœur de son programme de campagne ? Il y a répondu dans son discours sur l’état de la Nation 2021.
Dans ce discours sur l'état de la Nation, F. Tshisekedi a tenu d’abord à rappeler que l’amélioration qualitative des conditions de vie des congolais, la couverture santé universelle et la gratuité de l’enseignement de base figurent parmi les principales priorités du gouvernement. Du côté du gouvernement, il y a près d’un mois, le Premier Ministre Lukonde annonçait - lors de la présentation du projet de loi de finances 2022 à l’Assemblée nationale – que son Gouvernement avait pour mission d’« améliorer le bien-être de notre population qui se traduit, au plan socio-culturel, par la couverture santé universelle, la gratuité de l’enseignement, la construction des logements sociaux etc. ». La réalité traduit-elle cette volonté ? Félix Tshisekedi y a répondu par la négative dans les aveux qu’il a fait devant le Congrès. Félix Tshisekedi reconnait son échec sur les questions sociales lorsqu’il dit : « Je suis conscient que la situation sociale de nos compatriotes n’est pas reluisante. Beaucoup de ménages peinent à nouer les deux bouts du mois et n’ont pas accès aux services sociaux de base tels que l’eau, l’électricité, les soins de santé, les transports ». Que dire de plus ? Pourtant, assurer le progrès social – c’est à quoi renvoie le PS dans UDPS – semble être le combat de l’UDPS qui se dit être un parti socialiste ! Le peuple d’abord, cet autre slogan de campagne de F. Tshisekedi - hérité de son feu père Etienne Tshisekedi – semble d’ailleurs avoir disparu de la communication présidentielle.
En réalité, ce tableau peint par Tshisekedi est un doux euphémisme. La situation des congolais est aujourd’hui davantage catastrophique. Si Tshisekedi parle des défis des ménages congolais – encore faut-il avoir un ménage, un logement -, il ne fait aucunement allusion au sort des millions de déplacés internes que l’Etat a abandonné notamment dans les régions de l’Est en proie à des conflits armés que Tshisekedi peine – ou n’a pas la volonté – à juguler. De même, Tshisekedi ne semble pas s’intéresser au sort des millions de congolais réfugiés dans les pays voisins et dans d’autres pays africains faisant, selon l’ONU, des congolais la première population des réfugiés d’Afrique. Ces millions de congolais – déplacés internes et réfugiés – font ils partie de la Nation congolaise ? Leur sort intéresse-t-il le Président de la République ? Ont-ils, eux aussi, droit à la paix et à la sécurité comme le reconnait la Constitution pour tous les congolais ?
De même, il a été surprenant d’observer que Tshisekedi n’a pas fait allusion à la famine qui ravage la RDC et à ses conséquences plus inquiétantes que la pandémie de coronavirus qui semble « mobiliser » le gouvernement. A ce jour, selon le PAM et le FAO, l’insécurité alimentaire touche plus du tiers de la population congolaise faisant du Congo le pays le plus affamé du monde malgré les vastes et riches terres arables, les potentialités halieutiques et les vastes terres propices à l’élevage etc. Comment comprendre l’absence des 30 millions de congolais en proie à la famine aigue dans le discours de Tshisekedi ? En même temps, comment comprendre que des millions de dollars soient dilapidées dans des projets sans réel impact social, détournés ou servent de corruption – allusion faite aux 500 jeeps « offerts » aux députés nationaux – alors que les congolais crèvent de faim ? Comment comprendre l’opulence des dirigeants à côté d’un peuple qui meure de faim ?
Parmi les solutions, Tshisekedi indique avoir pris « un train de mesure en faveur de la population » avant de reconnaitre que celles-ci restent « insuffisantes ». De quelles mesures parle-t-il ? Quelle population a bénéficié de ces mesures même insignifiantes ? A combien ces mesures ont-elles été financées ? Mystère ! Au passage, Tshisekedi annonce avoir demandé au Gouvernement « d’accélérer la mise en œuvre de projets à impacts rapides et visibles » avant de poursuivre « En effet, dans les secteurs de l’eau et de l’électricité et de la santé pour ne citer que ceux-là, la plupart des projets en cours souffrent d’un manque de coordination et d’une faiblesse de pilotage ». N’est-ce pas un aveu d’échec ? Et même alors, quels sont ces « projets à impacts rapides et visibles » ? Où seront-ils réalisés ? Qui en seront les bénéficiaires ? Ces projets sont-ils repris dans la loi budgétaire 2022 ? Comme d’habitude, Tshisekedi est resté évasif se limitant à des effets d’annonce.
