« […]. Je tiens Flaubert et Goncourt pour responsables de la répression qui suivit la Commune parce qu’ils n’ont pas écrit une ligne pour l’empêcher. Ce n’était pas leur affaire, dira-t-on. Mais le procès de Calas, était-ce l’affaire de Voltaire ? La condamnation de Dreyfus, était-ce l’affaire de Zola ? L’administration du Congo, était-ce l’affaire de Gide ? Chacun de ces auteurs, en une circonstance particulière de sa vie, a mesuré sa responsabilité d’écrivain. L’occupation nous a appris la nôtre […] ».
Jean-Paul Sartre, « Présentation », Les Temps Modernes, n° 1, 1° octobre 1945.
Kamerhe et Amato sont tous originaires du Sud-Kivu, de la même ethnie (bashi), du même territoire (Walungu) et de la même chefferie (Ngweshe). Pour certains, VK est pour Amato ce que, dans la Bible, Elie est pour Élisée selon le récit du deuxième livre des Rois. Ne pouvons pas nous pas comparer la période trouble décrite dans le second livre des Rois au Congo actuel ? La Bible renseigne qu’à cette époque troublée, les rois d’Israël successeurs de Salomon s’adonnaient à l’idolâtrie et à la débauche et adoraient des divinités étrangères comme Baal et Astarté. Regardons le Congo actuel !
J’invite ceux qui, nombreux, considéreront que ce billet n’a aucun mérite d’être écrit à s’arrêter un moment, méditer sur les alinéas 3 et 4 de l’article 6 de la Constitution de la RDC. Cet article dispose : « Les partis politiques concourent à l’expression du suffrage, au renforcement de la conscience nationale et à l’éducation civique (…). Les partis politiques sont tenus au respect des principes de démocratie pluraliste, d’unité et de souveraineté nationales ». Ils peuvent aussi méditer sur l’article 5 de la loi de 2004 sur les partis politiques en RDC qui prévoit : « Dans leurs création, organisation et fonctionnement, les partis politiques veillent : a) à leur caractère national et ne peuvent ni s'identifier à une famille, à un clan, à une tribu, à une ethnie, à une province, à un sous-ensemble du pays, à une race, à une religion, à une langue, à un sexe ou à une quelconque origine, ni instituer toutes discriminations fondées sur les éléments ci-dessus ».
Avant d'aborder le fond de cette analyse sur la nomination d’Amato Bayubasire, deux remarques très capitales en liminaire avant de nous plonger dans le « House of Cards » congolais. Deux remarques. Peut-être trois. Primo, remarquez le point d'interrogation dans le titre. Il y en aura des tonnes dans ce billet. Ne vous attendez pas à des réponses encore moins à une réponse. Secundo, il me convient d’indiquer clairement et sans ambiguïté pourquoi j’écris ce billet. En effet, ce billet traduit une seule chose - une chose simple qu’on ne devrait pas en principe rappeler : mon habituel souci et constant engagement - vieux de plusieurs années - de CONTRIBUER MODESTEMENT AU DEBAT PUBLIC sur la gouvernance de la RDC. Dans le cadre ce billet, il me convient de rappeler ou d’indiquer – selon le cas – les prescrits de l'article 90 alinéa 3 de la Constitution de la RDC qui stipule, je m’excuse, qui dispose : « La composition du Gouvernement tient compte de la représentativité nationale ». Ainsi, les références aux origines ethniques/régionales de certaines personnes ou groupes - sujet très sensible en RDC comme ailleurs - servent UNIQUEMENT à apprécier la mise en œuvre de cette disposition dans la formation du gouvernement Sama en me servant du parti UNC comme cadre d'observation. Il ne s'agit en aucune manière d'une volonté de stigmatiser, d'injurier, de vilipender etc. une autorité, un individu ou même un groupe quelconque. Tertio, pourquoi j’écris sur ce sujet sensible ? Qui tire les ficelles ? Comme le dit Jean Paul Sartre, « l’intellectuel est seul parce que nul ne l’a mandaté ». Je suis seul, et je me mêle, comme dit Sartre toujours, des choses qui ne me regardent pas. Si la nomination de Amato, affaire interne de l’UNC ne me concerne pas – ma liberté m’est très chère pour rejoindre un parti politique dans la configuration politique congolaise actuelle -, ces choses me regardent au plus haut point car je suis congolais et rien de ce qui est congolais ne m’est étranger.
