1. Les performances économiques irréelles et la longue attente des investisseurs
D’entrée de jeu, dans son discours, Félix Tshisekedi a tenu à rappeler que la relance de l’économie nationale figure parmi les principales priorités du Gouvernement. Il ne s’est pas s’empêché de louer les progrès économiques réalisés sous son impulsion. Comme le Ministre du Budget, Aimé Bodji, lors de la présentation de la loi des finances rectificative de l’exercice 2021, Félix Tshisekedi a loué devant le Congrès « la stricte observance de la discipline budgétaire » qui, « pour la première fois de l’histoire de notre pays » a permis d’atteindre et de dépasser les assignations budgétaires. Il invoque que ces recettes additionnelles ont atteint plus de deux milliards de dollars américains ! En outre, Tshisekedi a loué les performances économiques réalisées, malgré la pandémie, et a annoncé une croissance du PIB qui pourra atteindre 5,6% en 2022. Pour lui, cette croissance est fondée sur les « performances attendues dans les secteurs des industries extractives, du transport, de la communication, ainsi que dans celui du commerce ». L’économie du pays se porte donc très bien. Enregistrer plus de 5% de croissance malgré la pandémie, n’est-ce pas extraordinaire ? Mais en réalité, ces performances sont-elles palpables ? L’autosatisfaction de F. Tshisekedi n’est pas sans rappeler celle de l’ex Premier ministre Matata Ponyo – sous Joseph Kabila - qui vantait urbi et orbi l’amélioration du cadre macro-économique et la croissance alors que la misère du peuple congolais atteignait des pics très inquiétants.
Comme pour chacune de ses adresses, Tshisekedi est revenu sur l’attractivité des investisseurs étrangers qui justifie - selon ses propres mots et ceux des militants de son parti - les centaines de millions de dollars dépensés en deux ans dans plus de cent voyages réalisés aux quatre coins du monde. Il y est également revenu dans son discours devant les parlementaires en ces termes : « Dans cette même dynamique, je me suis rendu au cours de cette année successivement dans plusieurs pays du Moyen et du Proche-Orient ainsi qu’en Asie Mineure (sic), avec la ferme volonté de permettre au Peuple congolais d’en retirer de substantiels dividendes dans les meilleurs délais ». Pour Tshisekedi, les performances économiques qu’il a vantées sont « les résultats tangibles de [son] intense action diplomatique » avant d’annoncer que « cette mobilisation des ressources extérieures devra se poursuivre l’année prochaine ». Concrètement, combien de milliards la RDC a-t-elle pu attirer en 2021 ? La RDC est-t-elle devenu plus attractive sous Tshisekedi qu’avant ? Les dépenses et le temps consacrés dans plus de cent voyages internationaux valent-ils la peine ? Des questions auxquelles Tshisekedi n’a pas donné de réponse préférant rester évasif.
La Commission de l’ONU sur le commerce et le développement nous fournit des indications intéressantes sur l’attractivité des investissements dans le monde. Son rapport 2021 indique que la RDC n’a attiré que 1.6 milliards de dollars en 2020 — malgré plus de 100 voyages internationaux de Félix Tshisekedi — alors que son voisin le Congo-Brazza a attiré 4 milliards la même année. Il faut également relever que tous les investissements que la RDC a attirés ne sont pas liés directement aux multiples voyages de Tshisekedi à l’étranger. Son discours l’indique d’ailleurs lorsqu’il cite la conclusion de plusieurs projets, accords et memoranda d’entente comme des résultats de ses voyages. En réalité, il n’a présenté aucun chiffre car il n’en existe pas. Comme en 2019, à l'occasion de son premier discours sur l’état de la Nation, Tshisekedi s’est contenté de rappeler que l’amélioration du climat des affaires figure parmi ses priorités. On se souviendra de l’annonce faite en 2019 au sujet de la création d’une Cellule du climat des affaires pilotée depuis son Cabinet. Deux ans après la création de cette cellule, n’est-ce pas le moment de présenter le résultat de cette cellule ?