2. La faible allocation des ressources au social : preuve de l’absence de volonté
Après son « mea culpa », Félix Tshisekedi a tout de même tenu à rassurer les congolais de son engagement pour l’amélioration de leurs conditions de vie. Il l’a dit dans la conclusion de son discours en ces termes : « Nos préoccupations demeurent fondamentalement celles d’apporter des réponses aux problèmes permanents liés au vécu quotidien de notre Peuple, en vue de consolider le Contrat social qui le lie à nous, ses représentants, appelés à défendre ses intérêts et à réaliser son bonheur ».
Pour évaluer la bonne foi et la sincérité de Tshisekedi et de son premier Ministre – de tout gouvernant d’ailleurs -, il suffit de regarder la part du budget réservée aux secteurs qu'il annonce comme étant sa priorité. Quelle est la part du budget 2022 accordé aux secteurs sociaux ? Toutes les couches sociales ont critiqué la répartition des dépenses publiques et les hausses – encore – vertigineuses du train de vie des institutions centrales au détriment des aspects sociaux de la population. Même dans le camp politique de Tshisekedi, certains députés n’ont pas hésité d’être très critique envers le Premier ministre et de son projet de loi de finance 2022. Ils finiront par le voter tout de même. On le sait. Qu’à cela ne tienne, comment croire les promesses et annonces de Tshisekedi lorsque le gouvernement alloue des peanuts aux questions sociales ?
A titre d’exemple, si Tshisekedi reconnait que le secteur de la santé mérite une attention particulière lorsqu’il dit : « il nous faut absolument construire un système de santé plus solide et plus résilient, pour le bénéfice de tous les Congolais » et même s’il annonce des actions gouvernementales « dans les prochains jours » pour « rendre effective cette vision », la maigre enveloppe budgétaire alloué à la santé dans les budgets depuis son arrivée au pouvoir – comme pour le régime de Kabila -, trahit cette promesse. Les miettes accordées à la santé vont-t-elles permettre de réaliser la couverture santé universelle alors que les infrastructures font défaut et le personnel hospitalier constamment en grève ? Par exemple, la loi portant reddition des comptes de l’exercice 2020 et du collectif 2021 indiquent que les dépenses de santé ont été exécutées à moins de 50 %. En d’autres, termes, sur la modique enveloppe consacrée à la santé, moins de la moitié seulement a été débloqué par le Gouvernement.
Paradoxalement, l’autosatisfaction du Gouvernement et de F. Tshisekedi qui se sont félicités d’avoir, « pour la toute première fois dans l’histoire de notre pays », revue à la hausse la loi de finances à hauteur de 14% est déconcertante ! Pourquoi les dépenses des secteurs vitaux comme la santé ou l’éducation n’ont pas eux bénéficié de cette hausse ? Pourquoi les tensions salariales entre les agents publics de l’Etat ne cessent-ils d’augmenter ? Pourquoi certains agents publics peuvent gagner 150 fois plus que l’enseignement, le policier, l’infirmier – pour ceux qui ont la chance d’être payés par l’Etat ? A quand l’avènement de l’Etat social annoncé par le premier article de la Constitution ? A quand la redistribution équitable des richesses nationales, un droit consacré également dans la Constitution, cessera d’être un vœu pieux ? Pourquoi seules les dépenses de la Présidence, du Gouvernement et des deux chambres du Parlement connaissent des dépassements budgétaires pouvant dépasser le 100% pour certaines institutions comme la Présidence ?
De même, comment financer la gratuité de l’enseignement primaire sans allocations suffisantes ? Dans quel état se trouvent les infrastructures scolaires ? La grogne des enseignants qui ont commencé cette année scolaire avec une grève pour dénoncer leur misère organisée par l’Etat, les menaces du Gouvernement contre les enseignants grévistes ne trahissent ils la volonté proclamée de rendre effective la gratuité de l’enseignement primaire ? On se souviendra de la manifestation inédite des écoliers de Kinshasa qui se sont rendus, il y a quelques mois, à l’Assemblée nationale pour exprimer leur ras-le-bol aux parlementaires !