Ces trois courtes précisions faite sen liminaire, conscient de la sensibilité des sujets que j’abordons, maintenant le fond. En effet, il y a encore 5 jours (3 jours avant son entrée au gouvernement Sama), le nouveau Vice-Ministre de la Justice, Amato Bayubasire (député national de Walungu), participait au rassemblement de son parti l'Union pour la Nation Congo. Ce rassemblement avait été organisé pour exiger la libération de Vital Kamerhe - « autorité morale » de ce parti et tout premier Directeur de cabinet de Félix Tshisekedi - un an après son arrestation et sa condamnation à 20 ans de prison pour détournement des deniers publics et corruption dans la fameuse affaire dite de « 100 jours ».
Amato Bayubasire est un fidèle parmi les plus fidèles de Vital Kamerhe. Comme VK, Amato est originaire de Walungu et mushi. Il a été de toutes les luttes en bravant l’orage (sur la toile, dans les médias et sur le terrain, partout) pour dénoncer ce que l'UNC qualifie de procès et d'arrestation politique de Vital Kamerhe tantôt par Félix Tshisekedi tantôt par le FCC de Joseph Kabila. Amato sait mobiliser les foules. Il l’a démontré lors des campagnes électorales de Kamerhe à Bukavu et à Walungu. C’est l’un des maillons forts de l’UNC au Sud-Kivu. On se souviendra par exemple qu’il fait partie du groupe de militants et cadres de l’UNC (« la base ») qui avait « exigé » à VK de retirer sa signature de l’accord de Genève et de ne pas soutenir Martin Fayulu aux élections de 2018. Amato a toujours cru et lutté pour la Présidence de Vital Kamerhe. C’est pour cette raison que sa personne nous intéresse dans ce billet. Amato devient vice-ministre de la…JUSTICE. Plusieurs interrogations ont été soulevées sur les motivations de ce choix.
On peut se demander s’il continuera de mobiliser les masses pour les manifestations habituelles et les « cultes spéciaux VK » pour exiger la libération de Vital Kamerhe ? Va-t-il au gouvernement avec une seule mission : faire libérer Vital Kamerhe (par tous les moyens) tel un Michael Scofield allant libérer son frère Lincoln Burrows en mode « Prison Break » ? Le parallélisme n’est pas parfait car Amato va plutôt dans un bureau climatisé et non à la prison de Makala ! Peut-être qu’il n’aura pas besoin de le faire si Vital Kamerhe car, comme vice-ministre de la justice, il a accès aux clés de Makala. Peut-être qu’il n’aura pas à le faire, la libération de VK étant imminente ou proche ! Peut-être même que la nomination d’Amato à la justice est un message subliminal envoyé par Félix en prélude de cette libération. Que des « peut-être », en réalité des interrogations, aucune affirmation ni conclusion.
Par ailleurs, il faut remarquer quand même que l’UNC - qui n’était plus dans des beaux draps avec Félix et son parti l’UDPS – occupe 5 postes ministériels au gouvernement Sama malgré les manifestations et les positions accompagnées de propos parfois injurieux à l’encontre de Félix et de l’UDPS par les militants de l’UNC. Il faut noter que, contrairement au gouvernement Ilunkamba où l’UNC avait envoyé une équipe diversifiée, au gouvernement Sama, sur les 5 postes de l’UNC, 3 sont occupés par des originaires du fief de Vital Kamerhe, le Sud-Kivu, tous trois de l’ethnie bashi comme VK et, parmi eux, deux sont originaires de Walungu comme VK ou encore l’épouse de Félix Tshisekedi. On remarque aussi que le Secrétaire général ad interim de l’UNC, Aimé Boji, présentée par certains comme (ex) beau-frère de VK, a été nommé au juteux ministère de budget où il remplace l'UNC Jean Baudouin Mayo. Autre élément : sur les 26 provinces du pays, le Sud-Kivu s’en sort avec 7 postes sur les 57 (un peu plus de 12%).