Tshisekedi ne tarit pas d’annonces et d’innovations. En revanche, les mesures qu’il a annoncées pour améliorer le climat des affaires demeurent - comme pour les précédentes - très peu convaincantes. En effet, dans son adresse, il a annoncé la mise en place d’une « nouvelle approche de suivi-évaluation jamais expérimentée dans notre système de gouvernance afin de rassurer les investisseurs ». En quoi consiste-t-elle ? Il s’agit, selon lui, de « la mise sur pied d’un outil qui va désormais permettre, en temps réel, [au Président de la République], au Premier Ministre, ainsi qu’à chacun des membres du Gouvernement concerné, de suivre méticuleusement le rythme de mise en œuvre des réformes et assignations relatives au climat des affaires. Il s’agit, en fait, d’un Tableau de bord numérique taillé sur mesure, à partir du Programme du Gouvernement ». Est-ce suffisant pour attirer et rassurer les investisseurs et mobiliser l’investissement national ? Le manque d’infrastructures, l'insécurité, le déficit en énergie, les défaillances du système bancaire , les tracasseries fiscales et administratives — principaux freins à l’attractivité de la RDC — disparaitront-ils par l’effet de cette trouvaille du Président Tshisekedi ? Le parachèvement du cadre légal relatif au fonctionnement des tribunaux de commerce ou les dispositions complémentaires du droit OHADA qu’il invite le Parlement à adopter suffiront-ils pour rendre la RDC économiquement plus compétitive ?
Penchons-nous maintenant sur la question des infrastructures. D’abord Tshisekedi reconnait que « la question des transports et des voies de communication est un défi permanent dont l’impact sur l’économie nationale et par ricochet sur les conditions de vie de nos compatriotes est indéniable ». Ainsi annonce-t-il la réhabilitation des routes de desserte agricole, la connectivité des provinces, des ouvrages du trafic urbain etc. Comment réaliser ces infrastructures avec un budget dont plus de la moitié est réservée aux dépenses de fonctionnement ? A titre d’exemple, le budget 2021 réservait seulement 11% aux dépenses d’investissements que le projet de budget 2022 vient d’élever à 21%, ce qui reste insignifiant au regard des projets annoncés par Tshisekedi.
Les réalisations annoncées dans quelques provinces suffissent-ils pour traduire les ambitions annoncées par Tshisekedi ? Dans le secteur du transport aérien par exemple, les réhabilitations annoncées suffissent-elles ? Sont-elles d’ailleurs repris dans le budget 2022 ? Aujourd’hui, la gestion de la compagnie aérienne nationale Congo Airways est très critiqué. On a appris récemment l’annonce de la création d’une nouvelle compagnie aérienne dont les éléments restent très évasifs. L’ouverture de l’espace aérien congolais à la compagnie rwandaise RwandAir a été très critiquée par l’opinion nationale. Il est regrettable de voir que Tshisekedi n’a placé aucun mot à ce sujet pour expliquer aux congolais le choix effectué et le gain pour le pays. On remarque également que le secteur ferroviaire a disparu du discours présidentiel alors qu’il y a quelques années, il annonçait la signature des protocoles d’accords tantôt avec des entreprises allemandes tantôt avec des russes ! Et sans plus ! Encore et toujours des effets d’annonce ?
2. La perpétuation de la dangereuse et inefficace dépendance extérieure
L’adresse à la Nation du Président a été ponctuée par une sorte de trouvaille. M. Tshisekedi se vante d’avoir porté la voix de l’Afrique au niveau international pour « réclamer au profit du continent les meilleures conditions de lutte contre la pandémie et de relance de nos économies nationales ». Tshisekedi évoque à cet effet le Sommet de Paris sur le financement des économies africaines de mai 2021 où il avait plaidé pour plus de moyens financiers en faveur de l’Afrique et le « renforcement des mécanismes mis en place pour soulager les pays africains tombés dans des situations de surendettement à cause des effets de la pandémie ».
On a le droit de savoir si 60 ans après les indépendances, cette attitude honore-t-elle l’Afrique ? Qu’espérer d’une telle démarche qui a fait sombrer plusieurs pays africains ? Pourquoi n’entendons-nous pas ce type de discours des pays d’Asie du Sud-Est par exemple qui sont arrivés, en moins de trois décennies, à se classer sur l’échiquier international comme des acteurs incontournables ? N’est-ce pas là, de la part d’un Président de l’Union africaine, une trahison du combat pour l’indépendance économique du continent lancé par les pères des indépendances et de la construction africaine ? Lorsqu’il annonce avoir porté la voix de l’Afrique pour réclamer des meilleures conditions, auprès de qui s’est-t-il adressé ? Pour quel résultat ?