Par ailleurs, comment réduire le chômage qui touche plus de 60% de la population si des véritables politiques publiques ne sont pas financées et l’investissement public et privé mobilisé et encadré ? Comme Félix Tshisekedi avoue avoir échoué sur le secteur du social, ses promesses de campagne, les programmes des gouvernements successifs ayant été un échec, sera-t-il capable de remonter la pente en seulement deux ans avant les élections ?
Dans des domaines comme l’électricité et l’eau, Tshisekedi a encore été…décevant ! La RDC dispose de plus de la moitié du potentiel hydroélectrique de l’Afrique. Ce potentiel constitue une importante richesse pouvant permettre à la RDC de générer des revenus importants. La libéralisation du secteur de l’électricité intervenue en 2014 a-t-elle amélioré la desserte en électricité du pays ? Aujourd’hui, le pays figure parmi les pays ayant le faible taux d’électrification du continent. Ce taux est aujourd’hui évalué à mois de 10% au niveau national avec seulement 1% dans les milieux ruraux où habitent pourtant plus de la moitié de la population congolaise. Le Programme national énergétique vise à amener cette couverture à 100% à l’horizon 2030. Annoncer l’achèvement des travaux de deux centrales hydrographiques – sans indiquer le besoin qu’elles couvriront -, annoncer l’installation de trois groupes thermiques à Kananga suffit-t-il pour résoudre le problème énergétique du pays ? Il est étonnant d’entendre le Président de la République se plaindre du noir dans lequel la ville de Kisangani a été plongé pendant près de quatre mois. Pourtant la question n’avait même pas été discutée au Conseil des ministres qu’il préside ! On s’attendrait à ce que Tshisekedi présente ce qu’il a réalisé pour relever ces défis ainsi que les initiatives qu’il entend lancer pour atteindre100% de couverture à l’horizon 2030.
Sur le chapitre de l’eau, l’approche est la même. Dans son discours, Tshisekedi se plaint des problèmes d’accès à l’eau dans la capitale Kinshasa en raison notamment d’infrastructures qui ne répondent plus à la demande. Ailleurs dans le pays, la question est-elle résolue ? Il dit tout de même, « ces dysfonctionnements sont inacceptables ». A qui s’adresse-t-il ? Qui est responsable du bon fonctionnement des services publics ? Ce déficit est aujourd’hui la cause des maladies hydriques comme le choléra ou la fièvre typhoïde qui tuent des milliers de congolais. Pour conclure le chapitre de l’eau et de l’électricité, Tshisekedi annonce : « J’interpelle ainsi tous les intervenants pour régler sans délai les problèmes et de livrer ces ouvrages pour améliorer les conditions de vie de la population ». On peut s’interroger si le discours sur l’état de la Nation est le cadre approprié pour interpeller les services. A quoi servent les conseils de Ministres que président le Président de la République ? Pourtant, la RDC regorge des réserves importantes d’eau douce au monde – on l’appelle même château d’eau d’Afrique – et un potentiel hydroélectrique énorme. L’absence des politiques cohérentes, encadrées et financées dans le secteur de l’eau et de l’énergie laisse place à des initiatives cosmétiques et conjoncturelles qui ont déjà prouvé leur échec. Là aussi, Tshisekedi fait un « mea culpa ».
Si l’on considère que le budget 2022 est sous examen et qu’il s’inscrit dans la ligne constante du régime de Tshisekedi - accorder des miettes aux secteurs sociaux -, il ne restera plus qu’une année, 2023, pour tenter de résoudre les questions sociales. On constate donc que ce premier mandat de F. Tshisekedi, pourtant mis sous le signe du social avec le fameux slogan Le Peuple d’abord, n’a été qu’un échec très cuisant. Le choix du régime de F. Tshisekedi de poursuivre - dans la ligne du régime de Kabila - la privation des provinces et des entités territoriales décentralisées de leurs moyens financiers constitutionnels (40% des recettes et la caisse nationale de péréquation) afin d’impulser le développement à la base et répondre à certains problèmes sociaux des congolais traduit l’absence de volonté de ce régime d’améliorer le social des congolais. La gouvernance provinciale fera l’objet d’un autre billet.
Somme toute, Il me semble que la question du social sera déterminante pour les élections de 2023 – encore faut-il que le choix des congolais soit respecté -. Mais la question électorale…c’est déjà le thème d’un autre billet qui vous sera livré prochainement.