La nomination de ces deux proches et très fidèles de VK, Amato son Elisée et Boji son Pierre (VK lui a confié les clés du parti) suscitent plusieurs interrogations. Quel est le véritable message ou la véritable stratégie de Félix ? Vise-t-il en réalité à diviser l’UNC – affaiblie par l’arrestation de V.K - et trouver un Brutus ou des Brutus parmi ses fidèles et proches ? Amato et Boji seront-ils des nouveaux Pierre Kangudia ? Ce dernier est un ancien proche de VK et membre de l'UNC entré au dernier gouvernement de Kabila pour le compte de l'UNC (opposition) où il occupait le ministère de...budget. Forcé de démissionné par VK, l'homme avait refusé de quitter son poste. Le divorce se consomma. Cité dans l'affaire des 100 jours, Kandudia n'avait pas été tendre avec VK lors de son audition. Il chargea copieusement son ancien ami et allié. Du côté de Félix, son père et leurs parti l'UDPS ont eu leurs Brutus aussi : Samy Badibanga et Bruno Tshibala, pour ne citer que ces deux derniers débauchés par Kabila et qui sont devenus successivement ses derniers premiers ministres à l'issue des dialogues lui ayant permis de dépasser le terme de son mandat constitutionnel. Aimé Boji connait donc les privilèges du pouvoir, au Congo. Il a été ministre pour le compte de l'UNC au dernier gouvernement de Kabila dirigé par Bruno Tshibala où il était chargé du commerce extérieur. La nomination de ces deux proches de VK fait-t-elle partie d'une stratégie d'isoler VK?
Félix cherche-t-il à empêcher, à travers cette nomination, les manifestations de l'UNC en faveur de la libération de VK en écartant Boji et Amato de la vie active de l'UNC car ils sont désormais soumis à des contraintes comme membres d'un gouvernement ? A l’approche de 2023, Félix a-t-il décidé d’aller à la (re)conquête du Sud-Kivu, du bushi et surtout de Walungu qualifiés de fiefs de VK et territoire d’origine de l’épouse de Félix ? Cherche-t-il ainsi à affaiblir le soutien que VK reçoit de ces territoires par ces nominations plutôt bien reçues par l’opinion de ces coins du pays ? Félix serait-il en train de se servir des stratégies des Underwood ? Au contraire, sommes-nous en face de l’exécution – malgré tout – de l’accord du CACH (UDPS-UNC) dans une perspective électoraliste en 2023 ?
Cela dit, il y a des questions qui ont été rarement - ou presque pas - été évoquées. A ce jour, quels sont les rapports entre VK et Félix ? Comment l’UNC a-t-elle négocié ? VK a-t-il participé à ce casting ? Si oui, quel message envoie-t-il à ses soutiens - dans d’autres territoires du Sud-Kivu et en dehors de ce dernier – susceptibles de se sentir exploités, discriminés, marginalisés, victimes d’une injustice ? S’il n’a pas participé à ce casting, est-t-il en train de perdre le contrôle son parti ? Dans tous les cas, s’agit-il d’un geste d’une personne déçue, désespérée, qui se recroqueville sur les « siens » qu’il « pistonne » en espérant un probable ruissèlement sachant son sort scellé ?
Pour essayer d’y voir clair, il est important d’analyser ou mieux de classer les réactions du Sud-Kivu. Même s’il s’en sort avec plus de 12% de postes, le Sud-Kivu n’a pas manqué d’exprimer quelques frustrations malgré les jubilations de plus d’un au regard du nombre de poste attribué à cette province. Qu’à cela ne tienne, les critiques ont porté plus sur les origines des ministres originaires du Sud-Kivu ainsi que sur le profil de certains d’entre eux. Ces critiques émanent d’abord de certains bashi – de Walungu dans une certaine mesure mais plus de territoires autre que Walungu ou encore – ensuite d’autres communautés du Sud-Kivu comme les rega, les bembe, les fuliru, les nyindu et de la ville « arc-en-ciel » de Bukavu. Pourquoi 3 sur 5 ministres sont tous des bashi dont 2 du territoire de Walungu ? L’UNC n’a-t-elle pas de membres dans les territoires de Fizi, Uvira, Shabunda, Mwenga, Kalehe, Idjwi ou même en dehors du Sud-Kivu ? L’UNC devient-t-il un parti tribal ? Sommes-nous en face d’une « bashisation » doublée d’une « walungusation » de l’UNC ? Tels sont les grandes interrogations ou critiques que nous avons observé sur la toile surtout auprès des ressortissants du Sud-Kivu. Certains internautes ont même considéré, de manière sarcastique, que l’UNC s’était transformé en UNW (néologisme pour dire Union pour la Nation de Walungu).