De même, Tshisekedi est revenu sur son plaidoyer en faveur du financement de la préservation des forêts du bassin du Congo lors du G20 à Rome et lors de la COP26 à Glasgow. Il présente ses interventions comme des véritables réussites pour la RDC qu’il présente comme « pays solution » alors que les analystes les plus sérieux critiquent l’hypocrisie des grands pollueurs et leur absence de volonté de financer la transition écologique. De même, il a annoncé la conclusion des partenariats pour les forêts du Congo et près de 2 milliards de dollars « activables à partir de 2022 ». Qu’est-ce que cela signifie ? Nous n’avons pas pu trouver de réponse à cette question.
Il est regrettable de voir Tshisekedi s’inscrire dans la vieille et improductive logique de l’assistance internationale au lieu – en sa qualité de Président de l’Union africaine – d’impulser des dynamiques économiques pour réduire la dépendance vis-à-vis de l’Occident. Son propos est en déphasage avec les aspirations des peuples d’Afrique qui exigent, depuis plusieurs années, la fin de la dépendance. Le continent ne manque pourtant pas de ressources intellectuelles et économiques pour y arriver !
Sur le même chapitre, on peut également relever la « grande foi » de Tshisekedi dans les institutions de Bretton Woods (FMI et Banque mondiale) alors que plusieurs pays — même africains — s’en méfient depuis l’échec des programmes d’ajustement structurel qui ont détruit le tissus économique et social de plusieurs pays d’Afrique au début des années 90. Comment comprendre que Tshisekedi présente l’endettement du pays auprès de ces institutions comme une victoire personnelle ? Tshisekedi vante par exemple la contribution extérieure jamais atteinte de 4.5 milliards de dollars réalisée en 2021. Quelles sont les retombées de cette « contribution » ? Dans quels secteurs a-t-elle été investie et pour quelles retombées ? Mystère !
Enfin, on remarque l’absence dans le discours de Tshisekedi des questions économiques essentielles sur lesquelles il était pourtant attendu : l’adhésion de la RDC à la zone de libre échange continentale africaine, l'adhésion controversée de la RDC à la Communauté de l’Afrique de l’Est etc. Alors qu’il venait de signer, il y a quelques mois, un accord bilatéral d’investissement — resté secret — avec le Rwanda doublé de la création d’une joint-venture entre une société rwandaise et une société congolaise — dans laquelle l’Etat détient des participations - pour l’exploitation de l’or congolais, Tshisekedi n’a pas éclairé l’opinion sur ces choix malgré les critiques acerbes de l’opinion congolaise qui n’a pas hésité de crier à la haute trahison. On aurait également aimé l’entendre sur la gestion des entreprises du portefeuille de l’Etat dont le bradage d’actifs et la politisation sont constamment dénoncés. Depuis 2008, la RDC est engagée dans une réforme des entreprises du portefeuille de l’Etat. Tshisekedi a-t-il poursuivi cette réforme ? A-t-il pris des nouvelles orientations ?
Comme sur le plan social, Félix Tshisekedi est resté très évasif — parfois narcissique — sur les questions économiques. Nul ne sait prédire à ce jour l’orientation qu’il entend donner à l’économie du pays pour réaliser sa promesse de campagne qui constitue l’un des piliers de ses gouvernements : la relance économique. N’a-t-on pas été subjugué par l’achat des poissons à la Namibie à hauteur de plus de cinq millions de dollars par le gouvernement alors que le pays regorge, à travers ses lacs, rivières et son fleuve, d’importantes réserves halieutiques ? Quelle est sa politique pour relancer l’agriculture et exploiter les vastes terres arables du pays qui comptent parmi les plus riches du continent ? Il s’agit pourtant de l’un de ses axes principaux de sa campagne et du programme du gouvernement. Hélas, le financement de l’agriculture à moins de 3% du budget est assez éloquent et traduit l’absence de volonté de réaliser la relance économique promise.
Comme sur les questions sociales, le discours prononcé devant le Congrès a prouvé encore une fois de plus l’écart entre les promesses, les programmes —si tant est qu’ils existent — et les réalisations sur terrain. Faire de la RDC un pays émergent n’est resté qu’un slogan vide, trois ans après la prise de pouvoir de Tshisekedi réalisée dans les conditions qu’on connait. Les deux dernières années du mandat de Tshisekedi lui permettront-ils de remonter la pente ? Sans politiques claires et étapes ciblées de réalisation avec des indicateurs précis, la population pense-t-elle être loin de récolter la tempête, résultat du vent qui a été semé ?