On trouve en face de ces critiques, des défenseurs aguerris de l’UNC. Ils reprennent presque tous, tel des mantras, plusieurs formules : « les élections sont sociologiques » (sans doute la plus célèbre), « il faut commencer à Jérusalem », « donner des ministères à sa base n’est pas mauvais », « VK a promu plusieurs personnes du Sud-Kivu non bashi et même en dehors du Sud-Kivu » (ils brandissent même des listes), « d’autres partis ont donné des ministères aux originaires de leurs provinces/ethnies) » etc. Les injures et insultes sont parfois au rendez-vous, les discussions très tendues. Ils crient à l’acharnement contre l’UNC, contre les bashi et/ou contre Walungu ou Ngweshe.
Dans cette cacophonie, la personne d’Amato revient plusieurs fois. Sans surprise. Il est très connu au Sud-Kivu. Son choix comme vice-ministre de la JUSTICE étonne et fait parler plusieurs personnes. Au Sud-Kivu, beaucoup s’interrogent – même parmi les soutiens à VK - pourquoi ce poste n’a pas été donné aux députés ou cadres juristes membres de l’UNC. Parmi eux deux noms sont plusieurs fois revenus, tous des jeunes députés nationaux élus de la ville de Bukavu sur la même liste que Vital Kamerhe : Alfred Maisha, célèbre avocat de Bukavu, très fidèle à Vital Kamerhe, et Justin Mastaki, professeur de droit et anciens magistrats. A leur place, c’est Amato B., diplômé en sciences commerciales de l’Institut supérieur pédagogique de Bukavu, qui a été choisi pour ce poste ? Dans tous les cas, un vice-ministre n’a pas de pouvoir propre. Il exerce, selon l’article 94 de la Constitution, sous l’autorité de son titulaire des attributions lui confié par l’ordonnance sur le fonctionnement du gouvernement et assure l’intérim de son titulaire qu’il seconde dans l’accomplissement de ses tâches. Non pas un simple figurant, le vice-ministre est habilité à susciter la discussion, dans un esprit de concertation et de sincère collaboration, avec son ministre et à faire toute suggestion ou proposition de nature à améliorer la bonne marche des affaires du ministère.
Certains pro-libération de VK souhaitent voir Amato user de ce poste pour faire libérer VK. Amato aura-t-il de l’influence sur l’avocate Rose Mutombo Kiese nommée ministre de la justice et garde des sceaux en même temps que lui ? Dans tous les cas, Si VK est un « prisonnier personnel » de Félix, comme certains UNC n’hésitent pas à l’affirmer, alors, même s’il était ministre de la justice, Amato n’allait rien y changer. Il faut indiquer qu’en RDC, le ministre de la justice et l’Exécutif en général sont théoriquement séparés du pouvoir judiciaire dont l’indépendance est écrite dans la constitution et les lois. La pratique prouve au contraire aujourd’hui, comme à travers toute l’histoire de la RDC, une inféodation du judiciaire par l’Exécutif, par le Chef de l’Etat et sa famille politique.
Amato n’est-t-il par pris entre le marteau et l’enclume à travers cette nomination ? Dans tous les cas, la tâche qui l’attend est ardue. Il n’est pas exclu que les félicitations qu’ils reçoit aujourd’hui vont se transformer, demain, en critiques acerbes par les soutiens de VK. Une chose est claire : son implication pour la libération de VK lui sera demandée ou exigée par ses électeurs de Walungu ou par les soutiens du Sud-Kivu lors de sa première visite ou de son retour comme vice-ministre. Mission impossible ou suicidaire ? Sera-t-il un Michael Scofield, un Tunda bis, un Brutus ou un Ruto ?